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Tabac : les tests sur les substances nocives présentes dans les cigarettes ont-ils été truqués ?

Une plainte déposée par le Comité national contre le tabagisme vise les filiales françaises de quatre cigarettiers. Dans son viseur, les tests réalisés pour mesurer les substances nocives.

Article rédigé par franceinfo - Lison Verriez
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une femme fume une cigarette. (image d'illustration) (ERIC FEFERBERG / AFP)

Après le "dieselgate", le "filtergate" ? Le Monde a mis en lumière, vendredi 9 février, une plainte déposée début février par le Comité national contre le tabagisme (CNCT) visant les filiales françaises de quatre cigarettiers. Dans son viseur : un système de micro-trous dans les filtres, qui ferait baisser le taux des substances dangereuses, uniquement lorsque la cigarette est testée par une machine. Selon le CNTC, certaines marques de cigarettes pourraient contenir dix fois plus de nicotine et de goudron que ce que les tests peuvent déceler. Franceinfo se penche sur un dossier potentiellement embarrassant pour les cigarettiers.

De quoi sont accusés les cigarettiers ?

D'après Le Monde, le CNCT accuse British American Tobacco, Philip Morris, Japan Tobacco et Imperial Brands de "mise en danger délibérée de la personne d'autrui". Les taux officiels du goudron et de la nicotine mesurés par les tests actuels seraient largement inférieurs à la réalité.

Selon la plainte du CNTC, consultée par Le Monde, "la teneur réelle en goudron serait, selon les sources, entre deux et dix fois supérieure pour le goudron et cinq fois supérieure pour la nicotine". 

Comment seraient truqués ces tests ?

Ici, contrairement au "dieselgate" qui a éclaboussé Volkswagen, pas de logiciels pour truquer les résultats. Les modifications présumées passent tout simplement par les filtres des cigarettes eux-mêmes. Ces derniers, présents sur la quasi-totalité des cigarettes vendues sur le marché, sont constitués de micro-orifices invisibles à l'œil nu. Avec ce dispositif, la fumée inhalée est ventilée par le biais du filtre. S'opère alors, en théorie, une dilution de la fumée et des substances qu'elle contient.

Mais en réalité, selon le CNCT, si la dilution s'opère sur une machine à fumer règlementaire, qui mesure les substances dans les cigarettes, sur un fumeur, le résultat est bien différent. "Contrairement à une machine à fumer, le fumeur va mettre ses doigts et ses lèvres sur le filtre, et les trous sont alors bouchés, détaille pour franceinfo le professeur Yves Martinet, président du CNCT. Les taux de goudrons sont entre 2 et 10 fois supérieurs pour le goudron et 5 fois supérieurs pour la nicotine."

Les fumeurs qui pensent fumer un paquet par jour en fument, en fait, l'équivalent de deux à dix.

Le CNCT

dans un communiqué

"Aujourd'hui, 97% des cigarettes comportent des perforations invisibles du filtre", souligne le CNCT.  Pour vérifier si les cigarettes sont munies de ces filtres "troués", Yves Martinet invite les fumeurs à isoler leur filtre, à enlever ce qu'il contient puis à poser le papier sur une lampe torche assez puissante. Certaines marques comptent jusqu'à quatre lignes de "micro-trous".

Cette pratique est-elle courante ?

"C'est un phénomène qui était connu", confirme Yves Martinet. Tellement connu que le CNCT a basé la plupart de ses recherches et de ses ressources sur des documents... appartenant à l'industrie du tabac. "C'est en observant leurs propres documents qu'on s'est rendu compte de l'étendue du scandale sanitaire", ajoute-t-il.

Déjà en 1982, la justice suisse voyait s'affronter British American Tobacco et quatre concurrents, dont Philip Morris et RJ Reynolds. Ces derniers accusent BAT d'avoir mis sur le marché une cigarette allégée en goudron et en nicotine et s'agacent de la communication de leur concurrent. Ils font valoir au juge, dès le 6 mai 1983 : "Si les indications figurant sur les emballages de la cigarette Barclay sont exactes lorsque la cigarette est testée au moyen d'une machine standardisée, ces résultats sont totalement différents lorsque la cigarette Barclay est fumée par une bouche humaine." Ils évoquent aussi "quatre canaux périphériques dont est muni le filtre".

Le Monde rappelle qu'en 2014, l'historien des sciences Robert Proctor avait consacré tout un chapitre de son livre, Golden Holocaust : la conspiration des industriels du tabac, aux filtres troués.

Du côté des centres qui réalisent les tests, le Laboratoire national de métrologie et d'essai, agréé pour gérer ces contrôles en France, explique au Monde que "les tests sont menés selon les normes en vigueur, mais aucune mesure particulière n'est prise selon les cigarettes, en fonction de la présence possible de tels micro-orifices dans les filtres".

Quel est l'objectif de cette plainte ?

Le CNCT annonce, par le biais de son communiqué, que des poursuites pénales sont "également initiées dans d'autres pays (Pays-Bas, Suisse) avec le soutien d'associations de malades". "L'objectif, c'est qu'avec ce procès, on démontre encore une fois que l'industrie du tabac trompe et est inqualifiable en termes de comportements", assure Yves Martinet.

C'est une tromperie. Les trous n'ont aucun autre intérêt que de tromper la machine et, à terme, les fumeurs.

Yves Martinet

à franceinfo

Depuis mai 2016, les taux de goudron et de nicotine ne sont plus inscrits sur les paquets neutres. "C'est exact, explique au Monde Pierre Kopp, l'avocat du CNTC, mais jusqu'à cette date, les fumeurs ont été trompés sur la quantité de goudron et de nicotine à laquelle ils étaient exposés et ces faits ne sont pas prescrits". 

Autre fondement de la plainte évoqué par l'avocat : la duperie des institutions sanitaires. "Les teneurs en goudron, nicotine et monoxyde de carbone ne doivent légalement pas excéder certains seuils et la présence de ces micro-orifices de ventilation trompe les autorités sanitaires, qui ne peuvent effectuer les contrôles ad hoc de manière crédible."

Comment réagissent les cigarettiers ?

Contactée par Franceinfo, la Seita, branche de Imperial Brands, "ne souhaite pas commenter cette procédure pour le moment, dans la mesure où nous n’avons pas reçu notification de la plainte. Néanmoins, nous reprécisons ici que nous respectons les normes européennes et que nos cigarettes sont toutes contrôlées par un laboratoire indépendant, agréé par l’Etat, le Laboratoire national d’essai (LNE)".  Philip Morris, également contacté par franceinfo, n'a pas non plus souhaité faire de commentaires.

Japan Tobacco International se dit "surpris d’apprendre dans la presse ce matin qu’une telle plainte a été déposée. Nous opérons [des contrôles] en France et dans tous les pays où nous commercialisons nos produits en toute conformité avec la loi, et nos produits font l’objet de contrôles réguliers par les autorités sanitaires."

British American Tobbaco (BAT) a appris la nouvelle par voie de presse. Dans un communiqué de presse, vendredi, le groupe affirme qu'en France il suit "strictement les standards ISO 8243 de la Commission européenne qui précise les teneurs en goudron, nicotine et monoxyde de carbone qui composent les produits du tabac. De plus, BAT mène ses propres mesures, qui peuvent toujours faire l’objet d’un contrôle en toute indépendance par le Laboratoire National de métrologie et d’Essais (LNE)."

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