Consommation de drogues chez les jeunes : la France "en retard" dans la prévention
Cocktails médicamenteux, codéine, sirop pour la toux, MDMA... le professeur Amine Benyamina, chef du service d'addictologie à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif a fait le point sur les nouvelles dépendances, lundi sur franceinfo.
À l'occasion de la 30e journée mondiale de lutte contre l'abus et le trafic de drogues, le professeur Amine Benyamina, chef du service d'addictologie à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif, a estimé lundi 26 juin sur franceinfo que la banalisation des drogues chez les jeunes en France est "un phénomène grave qui est en train de se mettre en place".
Le professeur, également président de la Fédération française d'addictologie, affirme aussi au sujet des nouvelles drogues de synthèse type MDMA, que "la science, la police, les cliniciens ont toujours un retard sur ce type de drogue", d'autant que la facilité d'accès à ces produits est dopée par un "marketing international" très "puissant".
franceinfo : Les cocktails de médicaments qui agissent comme des drogues sont-ils fréquent ?
Amine Benyamina : C'est de plus en plus fréquent. Cela se banalise, avec une méconnaissance complète des risques létaux qu'encourent ces jeunes qui consomment. Pour la petite histoire, j'ai appris la consommation de la codéine incidemment, au cours d'une discussion privée. Les bras m'en sont tombés, parce que la personne qui m'en parlait ignorait complètement ce qu'est la codéine, et elle n'avait pas 18 ans. Je me suis dit qu'il y avait un phénomène grave et qui est en train de se mettre en place chez nous en France.
Quels sont les effets sur l'organisme ? Et les risques pour les adolescents ?
La codéine est de la même famille que l'héroïne. Ça a un effet très antalgique, un effet d'excitation moyenne, de bien-être. Cela modifie les perceptions des choses. Le risque est probablement d'avoir un arrêt respiratoire quand on dépasse la dose, parce qu'on vient saturer les récepteurs au niveau respiratoire. On ne sait pas ce qu'on consomme et d'ailleurs on consomme rarement ces produits tranquillement à la maison, mais plutôt dans un cadre festif, avec un mélange des produits stimulants et sédatifs, qui baissent l'activité respiratoire. Le mélange avec de l'alcool, avec de la déshydratation, avec un corps mis à l'épreuve... tout cela risque hélas d'emporter nos jeunes. Alors que ce n'était pas le but de cette consommation.
#drogues Le professeur @Prabenyamina confirme la vogue actuelle des cocktails médicamenteux : "cela se banalise" pic.twitter.com/ZUyweVuQKA
— franceinfo (@franceinfo) 26 juin 2017
On peut donc mourir de ce genre de prise de médicaments ?
Il est possible de mourir. Évidemment tous ceux qui consomment de la codéine ne vont pas en mourir. C'est un produit distribué en pharmacie, délivré généralement sous prescription. Ce n'est pas le cas hélas pour ce type de détournements.
Ces médicaments sont vendus sans ordonnance, ne faut-il pas changer la règle ?
On appelle ça de tous nos vœux. Il faut changer la règle, faire une information très claire. Notamment lorsque l'on a affaire à des mélanges de molécules, comme entre la codéine et le paracétamol. Il faut une information claire, jeter un coup d'œil dans les pharmacies familiales... qui n'a pas du paracétamol ? On a affaire à une méconnaissance qui fait le lit de la banalisation de ce type de produits.
Peut-on devenir accro à un sirop ? À quoi les parents doivent-ils être vigilants ?
Rappelons tout de même que parler de drogues n'est pas forcément parler d'addiction. On peut avoir une consommation de drogues sans être addict. Si dans le sirop, il y a un principe actif réputé qui peut rendre dépendant, oui. Les parents doivent être vigilants aux changements de comportement de leur adolescent. Un élément intéressant est la chute des résultats scolaires, la manière avec laquelle on se présente, lorsqu'on ne s'occupe pas beaucoup de soi, et puis lorsqu'il y a des problèmes d'argent, des vols. Là, on est dans la panoplie grandissante de l'expérimentation puis de l'addiction.
Il y a aussi les drogues de synthèse comme la MDMA, une forme d'amphétamine, à des prix très bas... quelle est l'ampleur de ce phénomène ?
Il est général et inquiétant. Parmi les tendances des drogues actuelles, celles qui ont vu décupler leur prévalence, ce sont les NPS, les nouveaux produits de synthèse. L'alerte a été donnée auprès de l'ONU. C'est particulier parce que ce sont des drogues qui arrivent par la Poste ! Elles sont fabriquées dans des usines à des milliers de kilomètres de la France, vendues à des prix modiques, et ont une cible particulière : les jeunes qui font la fête. Elles sont très difficiles à gérer parce que ce sont des drogues qu'on ne repère qu'après des accidents. La science, la police, les cliniciens ont toujours un retard sur ce type de drogue.
Il faut avoir conscience du marketing international autour de ces drogues. Le chiffre d'affaires est monstrueux.
Amine Benyamina, chef du service d'addictologie à l'hôpital Paul Brousse de Villejuifà franceinfo
Comment peut-on débanaliser l'usage de la drogue aujourd'hui ? Faut-il faire des actions de prévention dans les collèges et lycées, notamment sur les médicaments codéinés ?
Il faut en parler, expliquer dans le langage et la culture qui est la leur, que c'est un risque réel. La prohibition telle qu'elle est construite depuis 1970 en France permet au trafic international de grossir et de devenir extrêmement puissant : le marché noir capte notre jeunesse. En France, on est un peu en retard. Il faut faire de la prévention. Il faut le faire par le biais d'un langage qui fasse mouche auprès de la jeunesse. Refaire les campagnes des années 1980-90 me semble voué à l'échec. Il faudrait utiliser les mêmes canaux que les trafiquants pour toucher cette jeunesse, Instagram, Snapchat, etc. pour pouvoir ringardiser cette consommation.
Comment se désintoxiquer ?
Naturellement, une grande partie de ceux qui ont expérimenté vont lâcher cela à partir d'un certain âge. À 22, 23, 24 ans, on s'investit dans autre chose, dans son travail, sa vie conjugale... Ceux qui n'y arrivent pas, il faut leur tendre la main. Il y a les consultations jeunes consommateurs, il y a les services hospitaliers, les associations d'usagers qui connaissent bien ces questions et qui peuvent donner un avis aux décideurs politiques. Comme on a une nouvelle Assemblée, peut-être est-il utile de prendre à bras le corps cette question et d'ouvrir le débat sur le risque des drogues chez les jeunes en France.
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