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Violences sexuelles sur mineurs : "On habitait dans une petite ville, nos parents connaissaient les gendarmes, on est passés pour des menteurs"

Un mois, jour pour jour après le lancement de l’appel à témoigner, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a recueilli plus de 4 200 témoignages. La Ciivise a entamé à Nantes mercredi une tournée en France pour présenter son travail et sa mission.

Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Première réunion à Nantes de la tournée de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, le 20 octobre 2021. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

"Voilà. J’ai le cœur qui bat un peu fort, la voix un peu coupée, entame une femme visiblement très émue. Ce n’est pas le Covid, c’est l’émotion", plaisante-t-elle. Elle a été la première à lever la main, mercredi soir à Nantes, première destination de la tournée de la Ciivise, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Dans le public, des adultes, des femmes en majorité ont raconté les abus qu’elles ont subis par le passé avec l’espoir que leurs récits serviront à protéger les autres enfants. Le visage rouge vif, Magali se rassoit sur sa chaise.

Quatre autres témoignages poignants suivent, comme celui de Sylvie abusée par ses parents pendant 13 ans. Parfois, les organisateurs tendent discrètement un paquet de mouchoirs. "Il fallait qu’il arrive quelqu’un de connu pour que les autres puissent entendre les voix des petits gens comme nous. On habitait dans une petite ville, nos géniteurs connaissaient les gendarmes, on est passés pour des menteurs, débute Sylvie, la voix tremblante, avant d’éclater en sanglots. Maintenant, ça fait plus 30 ans que s’est passé, poursuit-elle d’une voix étranglée. Et aujourd’hui, je me commence à me réveiller en me disant : il faut que je passe à autre chose. Mais comment, quand on a vécu tout ça ?

"Les policiers me disaient : 'les bleus ça aide à faire circuler le sang'"

Au tour de Zohra de prendre le micro : "À 14 ans, quand il m’a demandé de lui mettre la pommade sur le dos, il a fermé les volets et s’en est suivit…" Le  corps secoué de tremblements, elle raconte ce que lui a fait subir son père adoptif, entre 1994 et 1997. "Il m’expliquait que je grandissais et que c’était son rôle d’être mon éducateur. Ça a commencé par les câlins. Il avait une respiration très, très forte, d’autant plus qu’il était sourd", raconte-t-elle d’une voix désincarnée. Zohra s’est confiée à une assistante sociale qui l’a emmenée voir un juge. Mais à l’époque, ni le juge, ni les policiers ne l’ont crue. "Ce juge-là, je me souviendrais toujours de son visage. Il m’a pris de haut, m’a dit : ‘Je ne comprends pas, en plus elle bégaie’. En gros, j’étais une grosse menteuse. Je me suis tue. Je subissais tout le temps des violences, des violences. Et quand la police venait, on me disait : ‘Les bleus ça aide à faire circuler le sang.’ "

Pour Jessica âgée d’une trentaine d’années, les choses avancent. Son agresseur sera bientôt jugé. Mais depuis le dépôt de plainte ça a été un parcours du combattant. "J’ai été victime d’inceste à deux reprises. Ce qui est très dur dans le parcours, c’est de devoir, quand on peut, déposer plainte. Excusez-moi, j’ai beaucoup de respect pour les policiers et leur métier mais on a plus affaire à des portes qu’autre chose." 

"Je comprends que ces personnes-là, de par ce qu’elles voient tous les jours, se désensibilisent progressivement à l’horreur qu’on peut vivre. Mais on n’est pas là pour se justifier de ce qu’on a vécu."

Jessica, victime d’inceste

à franceinfo

"Merci d’être venus. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour être à la hauteur de la confiance que vous nous faites", promet Édouard Durant à la fin de la réunion. Pour le co-président de la commission inceste l’amélioration de la prise en charge des victimes est une priorité. "160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, 70% de classements sans suite, moins de 1 000 condamnations par an, toutes violences sexuelles confondues… Il y a donc un grand travail à faire sur toute la chaîne du repérage, aux poursuites pénales en passant par l’enquête elle-même. Des compétences professionnelles existent qui nous permettent déjà de renforcer cette chaîne de protection", se veut-il, encourageant.

"J’espère que vous ne serez pas déçus, répète-t-il toutefois en prenant congé individuellement des participants. En tous cas, je ferai tout ce que je peux", promet-il.

La Ciivise a entamé mercredi une tournée à Nantes pour aller à la rencontre des victimes de violences sexuelles - reportage de Sandrine Etoa-Andegue.

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