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Le Magazine de la santé en relief (avec de banales lunettes de soleil !)

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
France Télévisions
À l’occasion de la 25ème Fête de la science, notre journaliste scientifique Florian Gouthière a proposé aux téléspectateurs du Magazine de la santé de découvrir pour la toute première fois l’émission en relief, "sans changer de décodeur, et sans que cela ne coûte un centime", puisque le procédé proposé fait appel à une banale paire de lunettes de soleil…

Une expérience avec vos pouces

Il existe de nombreuses techniques permettant de filmer des séquences pour les restituer en relief. Usuellement, il faut que la scène soit filmée depuis deux points de vue différents, par deux caméras, chaque image devant être présentée indépendamment à nos yeux (notre cerveau réunissant les deux images pour pouvoir concevoir le relief). Il existe pourtant une technique qui permet de fabriquer un film en 3D avec une seule caméra.

Réalisons maintenant une rapide expérience. Fermez l’œil gauche. Faites-le vraiment ! Tendez un bras, pouce levé… levez l’autre main, vraiment plus près du visage, son pouce éclipsant celui de l’autre main… et maintenant, changez d’œil. Vous observez un décalage : lorsque l’on regarde depuis l’œil gauche, le pouce le plus proche de moi semble s’être décalé vers la droite. Ce phénomène, nommé parallaxe, a de très nombreuses applications… y compris en astronomie et en histoire de l’art !

L'effet Pulfrich

Mais c’est également ce phénomène de parallaxe qui va vous permettre de visionner l’émission en relief…

En 1922, un physicien allemand spécialiste de l’optique, Carl Pulfrich, présente dans la revue Naturwissenschaften une série d’expériences sur des balanciers qui révèlent ce fait étonnant : une image lumineuse est traitée plus rapidement par le cerveau qu’une image moins lumineuse.

Comme le démontreront ceux qui reproduiront ses expériences, en divisant par dix l’intensité perçue par la rétine, le délai de traitement est diminué de plusieurs dizaines millisecondes. Cela n’a l’air de rien, mais cela fait tout. Car en obscurcissant l’un de nos yeux, par exemple en utilisant un verre de lunette de soleil, les images d’une même scène vont être traitées par notre cerveau en décalé.

Illustrons la chose en prenant cette scène de pêche aux canards (voir la séquence dans la vidéo ci-dessus). À un instant, une image quitte l’écran, et arrive à nos yeux. L’image reçue de l’œil droit est traitée presque instantanément par le cerveau. L’image reçue de l’œil gauche étant assombrie, elle va être analysée – comme dit plus haut – avec un temps de retard. Une autre image est déjà arrivée sur l’écran ! Le signal issu de l’œil droit est alors traité… en même temps que celui envoyé plusieurs millisecondes avant, issu de l’œil gauche. Il y a un décalage ! Or, comme la scène est en mouvement vers la gauche, l’image traitée en retard par le cerveau issue de l’œil gauche, présentent tous les éléments de la scène un peu plus à droite… On retrouve notre parallaxe ! Le cerveau pense que l’œil gauche voit la scène d’un autre point de vue ! Et le cerveau fait ce qu’il fait toujours : il y a décalage, il crée du relief.

Voilà, vous avez compris l’essence de l’effet Pulfrich.

À vos lunettes de soleil !

Trève de théorie ! Saisissez-vous d’une paire de lunettes de soleil, et faites sauter le verre droit (ou tenez-les de côté, en obscurcissant votre œil gauche, mais c’est moins confortable). Plus le verre et sombre, mieux c’est. Mettez-vous de l’écran, chaussez vos bésicles, et c’est parti !

Nos remerciements au Jardin d’Acclimatation de Paris pour nous avoir permis de filmer
leurs manèges et attractions qui rendent si bien justice à l’effet Pulfrich !

Pour des images qui défilent vers la gauche, dont les éléments semblent "disparaître vers la gauche" et "apparaître par la droite", il faut porter le verre sombre à gauche… Il faut un peu temps pour voir apparaître la profondeur.

Cette technique marche avec toutes les scènes qui défilent vers la gauche (ou vers la droite, en inversant le sens des lunettes). Mais vous l’aurez compris, cela ne marche plus si le mouvement s’arrête… Un long métrage utilisant ce procédé ferait rapidement mal au crâne !

Toutefois si, durant vos vacances, vous avez filmé un paysage en train de défiler, par exemple en posant la caméra sur le côté d’un bateau, et bien vous pouvez ressortir ces films, et les redécouvrir en 3D grâce à vos lunettes ! Cela fonctionne avec toutes les images qui défilent continûment dans un sens.


Ci-dessus : une vidéo tournée depuis un bateau par Siddhart Goyal à Amsterdam en 2011, parfaite pour profiter de l'effet Pulfrich.

Une découverte d'intérêt médical

Cet effet découvert par Carl Pulfrich a intéressé beaucoup d’ophtalmologues et de neurologues. En effet, une différence de temps d’acheminement et/ou de traitement du signal lumineux vers/par le cerveau [1] peut être liée à certaines pathologies de l’œil ou du nerf optique. Il y a de nombreux cas documentés de perceptions spontanée du relief de scènes filmées en 2D par des personnes souffrant notamment de cataracte [2] ou dans des cas aigus de névrite optique [3] (y compris liés à l’émergence ou aux séquelles d’une sclérose en plaques [4]). D’autres pathologies sont concernées [5].

Ce n’est pas un phénomène aisé à quantifier [6], donc les médecins qui en ont entendu parler ne l’utilisent pas comme un critère diagnostique [7]. Mais certains neurologues demandent parfois si les patients ont des problèmes dans l’appréciation des distances d’objets en mouvement [8]. C’est loin d’être anodin : surestimer la distance d’un objet qui arrive vers vous un peu par la droite ou par la gauche peut entraîner des accidents. Il y a de nombreux cas documentés relatifs aux joueurs de squash [9] ou de baseball [10], qui manquent les balles à cause de ce satané effet Pulfrich … mais aussi des articles reliant le phénomène à des accidents de la route [11]. Une parade existe, toutefois : faire porter aux victimes involontaires de l’effet Pulfrich un verre plus sombre du côté qui voit le mieux [12] !

Réactions d'internautes

Notes et références

[1] Savoir exactement où se joue le problème dans le traitement du signal est encore l’objet de débat.  J’ai retrouvé des articles assez anciens proposant diverses hypothèses (par exemple : Theory of the Pulfrich effect. R.A. Weale, Ophthalmologica, 1954). Au début des années 2000, des recherches ont exploré des pistes du côté des neurones, pistes remises en questions par d’autres travaux… Voir :

[2] Voir : Pulfrich's phenomenon in unilateral cataract. S.M. Scotcher et al. Br J Ophthalmol, 1997. doi:10.1136/bjo.81.12.1050

[3] Notamment :

[4] Voir : Use of the Pulfrich pendulum for detecting abnormal delay in the visual pathway in multiple sclerosis. D. Rushton Brain, janv. 1975 doi: 10.1093/brain/98.2.283

[5] Voir :

[6] L’idée a toutefois été avancée (voir notamment : The Pulfrich stereo-illusion as an index of optic nerve dysfunction. S. Sokol Surv Ophthalmol, mai 1976).

Diverses techniques pour objectiver et quantifier le phénomène ont été proposées. Voir :

[7] Selon Catherine Vignal, ophtalmologue à la fondation A. De Rotschild interrogée pour préparer ce billet, le phénomène est connu vieux briscards de sa profession, qui investiguent systématiquement en ce sens lorsqu'un patient rapporte un trouble dans l'évaluation des distances.

[8] Voir :

  • The Pulfrich effect in the clinic. S. Heng & G.N. Dutton Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol, juin 2011. doi:10.1007/s00417-011-1689-6.
  • Description and clinical application of the Pulfrich effect. D.J. Lanska et al. Neurology, juin 2015. doi:10.1212/WNL.0000000000001646. (déjà cité dans une note précédente, mais au moins vous ne perdez pas vos petits en chemin)

[9] An unusual presentation of optic neuritis and the Pulfrich phenomenon. M. O'Doherty & D.I. Flitcroft. J Neurol Neurosurg Psychiatry. août 2007. doi:10.1136/jnnp.2006.094771, déjà cité plus haut.

[11] Voir notamment :

[12]  Voir notamment : The Pulfrich phenomenon and its alleviation with a neutral density filter. G. Heron & G.N. Dutton. Br J Ophthalmol, déc 1989.

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