Afrique : une épidémie de fièvre jaune inquiétante
Le directeur d'un hôpital pédiatrique de Luanda a un jour osé dire qu'il avait recensé plus de 27 décès en 24 heures. Une hécatombe confirmée par l'enquête de Rafael Marques de Morais, un des rares journalistes indépendants du pays qui a pu filmer de l'extérieur la morgue du plus grand hôpital angolais.
Ce jour-là, en cinq heures, 235 corps ont ainsi été préparés dans des conditions apocalyptiques. Impossible de savoir la part exacte des victimes de la fièvre jaune à côté de celles du paludisme dans cette morgue comme dans celle du second hôpital du pays où notre confrère a pu se rendre. Car les médecins rencontrés en pédiatrie, n'avaient plus de seringues pour faire des prélèvements sanguins et confirmer le diagnostic. Et même lorsqu'ils en étaient sûrs, car la maladie doit son nom à l'atteinte du foie qui rend par exemple les yeux des patients jaunes, ils n'avaient pas le droit d'en rendre compte pour réduire les chiffres. L'Angola n'est pas vraiment un pays démocratique et la propagande règne.
Des services de soins dépassés
Pour un patient sur six, la fièvre jaune revient quelques jours après les premiers symptômes. Et sans traitement, l'issue est fatale dans 50% des cas. Dans certains hôpitaux, si un patient a besoin d'une transfusion sanguine, mais qu'aucun proche ne peut faire un don, il n'y a pas de transfusion.
Normalement, cette maladie virale transmise par des moustiques reste plutôt dans les zones de forêt tropicale ou les zones rurales. Mais en 2016, à Luanda, officiellement à cause de la baisse de revenus provoquée par la chute du prix du pétrole, les services d'entretien de la ville ont été réduits. Les ordures s'entassent et en pleine saison des pluies, c'est un paradis pour moustiques. Il a suffi de quelques voyageurs contaminés pour que le virus s'installe et fasse des ravages.
Pourtant, il existe un vaccin contre la fièvre jaune. Il est peu coûteux et extrêmement efficace avec une seule injection. D'ailleurs, en Amérique latine ou en Afrique dans les zones où la fièvre jaune est "endémique", c'est-à-dire toujours présente, les programmes de vaccination sont trop lents. Et cette maladie fait en temps "normal" plus de 30.000 morts par an sur le continent africain… sans créer la moindre alerte.
Même si l'OMS rapporte strictement les chiffres officiels de 293 morts du gouvernement angolais, sa directrice s'est tout de même rendue sur place pour marquer la gravité de la situation. Et elle a mobilisé tous les stocks de vaccins internationaux pour envoyer rapidement sept millions de doses à Luanda. Depuis, quatre autres millions ont été destinés aux autres régions touchées dans le pays.
Un risque d'épidémie mondiale ?
La menace dépasse les frontières de l'Angola : 41 cas ont été confirmés en République démocratique du Congo, un pays voisin ; 39 venaient d'Angola et 2 ont été contaminés en RDC. Cela signale un très fort risque d'épidémie. L'OMS a donc aussi envoyé deux millions de doses de vaccins. Mais la plus grande inquiétude vient de Chine. Car 200.000 travailleurs chinois vivent en Angola. Onze d'entre eux ont déjà officiellement rapporté le virus chez eux. Or, en Chine, il y a Aedes Aegypti, l'un des moustiques "transmetteurs". Pour l'instant, c'est l'hiver en Chine et ce moustique est donc très rare. Mais au mois de juin, la donne pourrait radicalement changer.
Pékin a donc décidé d'envoyer ses propres médecins pour vacciner ses ressortissants. L'un d'entre eux raconte le stress provoqué par la fièvre jaune. Plusieurs centaines de Chinois ont reçu le précieux vaccin et surtout le certificat qui leur permet de rentrer chez eux. Mais malheureusement il existe désormais un important trafic de faux certificats.
Comment maîtriser la contamination ?
Il est donc impossible d'être sûr de maîtriser la contamination en dehors de l'Angola. C'est d'ailleurs ce qui inquiète Jack Woodall, co-fondateur de ProMed, un réseau de veille internationale sur les maladies infectieuses. Ils avaient été les premiers à annoncer l'arrivée de Zika en Amérique latine. Cette fois, ils ont donc émis une alerte majeure sur la fièvre jaune. Jack Woodall a des sources qui confirment les enquêtes de Rafael Marques de Morais. Le gouvernement ne mobiliserait pas réellement tout l'argent reçu pour la campagne de vaccination. D'ailleurs, selon les statistiques de l'OMS, la couverture vaccinale reste encore inférieure à 60% dans plusieurs quartiers de Luanda. Alors qu'il faut dépasser les 85% pour enrayer la transmission.
Ce virologue émérite qui a d'ailleurs travaillé pour l'OMS explique qu'étant donné les délais d'incubation, un voyageur peut très bien passer à travers les contrôles de fièvre et déclarer la maladie à l'arrivée. Le virus pouvant rester dans le sang pendant dix jours. Son conseil est donc de diviser immédiatement les doses de vaccins par cinq et de cibler des populations prioritaires car le vaccin contre la fièvre jaune est assez lent à fabriquer. Même si les laboratoires réussissent à produire les 17 millions annoncés pour le mois d'août, il sera peut-être trop tard. Des essais cliniques réalisés au Brésil ont montré que ces faibles doses protégeaient les adultes des formes graves de la maladie.
Mais pour le moment, l'OMS n'a pas choisi cette option. Après une réunion sur la fièvre jaune à Genève, les experts ont décidé que la situation n'exigeait pas une mobilisation mondiale majeure comme pour H1N1, Ebola ou Zika. Ils maintiennent les doses de vaccin actuelles et demandent à l'Angola de bien vérifier la vaccination des voyageurs qui quittent son territoire. Jack Woodall a confié son incrédulité suite à cette décision. Et le Dr Julie Lyn Hall, directrice médicale de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge, semble être de son "côté". Si les experts ont "calmé le jeu" à Genève, le Dr Julie Lyn Hall a au contraire signalé le risque d'une crise globale. Le Dr Hall appelle à un engagement massif pour développer de véritables contrôles et améliorer d'urgence les structures sanitaires.
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