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"On a vingt ans de retard" : avant d'accueillir la COP24, Katowice fait mine de combattre la pollution

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Katowice (Pologne)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La mine de Wujek à Katowice (Pologne), le 6 novembre 2018. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Une trentaine de chefs d'Etat sont attendus début décembre dans cette ville polonaise, l'une des plus polluées du monde, où l'on croit encore dur comme fer au charbon.

Dix mètres, puis cinquante, puis cent-cinquante. Le drone déploie ses ailes dans le ciel de Katowice, en Pologne, qui accueillera la COP24 du 2 au 14 décembre. Bourré de capteurs, l'engin renifle tout ce qui passe sous son nez. Au sol, Sylwia Jarosławska-Sobór contrôle les résultats en temps réel sur l'écran d'un ordinateur portable. "Ici, c'est le taux de monoxyde de carbone, là, c'est la poussière dans l'air… Rien ne lui échappe, assure cette ingénieure du Głównego Instytutu Górnictwa. Après un vol, il arrive que les absorbeurs soient tout sales à cause des particules fines que l'appareil a trouvées sur son passage. C'est assez incroyable."

Contrairement aux humains, l'appareil a un avantage non négligeable, celui de ne jamais tomber malade à cause de la pollution.

Sylwia Jarosławska-Sobór

à franceinfo

Cette "drôle de bête" d'une vingtaine de kilos est la dernière arme antipollution de la municipalité de Katowice. "On nous appelle, et hop, on met le drone en route. Le matin, le soir, la nuit. Parfois c'est tous les jours, parfois c'est moins." Il a commencé l'an dernier à survoler les toits de cette ville de 300 000 habitants située dans le sud-est de la Pologne. Le gros du travail a lieu l'hiver, lorsqu'un smog pernicieux envahit les rues. Les gens du coin l'appellent le "szlam". "Certains jours, on le voit, on le sent, et on peut même le goûter", résume l'ingénieure, habituée. Elle calcule : "Il y a en moyenne 165 jours de smog par an." 

Un drone anti-pollution dans le ciel de Katowice.
Drone anti-pollution Un drone anti-pollution dans le ciel de Katowice. (GLOWNEGO INSTYTUTU GORNICTWA)

Une ville dépendante de "l'or noir polonais"

La pollution atmosphérique est un fléau à Katowice. Y vivre équivaut à fumer passivement 2 500 cigarettes par an, estime l'Organisation mondiale de la santé. Les hôpitaux et les médecins de la ville s’inquiètent de voir augmenter les cas de pneumonies, de crises cardiaques et d'accidents vasculaires cérébraux. En cause, notamment, les vieilles chaudières à charbon installées dans les maisons. La plupart fonctionnent sans filtre et avec des combustibles de mauvaise qualité. Aujourd'hui encore, 80% de l’énergie polonaise provient des mines de charbon des alentours. La plus emblématique est celle de Wujek, que l'on atteint après une trentaine de minutes de marche depuis le centre-ville de Katowice. A l'entrée, deux grandes cheminées rouges et blanches font le guet. 

On se croirait dans 'Germinal', mais en 2018, et à trois heures d'avion de Paris.

Lukasz, guide touristique dans la région

à franceinfo

Cet "or noir polonais" nourrit toujours plus de 100 000 foyers de la région. Pendant trois ans, Bodzio Kowolik a été l'une de ces "gueules noires" que l'on croise tôt le matin ou tard le soir, bleu de travail souillé sur le dos. "Moi, je travaillais à sept bornes de là, dans la mine de Staszic, j'avais le matricule 2494, raconte le jeune homme de 34 ans. Mon père, mon oncle, mon grand-père et même mon arrière-grand-père étaient mineurs, c'était donc la voie normale." 

Bodzio Kowolik à Katowice (Pologne), le 7 novembre 2018. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Tous les jours, de 2014 à 2017, il suit le même protocole : la vérification du matériel, le badge, les instructions du chef, puis l'interminable descente jusque dans le cœur de la roche. Le 26 juillet 2017, un coup de grisou l'emporte à 1 000 mètres de profondeur. "Je me suis vu partir. Il y a eu une explosion, un gros boum. J'ai été projeté, je ne voyais rien, je ne sentais plus rien, plus mes jambes, plus mes bras… Je me suis dit : 'Voilà, tu vas mourir comme ça, coincé au fond d'une mine'."

Bodzio s'en tire avec "un dos en vrac" et "la trouille" d'y retourner. "Ce n'est pas la vie que je voulais. Me bousiller la santé pour gagner entre 2 900 et 5 000 zlotys (entre 675 et 1 200 euros) à la fin du mois, c'est fini", souffle celui qui travaille aujourd'hui "au chaud" dans l'informatique. Mais les autres, "ceux qui sont encore en train de trimer, n'ont pas la force d'ouvrir les yeux". Parle-t-on d'écologie au fond des mines ? "Vous rigolez ! La plupart sont juste là parce qu'il faut payer les factures."

Les mineurs n'ont pas conscience qu'ils produisent de la merde. Les problèmes de la planète sont loin.

Bodzio Kowolik

à franceinfo

Ils ne sont malheureusement pas les seuls. A la surface aussi, beaucoup ont encore du mal à s’ouvrir aux idées environnementales. "Je vais être clair : j'ai parfois l'impression de brasser du vent", s'agace Maciej Psych Smykowski, le leader local du Partia Zieloni. Cet équivalent polonais d'Europe Ecologie-Les Verts a encore du mal à se remettre de la claque des élections locales du mois d'octobre. En Silésie, la région de Katowice, il n'a recueilli que 1,39% des voix. C'est encore pire au niveau national (1,15%). 

Maciej Psych Smykowski, responsable du Partia Zieloni, à Katowice (Pologne), le 6 novembre 2018. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"On prend les écolos pour des dingues"

Faute de résultats, les écologistes ne disposent même pas de local officiel à Katowice. Ils doivent se contenter d'un cagibi d'une quinzaine de mètres carrés situé rue Reymonta. Ambiance coloc étudiante, avec micro-ondes, vaisselle pas faite et canapé hors d'usage. "On se débrouille", résume Maciej Psych Smykowski, presque gêné de nous accueillir ici. On n'a pas osé lui parler de cette affiche de campagne recouverte d'une pub pour McDonald's à quelques mètres du "siège". Ni de la réunion de préparation à la COP24, à laquelle franceinfo a assisté le 6 novembre et qui n'a rassemblé que six personnes... dans une ville aussi peuplée que Nantes. 

Les campagnes électorales, c'est quelque chose. On nous prend soit pour des dingues, soit pour des gens folklo. J'entends parfois les autorités dire que les Polonais sont costauds, donc qu'ils peuvent résister à la pollution. C'est fou de dire ça en 2018 !

Maciej Psych Smykowski

à franceinfo

Beaucoup auraient baissé les bras depuis belle lurette. Pas lui. "Moi, je crois dur comme fer à mes idées. On a vingt ans de retard", tape du poing celui qui a pris sa carte chez les écolos en 2007. Au fil des ans, il note "quand même" quelques changements de mentalité. "Les gens commencent à comprendre que c'est important parce qu'ils connaissent des proches qui souffrent de problèmes de santé à cause de la pollution." S'il devenait président de la Pologne, lui fermerait toutes les mines de charbon pour passer aux énergies renouvelables. "Le problème, c'est qu'aucun gouvernement n'a envie d'être celui qui fermera les mines. Politiquement, ce serait mauvais", lâche-t-il, amer. 

"C'est comme si la France avait organisé la COP21 au Tricastin"

La Pologne pâtit-elle d'un manque de courage politique pour entamer une réelle transition écologique ? Depuis son bureau du quatrième étage de l'Hôtel de ville de Katowice, Mariusz Skiba n'est pas d'accord. "Bien sûr qu'il faut arrêter l'exploitation des mines, mais on ne peut pas le faire du jour au lendemain, comme ça, brutalement, juge le premier adjoint au maire. Il faut une transition en bonne intelligence pour éviter un drame humain." 

D'ailleurs, la ville assure faire des efforts. Ainsi, le budget consacré à la protection de l'environnement n'a "jamais été aussi important" que cette année (600 000 euros). La mairie propose aussi des aides financières pour inciter les habitants à changer leur vieille chaudière à charbon. L'an dernier, 650 appareils ont ainsi pu être démontés. Il y a encore du travail : la ville en compte 30 000 au total. Des zones limitées à 30 km/h commencent aussi à fleurir en ville, des panneaux digitaux indiquent aux passants le taux de pollution en direct, des alertes SMS sont envoyées et des opérations de sensibilisation sont régulièrement organisées dans les écoles et les garderies.

L'application pour smartphone qui permet de suivre en temps réel la pollution de l'air, à Katowice (Pologne), le 6 novembre 2018. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Pas de quoi faire taire les critiques. "Disons les choses clairement. Organiser la COP24 à Katowice, c'est comme si la France avait choisi le Tricastin pour la COP21 en 2015", persifle Lukasz, guide touristique dans la région. C'est même assez risible." Mariusz Skiba n'y voit pourtant aucun paradoxe. "Pour nous, c'est un challenge, une marque de confiance. On sait qu'on n'est pas parfaits, mais on travaille pour que ça aille mieux."  

Malgré toute la bonne volonté du monde, le changement prendra du temps. Les lobbyistes des secteurs de l’énergie et du charbon ne semblent pas vraiment décidés à laisser filer leur gagne-pain. Les syndicats ouvriers non plus. "La fermeture de mines ne sera pas une bonne chose, on fait tout pour que ça n'arrive pas", lance à franceinfo l'un des délégués du secteur. En février dernier, la Cour de justice européenne a épinglé la Pologne pour non-respect des valeurs limites applicables aux particules fines dans l'air ambiant.

Mariusz Skiba, premier adjoint à la mairie de Katowice (Pologne), le 6 novembre 2018. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Le pays, qui compte 33 des 50 villes les plus polluées au monde, a jusqu'à 2030 pour atteindre son objectif de réduire à 60% la part d’électricité et de chauffage produite par le charbon. Au ministère de l'écologie, on promet avoir bien compris le message de l'Union européenne. "Un programme spécial a été adopté au début de l'année pour diminuer progressivement la part du charbon. C'est un changement radical", insiste le ministère auprès de franceinfo. Le drone va encore cumuler quelques heures de vol dans le ciel de Katowice avant d'être définitivement rangé au garage.

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