Interview L'allaitement, une pratique en hausse mais "avec une marge de progression importante" en France, estime une épidémiologiste

Pour l'OMS et de nombreux scientifiques, l'allaitement présente de nombreux avantages théoriques pour la santé des bébés. La dernière étude Epifane montre des progrès en France, malgré un certain retard par rapport à nos voisins européens.
Article rédigé par Joanna Yakin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
À la maternité, 77% des femmes ont allaité leur enfant en 2021 contre 74% une dizaine d'années plus tôt, d'après la dernière étude Epifane. (LOIC VENANCE / AFP)

L'allaitement gagne du terrain en France. C'est ce qui ressort de la dernière étude Epifane, publiée mardi 23 juillet par l'agence Santé publique France. "Ces travaux, menés en 2021, soulignent notamment que de plus en plus d’enfants sont allaités à la maternité et que la durée de l’allaitement augmente", résume Santé Publique France. Julie Boudet-Berquier, épidémiologiste à Santé Publique France au sein de l'équipe de surveillance et d'épidémiologie nutritionnelle, répond aux questions de franceinfo.

franceinfo : Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

Julie Boudet-Berquier : On a des résultats et des évolutions qui sont vraiment favorables depuis 10 ans en termes d'alimentation des nourrissons. Epifane est une étude qui a été conduite une première fois en 2012-2013 et qui a été reconduite en 2021-2022. En 2021, ce que l'on a observé, c'est que 77 % des enfants étaient allaités à la maternité, alors que c'était le cas pour 74 % des enfants en 2012. La durée médiane d'allaitement, elle, a progressé de plus de cinq semaines entre 2012 et 2021 puisqu'en 2012, sa durée médiane était de 15 semaines et en 2001, elle est passée à 20 semaines.

Autre point, en 2021, 6 mois après l'accouchement, plus d'un tiers des enfants étaient encore allaités alors que c'était le cas pour moins d'un quart d'entre eux en 2012. 

Comment expliquer cette progression ?

Il y a depuis plusieurs années, avec la mise en place du Programme national nutrition santé (PNNS), des actions pour promouvoir et augmenter le support au niveau de l'allaitement maternel, pour les femmes qui le souhaitent. Donc il y a vraiment eu des efforts de fait, mais il y a encore un long chemin qui reste à parcourir. Parce que tout d'abord, et c'est essentiel, l'allaitement c'est la liberté des femmes. Elles ont tout à fait le droit de choisir le mode d'alimentation qui leur correspond le mieux et donc, pour qu'elles puissent faire un choix éclairé, cela nécessite de créer des environnements qui permettent ce choix.

"L'allaitement ne peut pas reposer uniquement sur la responsabilité des femmes et des familles. C'est aussi une vraie responsabilité de la société, avec des modifications de la société pour permettre aux femmes qui le souhaitent de pouvoir allaiter sur la durée."

Julie Boudet-Berquier, épidémiologiste

à franceinfo

Dans les faits, concrètement, quelles actions ont permis de faire progresser l'allaitement ?

Il y a notamment eu la mise en place et le déploiement de l'initiative Hôpitaux Amis des bébés. C'est un programme qui a pour objectif d'encourager, soutenir et protéger l'allaitement à la maternité. L'objectif est de promouvoir une culture très favorable à l'allaitement, ce qui permet d'augmenter le taux d'initiation. Après, sur la poursuite de l'allaitement, quand les femmes reviennent à la maison, c'est là où il y a encore du chemin. Dans Epifane, on a demandé aux femmes ce qui les conduisait soit à complètement arrêter l'allaitement, soit à décider d'introduire des préparations pour nourrisson.

Entre zéro et deux mois, elles répondaient que c'étaient soit les douleurs, soit l'insuffisance ressentie de lait. Et ça, ça nécessite vraiment qu'elles puissent être accompagnées par des professionnels qui disposent d'un temps suffisant, un recours beaucoup plus simple, beaucoup plus aisé pour tout le monde. Avec, par exemple, une consultante en lactation pour pouvoir les aider dans la mise au sein et pour pouvoir évaluer avec elles cette insuffisance ressentie.

Après, quand on s'éloigne un peu de la date d'accouchement, par exemple à six mois, ce que les femmes citent comme motifs, c'est vraiment la reprise du travail. Là, il faut créer des environnements qui permettent aux femmes de concilier reprise du travail et allaitement parce que c'est encore très difficile, avec notamment une formation et une information des employeurs. Et aussi des mesures qui permettent, dans certains emplois, de faciliter l'allaitement maternel pour les femmes qui travaillent.

Malgré ces résultats positifs, on reste encore très en deçà des niveaux de certains pays européens...

La plupart des pays sont au niveau de 80% d'allaitement à la naissance, avec une hétérogénéité, on a des résultats très élevés dans les pays scandinaves par exemple. Dans les pays qui sont derrière la France, on trouve l'Irlande avec moins d'une femme sur deux qui allaite à la maternité, ou encore Chypre et Malte.

"Ce qu'on observe, c'est que dans les pays où l'allaitement est particulièrement bon, il y a vraiment la création d'un environnement très favorable à l'allaitement au niveau de la société."

Julie Boudet-Berquier, épidémiologiste

à franceinfo

C'est-à-dire au niveau des dispositions qui existent en termes de rémunération, de congé maternité, de partage des tâches entre hommes et femmes, en termes de valorisation de l'image des femmes allaitantes. Et puis en termes également de valorisation du travail, qui est accompli par les professionnels de santé pour accompagner l'allaitement.

Il y a des lieux qui sont beaucoup plus simples d'accès pour permettre aux femmes d'allaiter, sans être obligées de tout le temps rester chez elles. C'est vraiment un travail qui doit se faire aussi au niveau de la société, sur cette image par exemple de la femme allaitante dans un lieu public, dans des restaurants ou sur le lieu de travail.

La France a donc encore une marge de progression ?

Cette année, on a dépassé l'objectif du Programme national nutrition santé (PNNS) 2019-2023 qui était de 75% d'enfants allaités à la maternité. Le PNNS va être revu et peut-être qu'avec ces résultats favorables les objectifs d'initiation à l'allaitement maternel vont être revus. Mais ce qui est important, c'est vraiment de pouvoir soutenir les femmes qui souhaitent allaiter. Et c'est là-dessus, je pense qu'il y a une marge de progression importante. Encore une fois, sans culpabiliser les femmes qui ont fait un choix différent.

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