Cinq questions sur les cas d'accouchements de femmes en état de mort cérébrale
Une femme tchèque en état de mort cérébrale depuis près de quatre mois a donné naissance à une petite fille en bonne santé. Un phénomène rare, rendu possible par le maintien en fonction des organes de la mère.
C'est une naissance rare. Une femme tchèque, en état de mort cérébrale depuis 117 jours, a accouché d'une petite fille, Eliska, au mois d'août, à Brno (République tchèque). La mère, Eva Votavova, âgée de 27 ans, avait été diagnostiquée en 2016 comme souffrant d'une malformation artério-veineuse dans le cerveau. Le 21 avril dernier, elle a été retrouvée inconsciente chez elle, alors qu'elle était enceinte de 16 semaines.
Hospitalisée, elle a été déclarée en état de mort cérébrale mais ses fonctions vitales ont été maintenues jusqu'au déclenchement de l'accouchement. "Eliska est née par césarienne durant la 34e semaine de grossesse", a détaillé Romain Gal, anesthésiste en chef à l'hôpital universitaire de Brno, la deuxième ville du pays.
Suivi de la grossesse, risques pour le fœtus... ces cas d'accouchements, très exceptionnels, soulèvent plusieurs interrogations.
Quels sont les précédents ?
Les accouchements en état de mort cérébrale sont peu fréquents. "Il y a à peu près un cas par an en France", a déclaré le professeur Israël Nisand, chef du service gynécologique des hôpitaux de Strasbourg, au micro de RTL. Contacté par franceinfo, il explique cependant qu'il n'existe pas de données précises sur ces cas.
En janvier 2016, une Polonaise de 41 ans, enceinte de 18 semaines et atteinte d'une tumeur au cerveau, avait été déclarée en état de mort cérébrale. Elle avait été maintenue en vie 55 jours à l'hôpital de Wroclaw et avait donné naissance à un bébé d'un kilo, au terme de 26 semaines de grossesse. La même année, une Portugaise, en état végétatif depuis quatre mois, avait accouché d'un garçon de 2,35 kilos, après 32 semaines de grossesse.
Comme dans ces cas, la petite Eliska est un bébé prématuré. Elle est née durant le huitième mois de grossesse. Elle mesurait 42 centimètres et pesait 2,13 kilos. "Il s'agit du poids et de la maturité du fœtus parmi les plus élevés obtenus pour un bébé né d'une mère en état de mort cérébrale selon les données mondiales", a assuré l'anesthésiste de l'hôpital tchèque.
Quelle conséquence sur la croissance du fœtus ?
Les minutes qui suivent l'accident vasculaire cérébrale de la mère sont cruciales pour le fœtus. "S'il n'y a pas eu un bas débit, c'est-à-dire une absence de rupture dans le circulation utérine, au moment de l'accident, alors le fœtus continue sa petite existence", explique le professeur Israël Nisand. "Mais c'est très rare", ajoute-t-il.
Durant le reste de la grossesse, l'état cérébral de la mère n'a pas d'incidence sur la croissance du fœtus. "Le processus de la grossesse et de l'accouchement sont indépendants du cerveau de la mère. Sur le plan physiologique, la mort cérébrale n'interfère donc pas dans le développement du fœtus", analyse Bernard Hédon, gynécologue-obstétricien, dans L'Obs.
Le corps de la mère continue de vivre et "assure les fonctions vitales indispensables au fœtus", détaille Israël Nisand. Les échanges d'oxygène et l'apport en nourriture via le placenta sont maintenus. "Les relations avec le fœtus sont importantes pour la mère, mais pas déterminantes pour le fœtus", conclut-il.
Comment se déroule ce type de grossesse ?
L'équipe médicale de l'hôpital de Brno a maintenu les organes de la mère en fonction, en particulier son cœur, ses poumons et ses reins. Grâce à des échographies, les médecins peuvent suivre la grossesse et la croissance du bébé. "On est capable d'apprécier le bien-être d'un fœtus : ses mouvements, sa respiration, sa vascularisation, sa croissance", assure Israël Nisand.
Durant la grossesse de la mère tchèque, les infirmières ont parlé au fœtus. Sa grand-mère lui a lu des histoires et un thérapeute bougeait les jambes de la mère pour simuler la marche, a expliqué Romain Gal, l'anesthésiste tchèque. "C'est une bonne idée dont on ne sait pas dire si elle a un effet ou pas", tempère de son côté Isräel Nisand.
La mise au monde d'Eliska a été réalisée par césarienne. Bien que la mère ne puisse pas pousser "les contractions sont autonomes et permettent l'accouchement”, expliquait à franceinfo François Goffinet, gynécologue-obstétricien, à propos d'un autre cas. Après la naissance d'Eliska, le système de maintien artificiel des fonctions vitales de la mère a été débranché.
Qui décide de poursuivre la grossesse ?
En France, ce sont les médecins qui prennent la décision de maintenir ou non la grossesse. Le professeur Israël Nisand évoque le cas d'une famille française ayant demandé l'arrêt des soins d'une femme, en état de mort cérébrale et enceinte de huit mois. "Les médecins n'ont pas assumé de prendre cette décision car ça aurait signifié débrancher en même temps le fœtus", raconte-t-il, sans toutefois donner plus d'informations sur le lieu et la date des faits.
Pour faire leur choix, les médecins peuvent solliciter l'aide de comités d'éthique. Mais les avis rendus par ces comités ne sont pas contraignants. "Ce sont simplement des conseils. La médecine ne peut agir sur ordre", ajoute Israël Nisand.
En Irlande, la Haute Cour s'était penchée sur un cas similaire en 2014. La juridiction a décidé que les médecins pouvaient, en accord avec le souhait de la famille, débrancher une femme en état de mort cérébrale, malgré ses 18 semaines de grossesse, rapporte l'Irish Times. Une décision historique puisque jusqu'en 2018 et la libéralisation de l'avortement, la Constitution irlandaise donnait les mêmes droits au fœtus qu'à la mère.
Y a-t-il des risques pour le développement de l'enfant ?
Eliska est aujourd'hui en bonne santé, selon l'équipe médicale tchèque. Elle est restée deux semaines à l'hôpital après sa naissance, puis son père l'a ramenée à la maison. Cette grossesse aura-t-elle des conséquences dans le développement futur de la petite fille ? "Difficile de déterminer l'influence d'une telle grossesse sur l'enfant", analysait Bernard Hédon, pour un cas similaire, en 2016.
"On suppute l'existence d'autres liens que les contacts vitaux, entre la mère et l’enfant. Mais on ne sait mesurer ni les effets de leur carence ni de leur mauvaise qualité, explique de son côté Israël Nisand. Plus tard, l'enfant pourrait développer des difficultés quand il prendra conscience des conditions dans lesquelles il est né."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.