Des quintes de toux, quelques bâillements et une bonne dose d'ennui. La file d'attente semble interminable sur la vaste place Aimé-Césaire et les heureux possesseurs d'un tabouret pliant font des envieux. Ce mardi matin, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), certains patientent depuis 7h30 alors que les premiers dépistages du Covid-19 ne seront effectués qu'à 10 heures.De telles scènes sont aujourd'hui monnaie courante en France. Cette semaine, plus d'1,2 million de tests ont été réalisés dans le pays, contre quelque 300 000 à la fin juillet. Les différents acteurs engagés sur le terrain peinent à suivre le rythme. Une file d'attente pour effectuer un dépistage du Covid-19, le 15 septembre 2020, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO) Menée en partenariat avec le groupe Bioclinic et la municipalité, cette permanence a très vite été victime de son succès, avec 250 passages la semaine passée. "La moitié n'avait pas d'ordonnance. Une patiente est même venue se faire tester trois fois. Ce n'est pas possible", souffle Philippe Bokobza, le médecin qui anime le dispositif en compagnie de trois internes.>> INFOGRAPHIE. Covid-19 : quand faut-il passer un test PCR... et quand vaut-il mieux s'abstenir ?La stratégie a évolué, avec une file désormais réservée aux possesseurs du sésame médical, ce qui n'empêche pas certains de couper la file pour plaider leur cause. "On me dit que je ne peux pas me faire tester, s'étonne un homme. Sur internet, c’est marqué qu’il n’y a pas besoin d’une ordonnance.""La pression est monstrueuse"Ce mardi-là, malgré l'affluence, seuls 95 tests seront réalisés. Pas un de plus. Avec l'aide de l'Agence régionale de santé, le médecin a toutefois obtenu un ordinateur connecté au système de dépistage centralisé qui lui fait gagner un temps fou, alors qu'il lui fallait auparavant transmettre toutes les données à la main. Une imprimante permet également de coller sur place un code-barre sur les échantillons. "A part des mots, il n’y a pas eu d’incident grave pour le moment, mais le fait d’avoir autorisé le plus grand nombre à se faire tester rend aujourd’hui les choses plus difficiles." Un vigile est également attendu dans la semaine, afin de prévenir d'éventuels problèmes.Il y a le sentiment de vivre une expérience un peu exceptionnelle. Ce sont des journées de dingue. Je communique les résultats des tests positifs par téléphone jusqu’à 21h30.Philippe Bokobza, médecin biologisteà franceinfoCes permanences sont aujourd'hui prises d'assaut, car les laboratoires de ville sont eux-mêmes débordés. "J’ai tenté d'aller dans trois d'entre eux hier”, raconte Lucas, qui souffre de toux et de fièvre. "Le premier ne faisait que des sérologies, le deuxième ne faisait pas de PCR ce jour-là et le troisième n’en faisait pas du tout." Une mère de famille a fait une heure de transport avec son fils, depuis Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). "Un labo m'a même envoyée balader : 'Si vous n'êtes pas contente, vous n'avez qu'à appeler Macron'". Le médecin biologiste Philippe Bokobza lors d'une campagne de dépistage du Covid-19, le 15 septembre 2020 à Montreuil (Seine-Saint-Denis). (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO) Les rapports sont de plus en plus conflictuels dans des laboratoires qui fonctionnent déjà à flux tendus. "Nous essayons de ne pas craquer mais en même temps, c’est très dur", explique Caroline Gutsmuth, directrice du laboratoire Biogroup Neuilly-Michelis, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). "La pression est monstrueuse. Il y a des insultes, mais parfois aussi des fleurs et du chocolat. Nous n’avons pas fait appel à des vigiles, mais je suis souvent dehors pour essayer de détendre l’atmosphère." Mi-août, déjà, le fondateur du groupe Bioclinic, Philippe Dabi, expliquait dans Le Parisien (article payant) avoir embauché une cinquantaine d'agents pour assurer la sécurité de ses équipes."Là, on commence à caler sur les prélèvements"Le ministre de la Santé Olivier Véran l'a reconnu lui-même, jeudi 17 septembre. L'ouverture des tests à grande échelle a eu pour conséquence "un embouteillage", notamment "dans certaines grandes villes, là où le virus circule beaucoup". Un premier blocage est observé lors de la phase de prélèvement, dite "pré-analytique". Face au manque d’effectifs, un arrêté ministériel du 24 juillet a élargi la liste des professionnels (étudiants en santé, aides-soignants...) autorisés à pratiquer les prélèvements.Mais les très longues files d'attente "suggèrent une mise en place peu évidente sur le terrain", explique la médecin Stéphanie Haïm-Boukobza, membre du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Une situation d'autant plus délicate que les laboratoires "avaient déjà des problèmes de RH avant le Covid-19". Même quand le recrutement est assuré, difficile de pousser les murs. Au laboratoire Neuilly-Michelis, les cinq salles de prélèvement sont occupées en permanence.Une étudiante a été formée pour les appels téléphoniques et trois infirmiers viennent chaque jour en renfort par l’entremise d’un cabinet d’intérim, portant le total de préleveurs à six.Caroline Gutsmuth, directrice de laboratoireà franceinfoLe groupe MLab, quant à lui, emploie 70 personnes sur ses huit sites parisiens, soit dix de plus que son effectif initial. Pendant le confinement, un tiers des employés était en chômage partiel, mais tout le monde n'est pas revenu. Son laboratoire du 15e arrondissement, La Scala, est tout de même parvenu à recruter des infirmiers et des étudiants. Julien, un interne en psychiatrie, devra toutefois reprendre son cursus début novembre. Ce réservoir devrait d'ailleurs prochainement faire défaut aux laboratoires.La question des effectifs n'est pas la seule en cause dans l'allongement des files d'attente. L'enregistrement est parfois fastidieux, car les patients doivent remplir des informations précises afin de retrouver les éventuels cas contacts si leur résultat s'avère positif. Par ailleurs, quand les résultats se font attendre, certains patients se rendent dans d'autres laboratoires, au risque d'accroître encore les flux par un effet boule de neige.La tendance est donc à la régulation des publics, en se concentrant sur les personnes symptomatiques et les cas contacts. Quitte à passer du temps à faire de la pédagogie. "Ce matin, une personne a exigé un test, et même menacé d’appeler la police, déplore la biologiste Dinha Bouraï. Nous avons passé dix minutes à lui expliquer qu’il n’en avait pas besoin, car il était au 8e jour après un possible contact et qu’il n’avait pas développé de symptômes."Les automates tournent à plein régimeAu-delà des difficultés pour effectuer un test, l'autre point de crispation concerne les délais de plus en plus longs pour obtenir des résultats. Le blocage se situe cette fois lors de la phase dite "analytique", quand les échantillons passent dans les machines. "Elle demande des compétences pointues, avec du personnel formé en biologie moléculaire, un profil difficile à trouver. Certains laboratoires doivent les former eux-mêmes, poursuit Stéphanie Haïm-Boukobza. Ce blocage est d’autant plus sensible quand il est conjugué à une rupture de réactifs."Des files d’attente plus longues reflètent des retards au niveau des prélèvements. Des résultats de tests plus tardifs reflètent des retards dans la phase analytique.Stéphanie Haïm-Boukobza, membre du Syndicat des jeunes biologistes médicauxà franceinfo"Ça ne sert à rien de faire autant de prélèvements, ça n'a plus aucun sens", soupire pour sa part Stéphane Maudoux, directeur d'un autre laboratoire du groupe MLab, venu passer une tête à La Scala après un énième marathon. La situation coince en effet au niveau des plateformes techniques, qui analysent les prélèvements et dont les automates tournent à plein régime. Pour tenter d'absorber le flux, les établissements ont souvent mis en place un système de priorité pour l'analyse des échantillons des personnes symptomatiques et des cas contacts.Là encore, le système commence à s'enrayer. "Au mois d'août, les résultats arrivaient entre 24 et 48 heures. Maintenant, si on ne met pas 'urgent' sur un prélèvement, il ne passe pas en moins de 72 heures." Afin d'honorer des délais raisonnables, la part de ces prélèvements prioritaires augmente donc de jour en jour. En témoigne la place occupée par les échantillons marqués de noir avant leur expédition vers le plateau technique de Montargis (Loiret). Quand tout est urgent, plus rien n'est important. Des prélèvements dits "urgents" sont marqués de noir, le 15 septembre 2020, avant d'être expédiés vers la plateforme technique BRP de Montargis (Loiret), où les tests positifs au coronavirus seront identifiés. (FABIEN MAGNENOU / FRANCEINFO) La plateforme technique est équipée d’une machine Roche et d’une autre Eurobio, qui permettent d'assurer 2 500 à 3 000 tests par jour pour les huit laboratoires parisiens de MLab. Mais cela commence à coincer sur les réactifs. "Le groupe Roche, par exemple, a fait des quotas par pays, et ceux-ci n’ont guère évolué en proportion avec la montée en puissance des tests, détaille Hala Sarmini, directrice du laboratoire La Scala. Nous pensions pourtant être assez diversifiés avec deux équipements."Un automate PerkinElmer est en cours d’acquisition et pourrait doper les capacités d’ici à quelques semaines. En attendant, les deux machines actuelles sont poussées dans leurs retranchements. "L’une d’elles peut assurer 800 tests par jour et nous l’avons poussée à 1 000. Mais avec ces cadences, les automates peuvent fatiguer", explique Hala Sarmini.Les tests antigéniques et salivaires comme possibles solutions"Nous sommes aujourd’hui dépassés, poursuit Jean-Claude Azoulay, vice-president du Syndicat national des médecins biologiste. Il faut éponger ce retard en augmentant les capacités ou en ralentissant l’activité." A la fin juillet, les autorités avaient fait le choix d'ouvrir le dépistage au plus grand nombre, sans ordonnance obligatoire. "Les autorités ont voulu favoriser un dépistage de masse. Nous y sommes, mais c'est open bar", résume Caroline Gutsmuth. "Tout le monde en France invoque une bonne raison de se faire tester, mais on ne peut pas faire 70 millions de tests !", ajoute Stéphanie Haïm-Boukobza. A ce titre, le cas des voyageurs fait l'objet d'un agacement tout particulier dans les laboratoires. Comment leur permettre de respecter les consignes des compagnies aériennes, alors même que les personnes symptomatiques peinent à trouver un laboratoire et doivent patienter plusieurs jours pour obtenir des résultats ?Certains agressent le personnel car ils doivent prendre un vol. Nous ne pouvons pas gérer la crise sanitaire et faire des mesures de complaisance pour les compagnies aériennes.Stéphanie Haïm-Boukobzaà franceinfo"Je sais qu'il y a des personnes qui sont prioritaires dans l'accès aux tests, mais qui n'arrivent pas à obtenir un rendez-vous ou un résultat dans un délai raisonnable", a concédé Olivier Véran. Le ministre de la Santé a donc dévoilé une "doctrine de priorisation des tests" à l'attention des possesseurs de prescription médicale, des personnes symptomatiques, des cas contacts, des soignants et des aides à domicile. Olivier Véran : "Il faut assurer la priorité des tests aux prioritaires" Olivier Véran : "Il faut assurer la priorité des tests aux prioritaires" - () Des centres de dépistage leur seront dédiés dans les grandes villes. Vingt sites sont prévus en Ile-de-France dès lundi, avec une capacité d'au moins 500 PCR par jour. Par ailleurs, Olivier Véran a invité les Français à la patience.Si vous n'êtes pas prioritaire, il faut accepter d'attendre plusieurs jours pour être testé. Par ailleurs, il ne sert à rien de se tester trop souvent. Le test n'est pas un geste barrière.Olivier Véran, ministre de la SantéD'autres solutions pourraient encore fluidifier les dépistages. Les tests antigéniques viennent d'être autorisés pour "décharger les laboratoires de biologie médicale de certaines patientèles", précise l'arrêté paru mercredi au Journal officiel. Les écouvillons n'ont pas besoin d'être expédiés à un laboratoire d'analyses, et les résultats sont connus en moins de 30 minutes. Des expérimentations vont être menées dans des hôpitaux parisiens, et 5 millions de tests ont été commandés, pour des livraisons attendues dès le mois d'octobre.Les tests salivaires ouvrent une autre piste. Certes moins fiables que les tests PCR, ils sont toutefois plus simples à mettre en œuvre à une large échelle pour les cas les moins urgents. De quoi donner de l'air, peut-être, aux laboratoires engagés en première ligne dans cette épidémie.