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"C'est le maire ou le candidat qui distribue des masques ?" : on vous raconte le drôle d'entre-deux-tours des municipales, contaminé par le coronavirus

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
La campagne pour le second tour des municipales, qui aura lieu le 28 juin, a été fortement bousculée par l'épidémie de coronavirus. (AWA SANE / FRANCEINFO)

Un second tour plus de trois mois après le premier, des maires en campagne pendant le confinement, la crise sanitaire comme argument, des projets mis à la poubelle… Récit d'une séquence politique inédite.

Cette fois, elle sera de la partie. Ségolène Durand va pouvoir prendre part aux commémorations du 80e anniversaire de l'appel du général de Gaulle, jeudi 18 juin, à Melun (Seine-et-Marne). A moins que l'histoire ne se répète et que la candidate Les Républicains (LR) aux élections municipales ne soit priée de rester sagement chez elle, comme pour les cérémonies des 8 et 27 mai, ainsi que pour le 8 juin. "L'entourage du maire sortant, Louis Vogel, m'a fait comprendre que je ne pouvais pas venir, car le nombre de personnes était limité en raison de la crise sanitaire, raconte-t-elle à franceinfo. C'est une excuse qui l'arrange bien. Comme ça, ses deux adversaires ne sont pas visibles, et il a gagné."

Bénédicte Monville a beau chercher, elle non plus n'a pas reçu la moindre invitation. "Le maire doit pourtant avoir mes coordonnées quelque part, ironise la candidate écologiste, également qualifiée pour le second tour à Melun. Il profite du contexte lié au coronavirus pour communiquer à des fins électoralistes. C'est assez honteux." Contacté par franceinfo, l'entourage de Louis Vogel avance une autre version. Il explique "n'avoir fait que suivre à la lettre ce que demandait l'Etat". "On est légalistes : quand il y a des contraintes sanitaires, on les respecte, répète l'équipe du maire. Notre majorité municipale n'était pas là non plus d'ailleurs."

"Distribuer des œufs en chocolat, c'est fair-play ?"

A Melun, comme dans la plupart des 5 000 communes qui n'ont pas élu leur conseil municipal dès le premier tour, c'est "une très, très drôle de campagne d'entre-deux-tours" qui a repris, après plus de deux mois et demi de mise en sommeil. "Surtout pour les candidats qui ne sont pas en poste, tient à insister Bénédicte Monville, "déçue" de ce qu'elle voit "depuis plusieurs semaines". "Pendant le confinement, le maire a toujours pu se déplacer, se montrer, communiquer, enchaîne-t-elle. Il a fait distribuer des œufs en chocolat aux personnes âgées à Pâques pendant que nous, on était confinés à la maison. Vous trouvez que c'est fair-play ?"

Le maire peut utiliser la moindre distribution de masques pour espérer capitaliser sur son image d'élu qui se bouge. Nous, on n'a même pas le droit de tracter.

Bénédicte Monville, candidate écologiste à Melun

à franceinfo

Là encore, les proches de Louis Vogel manquent de s'étouffer : "Doit-il s'excuser d'avoir à gérer une crise ? Est-ce que le maire aurait dû en faire moins ? Aurait-il dû ne pas aider les personnes démunies de la ville ? Ne pas distribuer de masques ?"

Un "bonus Covid" ?

Neuf cents kilomètres plus au sud, même tonalité. Les deux adversaires de Christian Estrosi (47,62% au premier tour) décrivent même un "bonus Covid", dont bénéficierait "sans gêne" le maire sortant de Nice (Alpes-Maritimes) depuis plusieurs semaines. "Quand il est en direct dans le 20 heures de TF1, c'est le maire ou le candidat qui parle ?", se demande l'écologiste Jean-Marc Governatori, arrivé troisième le 15 mars, avec 11,3% des voix. Moi, je n'ai pas été invité une seule fois." Une exposition médiatique qui fait tout autant fulminer Philippe Vardon. "Peu importe le moment de la journée où j'allume la télé, il est là, tout le temps. Matin, midi et soir, grince des dents le candidat du Rassemblement national (RN), qui a obtenu 16,69% des suffrages. "J'ai envie de lui demander : 'Et là, c'est monsieur le maire ou c'est le candidat qui distribue des masques ?'", ironise encore Philippe Vardon.

Le lundi, Christian Estrosi distribue des masques. Le mardi, Christian Estrosi propose aux Niçois de se faire tester. Le mercredi, Christian Estrosi est sur le tarmac de l'aéroport pour accueillir un avion rempli de matériel... A un moment donné, ça va.

Philippe Vardon, candidat RN à Nice

à franceinfo

Dans l'entourage du candidat LR, on n'a pourtant pas du tout le sentiment de mal faire. Bien au contraire. "Qui aurait compris que le maire n'agisse pas afin de protéger sa population parce qu'il y a une campagne électorale ?, questionne l'équipe de campagne de l'ancien ministre. Etre maire suppose des responsabilités jusqu'à la dernière minute de son mandat."

Christian Estrosi, le maire de Nice (Alpes-Maritimes), à l'aéroport pour accueillir un avion rempli de masques pour l'hôpital, le 15 avril 2020. (ARIE BOTBOL / HANS LUCAS / AFP)

Où s'arrête l'intérêt général ? Où commence l'opération de communication ? C'est cette "frontière ténue" entre les deux qu'a justement dénoncée le président du groupe socialiste et écologiste au conseil régional d'Ile-de-France, mi-avril, dans un courrier envoyé à la présidente LR Valérie Pécresse. "Ce que je condamne, ce sont ces candidats qui ne sont même pas élus et qui participent à ces opérations, qui les mettent sur des supports de campagne électorale", dénonce à l'époque Maxime Des Gayets.

"J'ai pris des risques"

Dit autrement : certains "profiteraient" de la crise du Covid-19 pour la transformer en "un outil de propagande partisane". Parmi les candidats qui ont les oreilles qui sifflent, il y a Hervé Riou, tête de liste LR aux Mureaux (Yvelines). Maxime Des Gayets lui reproche de communiquer dans le cadre de sa campagne municipale "sur sa distribution de masques de la région à des pharmacies du secteur, à des policiers, des dentistes et à je ne sais qui d'autre."

Capture d'écran de la page Facebook du candidat LR des Mureaux (Yvelines) Hervé Riou, le 26 mai 2020. (FACEBOOK / HERVE RIOU)

A franceinfo, l'intéressé assure "ne pas comprendre cette critique". "Je me suis engagé à aider la population parce que le maire en poste ne fait rien, justement, se défend Hervé Riou. Vous savez, j'ai pris des risques pour distribuer des masques et des visières, je suis allé sur le terrain. Ma démarche est complètement sincère. Quand j'en fais mention sur Facebook, je n'écris pas : 'Votez Hervé Riou le 28 juin !' Qu'est-ce qu'il y a de mal franchement ?"

"Agir" pendant la crise, oui, mais "ne pas sur-agir". C'est à cela que tente de veiller au quotidien Emmanuel Grégoire, le directeur de la campagne d'Anne Hidalgo. "Tout peut être mal interprété, on le sait". Pas question de fabriquer des masques à l'effigie de la candidate socialiste à la mairie de Paris. "Une action institutionnelle n'est pas une action de campagne. Quand nos adversaires nous attaquent là-dessus, je trouve cela injuste et choquant", précise le bras droit de l'une des personnalités politiques les plus exposées du moment.

C'est sur les bords de la Manche qu'on trouve "le candidat le plus lésé de France", selon ses mots. Jean-Paul Lecoq est opposé à Edouard Philippe au Havre (Seine-Maritime). "J'ai face à moi le Premier ministre de la France. Voilà. Quand Edouard Philippe vient dans la ville, c'est toujours à une date bien choisie et toujours avec des dizaines de journalistes. C'est comme ça, c'est la règle du jeu", expose sans chichi le député communiste. Même si un sondage Ifop-Fiducial publié le 10 juin place le chef du gouvernement vainqueur avec 53% des voix (contre 47% à son adversaire), Jean-Paul Lecoq estime qu'il y a quand même "une rupture d'égalité complète" dans leur duel.

"La sincérité du scrutin est mise à mal"

La rupture d'égalité. Voici la raison pour laquelle plusieurs candidats s'estiment lésés par le contexte. A juste titre ? "Absolument", tranche Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public. "Ça pourrait être vu comme des remarques de mauvais joueurs, mais il y a des vraies raisons de se plaindre parce que la sincérité du scrutin est mise à mal", décrypte-t-il. Avec d'autres professeurs de droit et des juristes, Jean-Philippe Derosier a d'ailleurs signé une tribune publiée par Marianne, mi-avril, pour demander que le Conseil constitutionnel se prononce sur les élections municipales. Notamment parce que "la déconnexion entre les deux tours pose véritablement problème. Il y aura eu plus de trois mois entre les deux."

Il se peut qu'il y ait des recours localement. Un candidat déçu peut très bien invoquer une sorte de concurrence déloyale.

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public

à franceinfo

Ce que les signataires veulent faire entendre, c'est que "la situation de la France en juin 2020 n'a rien à voir avec celle en mars 2020, explique le professeur. Les attentes de nos concitoyens ont beaucoup évolué." Par effet domino, les programmes ont été modifiés. "Mis à jour", corrigent plusieurs candidats que franceinfo a sollicités. Lorsque nous l'avons contactée, la tête de liste LREM à Quimper (Finistère), Annaïg Le Meur, sortait justement d'une réunion de validation de son tract pour le second tour. Une partie subtilement intitulée "nos premières mesures post-Covid" y a fait son apparition. "Il faut s'adapter, car les besoins ne sont plus les mêmes, explique la députée de la majorité.

"Chez nous, le contexte économique actuel a rendu obsolète le projet d'Arena [la grande salle qui fait débat entre les candidats] que nous pouvions avoir au début de la campagne", illustre la candidate. "Aujourd'hui, on ne peut plus se le permettre. Mettons nos finances ailleurs", complète celle qui réunit désormais son équipe dans son jardin – où des branches d'arbre servent à faire respecter la distanciation sociale – puisqu'elle a dû rendre les clés de son local.

"Le monde d'après", "ça parle à tout le monde"

A Avignon (Vaucluse), l'écologiste Jean-Pierre Cervantes a ouvert Photoshop pour "ajuster" son nouveau tract de campagne, que nous avons pu consulter. "On a changé le bandeau du bas pour qu'il colle plus à la situation d'aujourd'hui, confie celui qui est arrivé troisième dans la cité des papes lors du premier tour. On trouvait que le premier slogan était trop déconnecté du second tour. 'Le monde d'après', ça parle à tout le monde".

A gauche, le tract de campagne du candidat écologiste à la mairie d'Avignon (Vaucluse), Jean-Pierre Cervantes, pour le premier tour des municipales. A droite, celui pour le second tour. (DR)

Il est également question d'image et de gros sous. Depuis le premier tour, les enjeux ont évolué. Les projets des candidats aussi, en particulier dans les grandes villes. Dans la course à la métropole de Lyon, Gérard Collomb, nouvel allié de la droite, a par exemple mis un coup d'effaceur sur le bouclage de l'Anneau des sciences, le périphérique local. Motif invoqué : la crise sanitaire. Ce projet d'autoroute urbaine "ne peut plus être une réalisation envisageable en l'état, même si ses finalités demeurent pertinentes, écrivait l'ancien ministre mi-mai dans un communiqué. La priorité aujourd'hui pour notre métropole, c'est donc le renforcement des transports en commun."

A Bordeaux (Gironde), c'est la future piscine sur les quais de la Garonne qui a bu la tasse. Parce qu'il faut désormais "consacrer les efforts budgétaires à des priorités comme la relance de l'économie locale, le soutien aux acteurs culturels, aux associations, aux acteurs du tourisme ou aux clubs sportifs bordelais", explique à franceinfo l'équipe du maire sortant, Nicolas Florian. Lors de son premier grand meeting, en janvier, le candidat LR avait pourtant obtenu de longues secondes d'applaudissements en annonçant à l'assemblée qu'elle pourrait bientôt aligner les longueurs dans cette infrastructure estimée à 25 millions d'euros.

Encore un peu plus au sud, à Montpellier, c'est aussi la crise sanitaire que Mohed Altrad a prétexté, fin mai, pour annuler à la dernière minute une conférence de presse pendant laquelle il devait évoquer "grand plan d'action" pour la ville. A moins que le rapprochement avec le trio Rémi Gaillard, Clothilde Ollier et Alenka Doulain (trois candidats recalés du premier tour) y soit aussi un peu pour quelque chose. C'est en tout cas entouré de ses nouveaux alliés que l'homme d'affaires a présenté deux semaines plus tard, le 12 juin, un "plan de relance" à 1,135 milliard d'euros.

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