Faut-il avoir peur des "bébés sumos" ?
La presse britannique évoque une épidémie de nouveaux-nés pesant parfois jusqu'à 6 kg. A quoi sont dus ces surpoids à la naissance ? Ce phénomène s'aggrave-t-il ? Est-il dangereux pour la mère et l'enfant ?
Le petit Andrew Jacob Cervantez, qui a vu le jour en janvier 2014 aux Etats-Unis, pesait 6,86 kg le jour de sa naissance. Maria Lorena Marin a vu le jour cinq mois plus tôt, en Espagne. Sur la balance : 6,2 kg. Un nouveau-né indonésien de 8,7 kg en 2009, un petit Anglais de 7,1 kg en 2013... Faut-il craindre un baby-boom extralarge ?
Mardi 3 juin, ces "bébés sumos" ont fait la une du quotidien britannique The Sun (article payant, en anglais). Alarmiste, le tabloïd évoque une "épidémie de bébés obèses" et assure qu'en 2013, 39 maternités britanniques sur 139 ont vu naître des nourrissons pesant plus de 5,4 kg.
En 2012 déjà, le Daily Mail (en anglais) indiquait que le nombre de "bébés sumos" avait augmenté de 50% en quatre ans en Grande-Bretagne. De quoi inquiéter les futurs parents ? Francetv info revient sur ce phénomène.
Qu'est-ce qu'un "bébé sumo" ?
"La presse anglaise parle de bébé de plus de 5 kg, mais dans mon service, ces cas sont très rares, nuance Pascal Gaucherand, chef de service à l'Hôpital femme mère enfant de Bron (Rhône). Sur 4 500 naissances par an, on en compte à peine trois. En revanche, on voit de plus en plus de gros bébés, qui naissent autour de 4,5 kg, 4,7 kg..." Ces "bébés sumos", pour reprendre l'expression choc choisie par The Sun, sont en fait des enfants dits macrosomes. Selon les études, on parle de macrosomie à partir de 4 ou 4,5 kg.
Néanmoins, "la macrosomie ne se définit pas forcément par le poids à la naissance", précise le docteur Pascal Gaucherand. Pour les spécialistes en pédiatrie, des courbes comme celle-ci (PDF) permettent de diagnostiquer en cours de grossesse ces enfants costauds (au-delà du 90e percentile, en l'occurrence).
Pourquoi sont-ils si gros ?
Les raisons de la prise de poids de ces bébés encore dans le ventre de leur mère sont bien connues des spécialistes : "Ce qui fait un gros bébé, c'est en premier lieu le diabète", tranche Pascal Gaucherand. Alors, naturellement, dans un pays comme la France qui pourrait voir son nombre de diabétiques grimper de 8% d'ici 2022, il faut s'attendre à voir arriver plus de gros bébés. L'hérédité peut aussi jouer son rôle, poursuit le docteur. "Si, dans un couple, les parents étaient de gros bébés, alors leur enfant a plus de chances de l'être aussi, car le déterminisme du poids de naissance est génétique." Enfin, vient l'alimentation : "Diabétiques ou non, je rencontre des mères qui mangent très sucré. Si elles se nourrissent de hot dogs, de sodas, etc., ces aliments passent à dose équivalente chez l'enfant", explique-t-il.
Tam Fry, le porte-parole du National Obesity Forum (forum anti-obésité), organisation britannique qui regroupe des professionnels de santé, rappelle donc que les mamans obèses doivent être particulièrement surveillées. "Les incidences des macrosomies définies par un poids de naissance supérieur à 4 000 grammes sont respectivement de 8,3%, de 13,3% et de 14,6% chez les femmes de poids normal, obèses et obèses morbides", confirme un rapport (PDF) sur les conséquences obstétricales de l'obésité maternelle, publié en 2007 par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français.
Mais, alors que les femmes enceintes sont confrontées à une foule de recommandations plus ou moins fiables médicalement, gare aux discours culpabilisants. "Gros à la naissance ne veut pas dire gros plus tard, relève Enfants.com. De même, si vous avez eu un diabète gestationnel [qui apparaît seulement pendant la grossesse et concerne environ 5% des futures mamans], votre bébé ne sera pas diabétique pour autant."
Quels sont les dangers ?
"Pour un gros bébé, le risque immédiat est d'être en hypoglycémie et en hypocalcémie [taux de calcium dans le sang anormalement bas] à la naissance, détaille Pascal Gaucherand. N'étant plus dans l'environnement sucré du ventre de sa mère, son taux d'insuline peut, en effet, s'emballer. Aussi, ces bébés présentent un risque de 5 à 10% d'être diabétiques et ont donc plus de chances d'être obèse à l'âge adulte." Par ailleurs, il est plus difficile de donner naissance à un gros bébé, poursuit le spécialiste. Les césariennes sont donc plus fréquentes chez les mamans de bébés macrosomes.
En cas de naissance par voie basse, les médecins et sages-femmes soulignent un risque de dystocie des épaules (elles se coincent au niveau du pelvis de la mère après le passage de la tête) avec des conséquences potentiellement graves : risque de fracture de la clavicule ou du bras ou encore asphyxie pouvant engendrer des lésions cérébrales, énumère Le Figaro Santé. "Cette complication grave, qui requiert une réaction rapide de l'équipe soignante, se produit pour 10% des bébés de plus de 4,5 kg." Les risques sont également plus élevés pour la mère : hémorragie, déchirure du périnée, etc.
Y en a-t-il vraiment de plus en plus ?
Selon Tam Fry, "les premiers 'bébés sumos' ont été signalés en 1966, puis leur nombre a augmenté de manière régulière avant de réellement commencer à exploser au cours de la dernière décennie", a-t-il expliqué au Sun, au sujet de la Grande-Bretagne. Pour la France, "7,1% des naissances recensées en 2010 étaient concernées, la majorité de ces bébés pesant entre 4 et 5 kg", précise Le Figaro Santé. Un chiffre relativement stable, si l'on considère qu'en 1995, "la fréquence des enfants ayant un poids de naissance entre 4 000 et 4 500 grammes était de 6,1% et celle des enfants de plus de 4 500 grammes de 0,8%", rappelle un article publié dans le cadre des journées et techniques avancées en gynécologie et obstétrique (JTA).
Etudié dans le monde entier, le phénomène est plus ou moins important selon les pays. Dans une étude de 2013 publiée dans la revue scientifique The Lancet et portant sur 23 pays en développement, les chercheurs notent que, si les cas de macrosomie sont de plus en plus nombreux, leur taux peut varier de 0,5% des naissances en Inde à 14,9% en Algérie. Une étude chinoise, datée du 28 mai, établit, quant à elle, une moyenne de 7,3% dans l'ensemble du pays, lequel est encore soumis à de fortes disparités selon les régions.
Que faire pour limiter les risques ?
Enceinte, inutile de "manger pour deux", rappelle Pascal Gaucherand. Au contraire, une maman en surpoids doit "adopter un régime qui fasse baisser le taux de sucre pour le ramener à un niveau plus équilibré. Le sucre se stocke chez le bébé sous forme de gras, comme chez l'adulte." En revanche, pas question de jeûner ni de s'improviser diététicienne, mettent en garde les médecins.
On peut également réduire les risques de macrosomie en faisant du sport en douceur, "comme la marche, le vélo ou la natation". Une étude espagnole publiée dans le British Journal of Sports Medicine (en anglais) indique que faire de l'exercice diminue de 58% les risques de donner naissance à un bébé de plus de 4 kg (sans toutefois faire baisser le diabète gestationnel). "De la même manière dont on met en garde les femmes enceintes contre l'alcool et le tabac, il faut les informer des conséquences du surpoids sur le fœtus", conclut Pascal Gaucherand.
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