Hôpitaux parisiens : les 35 heures sur le billard
Trente-huit établissements et 75.000 personnels (hors médecins) sont concernés par cette réforme qui pourrait entrer en vigueur le 1er janvier 2016. L’ambition du directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch est de gagner "au moins 20 millions d'euros par an", par "une autre organisation du travail", sans diminuer la masse salariale (environ 60% du budget).
L’objectif de la direction serait de "réaliser des économies à hauteur de 1.000 postes en équivalents temps plein par an, sur quatre ans", selon Thierry Amouroux (CFE-CGC), reçu par M. Hirsch le 4 mai avec des représentants de la CFDT et de l'Unsa.
M. Hirsch l’affirmait en mars dernier : "le risque, si on ne le fait pas, est de devoir supprimer des emplois". "Il ne s'agit pas de remettre en cause les 35 heures (introduites il y a 13 ans)", poursuivait-il, "[mais de] revoir les manières de les organiser [et de] les répartir dans la semaine, [car elles ne sont plus] adaptées à nos besoins".
L'AP-HP "[recherche plus de] souplesse", souhaitant par exemple adapter la taille des équipes aux pics d'activité, tout en "veillant à la qualité de vie au travail", comme le synthétise un document remis aux syndicats. Il s'agit aussi, selon Martin Hirsch, de mieux "coller au rythme du patient".
Le casse-tête des rythmes de travail
Les rythmes de travail à l'AP-HP sont très divers : 66% des agents travaillent 7h36 (38 heures /semaine) ou 7h50, mais d'autres font 10 heures de nuit, 12 heures de jour, certains cadres sont au forfait. Le nombre de jours supplémentaires au titre de la réduction du temps de travail (RTT) varie entre 20 et 24 jours, plus pour les cadres au forfait.
Le chantier est donc de grande ampleur. La direction souligne aussi la masse des journées de RTT non prises à cause du manque d'effectifs et accumulées sur des comptes épargne temps. Le stock représentait 74,7 millions d'euros fin 2014 et concernait plus de 36.000 agents.
Selon Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France, renégocier les 35 heures est l'une des solutions pour "tenir budgétairement [dans une période où] les contraintes sont fortes". "Tout le monde regarde l'AP-HP, le fleuron de l’hospitalisation. Beaucoup d'hôpitaux vont s'y mettre parce que l'AP s'y est mis", poursuit-il. "[Et] si l'AP s'y est mise, c'est qu'elle a obtenu des garanties du soutien du gouvernement. On sait très bien que quand les syndicats commencent à bouger à l'AP, ça tangue assez vite".
Le dialogue s'annonce tendu
Pour Rose-May Rousseau, représentante CGT, "l'AP-HP sert de laboratoire pour l'ensemble de la fonction publique". "Sous couvert de qualité de vie au travail, de lutte contre l’absentéisme et l'usure, il veut nous enlever les RTT pour avoir plus de flexibilité et veut supprimer les équipes fixes". Carole Soulay, responsable SUD, s’interroge de son côté sur l’impact des mesures sur la vie familiale des agents.
Derrière les RTT, il y a "le pacte d'austérité et ses 3 milliards d'économies" pour la santé d'ici 2017, dont "150 millions pour l'AP-HP" dès 2015. Or, ce plan porte en germe "la modification de toute la structure de travail", redoute Daniel Duteil (FO).
De son côté, la direction de l'AP-HP a précisé que sans "cette réforme, le respect de notre trajectoire financière pourrait conduire mécaniquement à la suppression de 4.000 emplois". "Notre choix est différent et l'objectif de la réforme est au contraire de stabiliser l'emploi au lit du malade", a-t-elle dit à l'AFP. L'AP-HP prévoit un retour à l'équilibre d'ici à 2016.
Mais pour Didier Choplet, secrétaire général adjoint de la CFDT de l'AP-HP, ces chiffres laissent présager une réforme "extrêmement violente pour les agents". "Nous sommes très inquiets sur le climat social que cela va générer", alors que les tensions sont déjà vives en raison notamment de la non revalorisation des salaires, souligne-t-il.
Mais "on ne sait pas encore ce que [M. Hirsch] va proposer. Est-ce qu'il va mettre l'ensemble des agents en 7 heures ? Quel profil d'agents ?", s'interroge le représentant CFDT, selon qui "des milliers d'agents travaillent 50 heures par semaine alors que sur le papier ils doivent faire 7 heures 36" par jour. Il met en garde contre "un risque de démotivation très fort".
"Pour les agents qui n'ont pas de relève – comme les administratifs, les ouvriers – l'objectif est de tendre vers les 7 heures", et pour les équipes qui ont des relèves, comme les équipes de soins, "c'est de réduire le temps qui est majoritairement de 7 heures 36, avec certains en 7 heures 50", estime de son côté M. Amouroux. Or, "quand il y a une équipe de nuit en 10 heures, des équipes de jour et d'après-midi en 7 heures 36, ça fait 25 heures sur une journée de 24, ce qui permet un temps de transmission crucial". En réduisant le temps de travail la journée à 7 heures, "il n'y a plus de transmission, donc des pertes d'information, et c'est un danger pour les patients".
Une motion locale est déjà partie de l'hôpital Saint-Louis mardi, pour "refuser la perte de jours" qui se profile et dont l'ampleur "dépend clairement du rapport de forces", selon M. Amouroux.
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