"Le vécu, ça vaut tous les rapports" : un député raconte sa nuit incognito aux urgences de Douai
Le député communiste du Nord Alain Bruneel a voulu se rendre compte par lui-même de la situation aux urgences, alors qu'une nouvelle manifestation est organisée mardi et que la grève dure toujours dans de nombreux hôpitaux.
"On a l'impression qu'on ne va pas arriver jusqu'au médecin. En deux heures de temps, mon brancard a fait dix mètres", témoigne mardi 2 juillet le député communiste du Nord Alain Bruneel. L'élu s'est rendu vendredi 28 juin incognito dans le service des urgences à l'hôpital de Douai, pour constater le malaise aux urgences par lui-même. La grève dans ce secteur, qui dure depuis quatre mois, s'étend désormais à 150 services. Une manifestation est organisée mardi à Paris par l'intersyndicale et le collectif Inter Urgences. Alain Bruneel invite Agnès Buzyn, ministre de la Santé, à faire comme lui, "sans caméra, sans collaborateur, dans un service d'urgence, incognito, ça vaut tous rapports que l'on peut écrire".
franceinfo : Vous avez décidé de faire une expérience et de passer une nuit aux urgences, incognito. Pourquoi cette démarche ?
Alain Bruneel : Je suis sensible à toutes les questions de la santé. Avec mes collègues communistes, on a commencé en janvier 2018 à faire le tour de France des hôpitaux, d'abord pour écouter ce qui se passe, mais aussi pour écrire une loi. Dans le secteur où je suis, je suis déjà passé dans les hôpitaux, mais à l'époque, le chef de l'établissement avait connaissance de ma venue, donc tout était installé, le tapis rouge était déroulé. Le personnel m'a dit : écoutez, M. le député, ce serait bien que vous veniez sans que personne ne soit au courant. Chose faite, j'y suis allé vendredi et j'ai constaté une situation dramatique, un personnel qui est en mouvement tout le temps.
Vous vous êtes présenté comme un patient lambda ?
Je me présente comme un patient lambda. Je passe à l'administration, on me demande pourquoi je suis là. Je dis que j'ai des maux de ventre. C'était le prétexte. Les portes des urgences s'ouvrent, je suis pris en charge par une infirmière qui est chargée de réguler, d'orienter selon l'état des patients, selon l'urgence vitale. Je me rends compte qu'il y a déjà des brancards qui sont installés dans cette salle et l'infirmière les oriente dans tel ou tel service. On prend ma tension, ma température. Puis, de 21h30, j'arrive à 22h56 dans la zone "semi-lourds" : ce sont des patients qui ont des symptômes mais qui ne sont pas jugés graves. Quand je suis arrivé, il y avait huit brancards de chaque côté et en file indienne pour voir le médecin et aller dans les box. Je me retrouve là et quelques heures, après on est 14 brancards. On a l'impression qu'on ne va pas arriver jusqu'au médecin. En deux heures de temps, mon brancard a fait dix mètres. Le personnel n'a pas le temps de discuter. Il est toujours en mouvement, toujours actif. Dans la zone où je suis, il n'y a qu'une infirmière, y compris dans la zone qu'on appelle le "transit', c'est-à-dire ceux qui ont déjà fait des examens, qui sont passés par le médecin. J'attends six heures et une infirmière que je connais m'a dit : "T'as eu de la chance".
Qu'est-ce que votre témoignage, en tant que député, va changer ?
C'est déjà important, il y a plus de 150 services qui sont en mouvement de grève. Il y a une manifestation à Paris et je serai avec eux pour les accompagner, pour en être l'écho à l'Assemblée nationale, en interpellant la ministre de la Santé [Agnès Buzyn] qui nous dit qu'elle n'est pas inquiète et que tout va bien. Je l'invite à faire comme moi, sans caméras, sans collaborateur, aller dans un service d'urgence, incognito. Le vécu, ça vaut tous les rapports qu'on peut écrire. En l'an 2000, il y avait cinq millions de passages aux urgences, aujourd'hui, on en est à 21 millions de passages et on a supprimé 100 000 lits en 20 ans, c'est ça le drame. On a toujours plus de patients qui passent aux urgences, mais on a toujours moins de personnels, toujours moins de lits pour les accueillir. Ce n'est pas normal, il faut qu'on prenne les moyens aujourd'hui et les 70 millions d'euros de Mme Buzyn, c'est vraiment une goutte d'eau.
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