Des cures thermales qui améliorent la fertilité ?
En France, il existe aujourd’hui 89 stations thermales, fréquentées par 600 000 personnes. Certains patients disent en ressortir en meilleure forme.
Le remboursement de ces cures coûte 265 millions d’euros par an à la sécurité sociale. Elles sont prescrites dans différents domaines : la rhumatologie, les voies respiratoires ou encore la gynécologie.
Des traitements contre l'infertilité
Dans la liste des nombreuses pathologies traitées, l’une d’entre elles a attiré notre attention : l’infertilité. Plusieurs établissements affirment pouvoir la soigner ; sur leurs sites internet, on peut lire : “Une alternative naturelle et efficace à l’infertilité” ou encore “Des bébés sont nés après une cure dans nos murs…”
C’est le cas d'une station thermale dans le Sud-Ouest de la France, où nous avons pu nous rendre. Elle a bâti sa renommée sur le traitement de l’infertilité.
Chaque année, l’établissement accueille plusieurs centaines de femmes. Des patientes qui voient souvent dans cette cure leur dernier espoir pour avoir un enfant. C'est ce que nous raconte une femme de 43 ans, qui a derrière elle un parcours très difficile :
Je tente et je n'ai rien à perdre. C’est l'une de mes dernières chances.
Patiente en cure thermale pour infertilitéà l'Oeil du 20h
Durant 3 semaines, elle reçoit plusieurs soins par jour, notamment des irrigations vaginales. Elles se font à l'aide d'une canule que l'on introduit dans le vagin. Une soignante de la cure nous explique à quoi sert ce traitement : “le but du jeu c’est de faire écouler les 2 litres de liquide en 20 minutes de bain, pour qu’on bassine l’intérieur de l’utérus, mais sans le noyer”.
Coût de la cure : environ 500 euros, remboursés en quasi-totalité si la patiente est en PMA, procréation médicalement assistée.
Sur ses murs, l’établissement est fier d’afficher les faire-parts de naissance envoyés par d’anciennes patientes. Des témoignages qui prouveraient selon la direction l’efficacité des soins.
Un discours médical surprenant
Mais le discours tenu aux patientes a parfois de quoi surprendre. Nous nous rendons dans un autre établissement spécialisé en gynécologie, en nous présentant comme un couple infertile.
Avant d’accéder aux bains, il faut rencontrer le médecin thermal. Ce dernier nous explique le déroulé des soins. D'abord, la "columnisation" : c'est une "compresse vaginale d’eau thermale, qu’il faut laisser dans le vagin pendant au moins 1h".
Après quelques minutes de conversation, nous l’interrogeons sur l’efficacité des traitements, et sa réponse est étonnante :
On ne sait pas… On ne sait pas comment ça marche. On sait qu’on a une action, mais c’est comme lorsque vous allez à Lourdes, que vous guérissez d’un truc : on ne sait pas.
Un médecin thermalà l'Oeil du 20h
Alors y a-t-il des éléments scientifiques sur l’efficacité de ces cures gynécologiques ? Nous avons contacté le Conseil National des Établissements Thermaux, qui représente ces structures de soin. Il reconnaît qu’il n’existe à ce jour aucune étude sur le sujet.
L'un de ses représentants nous le confirme par téléphone : “Pour le moment, il n’y a rien, il n’y a rien de probant. Aujourd’hui, je ne me risquerais pas à vous dire que l’eau thermale guérit l’infertilité, ce n’est pas vrai. Si c’était vrai, j’adorerais, mais ça ne marche pas du tout comme ça”
Nous avons montré les images des soins dispensés dans ces cures à la présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens de France, Joëlle Belaisch-Allart. Elle se dit sidérée :"je ne vois pas comment une irrigation vaginale pourrait modifier une ovulation, ça m’échappe complètement… En fait, sérieusement : c’est impossible".
D’après elle, ces soins ne sont pas seulement inutiles… Ils sont également déconseillés.
On ne recommande pas les douches vaginales en gynécologie. Je me demande même si ça ne peut pas avoir un effet néfaste.
Joëlle Belaisch-Allart, Collège national des gynécologuesà l'Oeil du 20h
Un lobby économique... et politique
Mais alors, comment ces cures contre l’infertilité peuvent-elles être remboursées ? On vous explique.
Aujourd’hui, pour qu’un soin soit pris en charge par l’assurance maladie, il doit d’abord être évalué par la Haute Autorité de Santé. Elle statue sur son efficacité, ce qui permettra de déterminer son remboursement.
Mais les cures thermales font exception. Leur efficacité n’a jamais été évaluée par la HAS ; pourtant, elles sont quand même remboursées.
Ces dernières années, plusieurs députés se sont attaqués sans succès à ce qu’ils considèrent comme une anomalie, en proposant, comme Thomas Mesnier en 2022, un amendement sur “le conditionnement du remboursement des cures thermales à leur efficacité”.
En 2008, c’est ce qu’avait déjà tenté de mettre en place Yves Bur, aujourd’hui à la retraite. Selon lui, il existe un lobby économique porté par des élus des villes thermales, qui empêcherait toute réforme.
Car les cures rapportent beaucoup à l’économie locale : jusqu’à 5 milliards d’euros de retombées chaque année.
On défend d’abord le modèle économique : ces villes dépendent du thermalisme, une économie avec hôtellerie, restauration, etc... C’est la sécurité sociale qui finance ce modèle économique local.
Yves Bur, ancien députéà l'Oeil du 20h
Face à ces critiques, les défenseurs du thermalisme répondent que le remboursement des cures thermales ne représente que 0,15% des dépenses de l’Assurance Maladie.
Parmi nos sources
Le Conseil National des Etablissements Thermaux
Le collège national des gynécologues et obstétriciens de France
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