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"Je me disais que tout serait plus simple si je mourais" : la détresse des mères en dépression post-partum

Plus de 5% des femmes qui ont accouché en 2021 ont eu des pensées suicidaires dans les deux mois après la grossesse, selon un rapport de Santé publique France.
Article rédigé par Gabrielle Trottmann
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Seules 36,5% des femmes avaient bénéficié d'un entretien prénatal précoce en 2021, d'après les chiffres du ministère de la Santé. (PEAKSTOCK / SCIENCE PHOTO LIBRAR / LDA / AFP)

"J'avais l'impression d'être un monstre. Je me disais : 'T'as pas le droit de pleurer, t'as un mari, deux enfants, une maison, t'es pas légitime'…" Doriane a beau être secrétaire pour des institutions dans le domaine de la santé, elle a mis près d'un an à comprendre qu'elle avait traversé une "dépression post-partum" après la naissance de son deuxième enfant.

Son cas est loin d'être isolé. Anxiété, idées noires, dépression… En 2021, 16,7% des femmes ont connu un profond et persistant mal-être dans les deux mois qui ont suivi leur accouchement. La mère qui en souffre peut ressentir "une fatigue écrasante et manque de plaisir à s'occuper de son enfant", explique Jacques Dayan, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Rennes, et auteur du livre Les dépressions post-partum. D'après un rapport de Santé publique France, publié mardi 19 septembre, 27,6% des femmes ont ressenti une anxiété importante après avoir accouché et 5,4% ont eu des pensées suicidaires.

Un environnement qui peut favoriser la dépression

Chez Doriane, les premiers soucis apparaissent dès les premiers mois de grossesse. L'angoisse monte progressivement alors qu'elle est fragilisée par des infections urinaires à répétition. Deux mois avant d'accoucher, elle se fait hospitaliser d'urgence à cause d'une septicémie, une infection du sang qui fait peser un risque sur sa vie et celle de son bébé. Seule dans son lit d'hôpital, elle commence à regretter sa grossesse et à se demander "ce qu'elle a bien pu faire pour mériter ça."

En plus de sa maladie, sa hiérarchie lui apprend que son contrat de travail ne sera pas renouvelé. A cause "d'un chantier important", le congé paternité accordé par l'employeur de son mari est en outre décalé à plusieurs semaines après la naissance du bébé. Son entourage est fataliste : on lui dit que "c'est comme ça maintenant", et qu'il va falloir apprendre "à se débrouiller toute seule." Sans emploi et sans solution de garde, elle "est contrainte de passer une année à la maison" pour s'occuper seule de ses enfants, alors qu'elle ressasse des idées noires.

Pas le temps de prendre soin de soi

Doriane vit les premiers mois qui suivent son accouchement comme un enfer. "Ma fille ne dormait pas plus de trois ou quatre heures d'affilée par nuit, et le reste du temps, elle pleurait sans arrêt", se souvient-elle. La jeune femme n'ose en parler à personne, pas même à son mari : elle n'en a pas l'énergie et ne voit pas "qui pourrait [lui] venir en aide, de toute façon". Lors d'une consultation avec un médecin généraliste, elle fond en larmes, sans parvenir à expliquer les causes de son mal-être. Le personnel médical lui dit bien de prendre soin d'elle, mais avec ses deux enfants dont elle s'occupe presque seule, elle n'en n'a "pas le temps." Elle se demande comment font les autres mères "sur les réseaux sociaux et dans [son] entourage, qui ont l'air si parfaites". Au point de finir par se dire que "tout serait plus simple" si elle mourait.

"J'imaginais régulièrement laisser les clés dans la boîte aux lettres avant de me pendre."

Doriane

à franceinfo

Sur le plan médical, la dépression se caractérise notamment par un état de mal-être "qui se répète pratiquement tous les jours depuis au moins deux semaines", décrit le site de l'Assurance maladie. Entre la chute d'hormones qui suit l'accouchement et l'appréhension d'une nouvelle vie, "l'anxiété post-partum est normale et peut être soulagée par un entourage aidant", explique Jacques Dayan. En revanche, "même avec la meilleure volonté du monde, seule une thérapie peut venir à bout d'une dépression", continue le spécialiste. "Au mieux, le conjoint, les amis et les proches joueront le rôle de facilitateur." Pour Doriane, le déclic viendra en retrouvant un travail, qui lui permet de sortir la tête de l'eau. Découvrir sur Instagram des témoignages de femmes qui traversent la même chose qu'elle lui est également d'une grande aide. Elle dépasse enfin son sentiment de honte pour prendre rendez-vous avec une thérapeute : "C'est là que j'ai commencé à remonter la pente et à créer du lien avec mon enfant", analyse-t-elle avec le recul.

Un diagnostic nécessaire

Le suivi psychologique peut-être accompagné d'un traitement antidépresseur, "en fonction du diagnostic établi avec le professionnel de santé", complète Jacques Dayan. Astrid en a bénéficié à 25 ans, alors qu'elle ne ressent "strictement rien envers [son] enfant : pas d'amour ni d'instinct maternel." Une situation "beaucoup plus fréquente qu'on ne l'imagine, et qui ne veut pas dire que la mère ne s'occupera pas bien de son bébé", commente Jacques Dayan, qui estime que l'instinct maternel est "un concept approximatif et teinté d'idéologie." 

Après sa grossesse, Astrid "a subitement envie de quitter [son] compagnon" et se "réveille chaque jour avec l'angoisse de devoir [s']occuper d'un enfant pendant encore au moins 18 ans." Elle a "beaucoup hésité" avant de prendre les antidépresseurs qu'on lui avait prescrits, de peur de se "transformer en légume et de devenir accro". Au final, elle regrette surtout de ne pas avoir commencé son traitement plus tôt : "C'est ça qui m'a permis de relever la tête, avec le temps et de créer un lien avec mon enfant."

Quels sont les facteurs qui favorisent l'apparition de la dépression post-partum ? "C'est difficile à anticiper, on peut très bien en faire une à la naissance de son troisième enfant, alors que les deux premières grossesses se sont très bien passées, ou l'inverse" explique Sarah Tebeka, psychiatre à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et coautrice du rapport de Santé publique France sur les dépressions post-partum.

L'établissement public enquête actuellement sur les déterminants qui nourrissent ce trouble psychique. Des études "pointent des risques démultipliés pour les personnes qui présentent des antécédents (par exemple, si on a déjà fait une dépression ou si l'on souffre d'une pathologie comme les troubles bipolaires), ou encore pour les personnes isolées et/ou dans des conditions économiques défavorables", poursuit la psychiatre, qui cite deux travaux américains parus en 2022. "Quand on est pauvre, on est plus à risque d'être mal informé et éloigné de l'offre de soins", abonde Jacques Dayan. 

Un entretien prénatal obligatoire

Doriane et Astrid n'avaient jamais entendu parler de la dépression post-partum avant d'être concernées. "De fait, quand on tombe enceinte, on nous propose une panoplie d'options pour prendre soin de notre santé physique et celle du bébé. On se demande s'il faut allaiter ou pas, mais on parle très peu de la santé mentale des mères", estime Elise Marcende, fondatrice de l'association Maman Blues. Elle-même a fait une dépression post-partum avant de militer pour une meilleure prise en charge de ce trouble psychique, et de créer des cercles de paroles pour les femmes qui en souffrent.

Depuis mai 2020, l'entretien prénatal précoce est obligatoire pour toutes les femmes enceintes. Ce temps d'échange permet d'aborder, entre autres, la dimension psychologique de la grossesse avec un professionnel de santé. Mais seules 36,5% des femmes en avaient bénéficié en 2021, selon les chiffres du ministère de la Santé (document PDF). Depuis juillet 2022, un entretien postnatal doit par ailleurs être réalisé entre les quatrième et huitième semaines qui suivent l’accouchement. Enfin, un dispositif expérimental a été mis en place dans certains secteurs comme la Bretagne, la Réunion, l'Aquitaine, ou encore la métropole de Lyon.

Baptisé Panjo (pour "Promotion de la santé et de l'Attachement des Nouveau-nés et de leurs Jeunes parents"), il permet aux mères de bénéficier de six à douze visites d'un ou une sage-femme à domicile pendant un an après l'accouchement. "L'objectif est de sécuriser le lien entre la mère et l'enfant", explique Nolwenn Regnault, responsable de l'unité Santé périnatale chez Santé publique France. Pour Sarah Tebeka, la qualité du dépistage et de la prise en charge dépend aussi de la formation de "tous les professionnels de santé, en particulier ceux qui sont directement aux contacts des femmes enceintes."

"Déconstruire l'image de la mère parfaite"

Chloé Bedouet, consultante en périnatalité et créatrice du compte Instagram "Mal de Mères", estime qu'il est également essentiel de "mieux répartir la charge de la parentalité." La durée du congé paternité a été légèrement allongée en France : depuis le 1er juillet 2021, il est passé de 14 à 28 jours. Mais il reste largement plus court que celui des femmes, qui dure 16 semaines minimum. Un autre défi de taille est de "déconstruire l'image de la mère parfaite", continue cette spécialiste.

Par exemple, on peut "imaginer qu'une femme va bien parce qu'elle est maquillée, alors qu'elle a mis du mascara justement parce qu'elle sait que cela l'aide à se retenir de pleurer. C'est normal de craquer, ou de ne pas ressentir seulement du bonheur." La consultante recommande à l'entourage de développer une "écoute active, en évitant de plaquer son propre ressenti sur la personne concernée."

"Des phrases comme 'c'est le plus beau cadeau du monde' peuvent empêcher la femme de s'autoriser à ressentir et à exprimer son mal-être."

Chloé Bedouet, consultante en périnatalité

à Franceinfo

Pour Chloé Bedouet, mieux vaut "tendre une épaule, écouter les mères se confier sans les juger, offrir son aide pour aller aux rendez-vous médicaux, préparer un repas et admettre quand on ne sait pas comment faire, ou quand on ne sait pas quoi dire."

Depuis qu'elle suit une thérapie, Doriane va en tout cas "de l'avant". Consciente que les épisodes de dépression post-partum peuvent avoir des répercussions sur la santé de l'enfant, elle se dit "attentive à [sa] santé mentale et à celle de [sa] petite". Surtout, elle a appris "à lâcher prise" : "Tant pis si je n'ai pas le temps de faire le ménage ou de préparer un bon repas. Je laisse les choses en bazar et je cuisine des surgelés quand je n'ai pas le temps. Ce n'est pas grave." Avec son histoire, elle espère "briser le tabou" et "aider la parole à se libérer". "Plus aucune femme ne devrait jamais avoir honte", conclut-elle.


Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.

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