Le bilan de la catastrophe italienne de Seveso doit-il inquiéter les Rouennais ?
Le 12 juillet 1976, en Italie, à 25 km dans la banlieue nord de Milan, l’usine ICMESA de la firme Gévaudan, filiale d’Hoffman-Laroche, s’arrête net. Un de ses réacteurs chimiques a explosé, avec à l'intérieur, un fongicide : le trichorophénol. Pour obtenir une autre molécule utile à la fabrication de médicaments, la réaction devait se faire à 160 °C, pas de chance, la température est montée à 220 °C. La réaction s’est emballée et de la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine ou TCDD, une molécule de la famille des polychlorodibenzo-p-dioxines est sortie dans l’atmosphère.
D'après le centre international de recherche sur le cancer, la TCDD est l'une des dioxines les plus toxiques pour l'homme et la seule considérée comme cancérigène. Les dioxines, comme leurs cousins les furanes, sont des composés chimiques appartenant à des produits très dangereux.
Pourquoi la dioxine concentre toutes les inquiétudes ?
Les dioxines sont des polluants organiques persistants, indestructibles, c’est-à-dire non biodégradables. Elles sont produites lors de processus de combustion, s’accumulent dans les organismes et les chaînes alimentaires et aiment s’accrocher aux graisses.
Cette molécule inquiète les Rouennais et les habitants des zones potentiellement contaminées. On associe Seveso à la mort, au cancer, un peu comme Tchernobyl, ce qui n'est pas le cas mais il a quand même fallu exiler les voisins immédiats, détruire les bâtiments et retirer le sol sur 1m de profondeur et 1500 ha…
Si aucune victime humaine directe n'est à déplorer en Italie lors de l'accident de l'usine de Seveso, les conséquences environnementales ont nécessité une décontamination totale du site et la mort de plusieurs dizaines de milliers d'animaux d'élevage. Il n'y a pas eu de mortalité supplémentaire liée au cancer.
Pour être honnête, il y a eu une augmentation des cancers lymphatiques hématopoïétiques chez les femmes mais statistiquement peu significative. L’Italie a très vite mis en place un programme de suivi épidémiologique des populations. Un programme qui a fait école, et dont la France devrait s’inspirer !
Interprétation après l'enquête épidémiologique
Au plus près de l’usine, on remarque les premiers signes d'inflammation sur la peau des enfants : des cloques, des boutons. On appelle cela la chloracné, littéralement une acné liée à l’exposition au chlore. Il y a du chlore, dans les dioxines, 20 % chez les 214 enfants âgés de 3 à 14 ans qui se sont trouvés sous le nuage, et 48 % chez les voisins immédiats de l’usine. Pour l’ensemble de la population, c’est à peine 0,6 %.
On se souvient du visage du président ukrainien Viktor Iouchtchenko empoisonné en 2004 à la dioxine. Un faciès boursouflé de boutons, une allure abattue, un teint blême trahissant un mauvais fonctionnement du foie. Cela passe après une hospitalisation, et il n’y a eu aucun cas déclaré à Rouen.
Seveso, sept ans après la catastrophe
Plusieurs années après la catastrophe de Seveso, les effets de la contamination sur la reproduction sont avérés avec une baisse importante de la fertilité.
En 2000, c’est le professeur Mocarelli qui a démontré cela. Peu de temps après la catastrophe, il avait décidé de suivre 239 hommes et 296 femmes, de 1 à 45 ans durant plusieurs années avec des tests sanguins etc. Il a regardé ces personnes vieillir et a publié dans la plus prestigieuse revue médicale, The Lancet.
Que révèle la revue The Lancet ?
Les hommes alors âgés de moins de 9 ans avaient un quart de siècle après deux fois moins de spermatozoïdes que la normale, que ces spermatozoïdes étaient moins "motiles", c'est-à-dire que leur capacité à remuer était faible. Un effet qui n’a pas été mesuré chez les hommes qui avaient déjà démarré la puberté. Les hommes qui étaient âgés de moins de 19 ans lors de l’explosion ont fait… 41,5 % de garçons en moins que la normale ! C’est-à-dire deux fois plus de filles, normalement, d’une génération à l’autre, il y a presque autant de filles que de garçons.
Le professeur Mocarelli a établi une corrélation avec le niveau de contamination à la TCDD - mesurée à l'époque par des prélèvements sanguins. Plus les garçons ont été exposés, plus ils ont fait de filles. Ce qui ne veut pas dire qu’un homme sain fait des garçons, et un homme pollué fait des filles. C’est la première fois qu’on a démontré qu’un produit (perturbateur endocrinien), pouvait bouleverser une descendance.
Des effets délétères sur les descendants
On sait que les perturbateurs endocriniens peuvent potentiellement interférer avec le système hormonal, peut-être au niveau de la sexuation du fœtus.
Un futur garçon, un XY, ne le devient vraiment qu’à la 7ème semaine. À ce moment-là, le petit bout du chromosome Y se réveille - le gène SRY par exemple - et déclenche l'émission d’un tout petit peu de testostérone. Lequel provoque la masculinisation des tissus qui deviendront les organes sexuels. Sans cela, l’embryon XY sera morphologiquement fille.
Preuve aussi qu’une toute petite dose de dioxine, répétée, perçue par le corps comme une hormone femelle, peut tout changer : à Seveso, l’effet a été mesuré à 15 ng/ kg ! Soit 0,045 ml dans une piscine olympique. C’est-à-dire… une goutte.
Que doit-on craindre à Rouen ?
À Rouen aucun suivi n’a encore démarré mais l’exemple de Seveso démontre à quel point ce sera nécessaire. Il faut établir des "cohortes" à partir d’échantillons de sang et de tissus à faire immédiatement et les suivre pendant une génération. On a mesuré des taux de dioxines dans l’air rouennais quatre fois supérieur à ce qui est considéré comme toxique, mais ça ne veut rien dire tant qu’on n’a pas mesuré les effets sur les gens.
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