Artiste, ami des éclopés, croqueur de nénuphars... Qui est Néandertal, ce cousin trapu disparu il y a 35 000 ans ?
Le Musée de l'homme a inauguré, mercredi 28 mars, une grande exposition consacrée à "Homo neanderthalensis" qui se tient jusqu'au 7 janvier 2019 à Paris. L'occasion de dresser le portrait de cet homme qui nous ressemble... à quelques détails près.
Tremble, Sapiens ! Avec la grande exposition qui se tient au Musée de l'homme jusqu'au 7 janvier 2019, à Paris, l'homme de Néandertal peut enfin fredonner le refrain de Serge Reggiani : "Du jour au lendemain, je devins un' vedette / Journaux, télévisions, y'en avait que pour moi / Tant et si bien du rest' que les autres squelettes / Se jugeant délaissés me battaient un peu froid." Car l'heure est à la réhabilitation de cet Homo neanderthalensis qui vécut, à la louche, de 350 000 à 35 000 ans avant notre ère, en Europe et dans une partie de l'Asie.
Mais à quoi ressemblaient ces cousins qui tirent leur nom de la vallée allemande de Néander, où le premier crâne de l'espèce fut découvert en 1856 ? Que mangeaient-ils ? Comment se couvraient-ils ? Eléments de portrait d'un homme fort éloigné du crétin congénital auquel l'assimilent les clichés en vogue depuis le XIXe siècle.
"Un très grand chasseur, qui mangeait tout"
Bison, cheval, renne, chamois, oiseaux... Néandertal faisait feu de tout bois, et de toute chair car il était d'abord "un très grand chasseur, qui mangeait tout, du lapin au mammouth", résume à franceinfo l'archéologue Ludovic Slimak, spécialiste des dernières sociétés néandertaliennes. Pour trouver des espaces giboyeux, cette population s'est beaucoup déplacée, peuplant (avec une faible densité) "la moitié centre et ouest de l’Eurasie. Globalement du pays de Galles ou du Portugal jusqu’en Altaï [dans le sud de la Sibérie, en Russie], sur environ dix millions de km2", précise Pascal Depaepe, l'un des deux commissaires scientifiques de l'exposition du Musée de l'homme.
Dans cet immense territoire (plus de 8 000 km d'ouest en est), l'homme de Néandertal a bougé "en fonction de deux phénomènes", explique à franceinfo ce spécialiste, qui dirige l'Institut national de recherches archéologiques préventives des Hauts-de-France. Le premier est "géographique" : Néandertal s'étend vers l'est, jusqu'aux confins du continent. Il y a 130 000 ans, il atteint la Sibérie, mais s'implante aussi dans le Kurdistan irakien actuel (comme l'attestent les sépultures de Shanidar), ou encore au Proche-Orient. Le second est climatique : il y a 65 000 ans, en période glaciaire, les groupes néandertaliens désertent le nord de la France et la Grande-Bretagne prise sous les glaces, faute de pouvoir se nourrir. "Il n’y a pas de végétation, analyse le chercheur, donc il n’y a pas d’animaux. Et s'il n'y a pas d'animaux, il n’y a pas de chasseur. Or Néandertal était un chasseur."
Au menu : moelle crue, nénuphar... et (parfois) un morceau de bras du voisin
S'il était très carnivore, Neandertal consommait également des plantes. "Certes, en quantité moindre que ce que prônent les journalistes santé et tous nos médecins de famille, mais il mangeait quand même des végétaux, et même des végétaux cuits, plaisante Pascal Depaepe. Peut-être sous forme de bouillies, peut-être sous forme de galettes, on ne le sait pas, mais c’était cuit !" Le tartre dentaire de Néandertal l'a prouvé, mettant en évidence des traces de graminées chauffées.
En 2010, des analyses "ont révélé des traces de datte à Shanidar [Irak], de légumineuses, de rhizomes de nénuphars à Spy [Belgique], de graminées sauvages à Payre [en Ardèche]", détaille l'autre commissaire scientifique de l'exposition, Marylène Patou-Mathis, dans Néandertal de A à Z (Allary éditions, 2018). Avec des ingrédients plausibles, la scientifique a imaginé quelques menus d'époque, dans un roman intitulé Madame de Néandertal, journal intime (éd. Nil, avec Pascale Leroy, 2014). Ses héros se délectent ainsi de "moelle crue accompagnée de champignons pour commencer, puis un lièvre rôti à la broche et des galettes de graminées cuites dans la cendre", avant d'arroser le tout d'une "boisson à base de genièvre mariné" et d'une poignée d'airelles.
Voilà pour la nourriture la plus avouable. Car Néandertal partage avec Sapiens (nous, donc) un péché moins mignon : le cannibalisme.
Il pratiquait un cannibalisme qui pouvait être rituel, de type religieux [manger un morceau de son ennemi]. Ou un cannibalisme alimentaire du type : 'J'ai un petit creux, je vais manger quelqu'un.' Mais avant de juger, rappelons que les pratiques de cannibalisme ont persisté à travers les siècles.
Le paléolithicien Pascal Depaepeà franceinfo
A cette alimentation somme toute équilibrée, notre homme préhistorique ajoutait des plantes à usage pharmaceutique. Une fois de plus, le tartre dentaire a été bavard. "On a retrouvé trace de végétaux qui ne sont pas a priori destinés à une consommation strictement alimentaire, mais plutôt de type pharmacopée, s'émerveille Pascal Depaepe. Et notamment des bourgeons de peuplier, ou de saule, qui contiennent l’acide salicylique... présent dans l’aspirine."
En herboriste averti, Neandertal tentait aussi d'apaiser le mal de dent. "On s’est rendu compte que l'un d'eux, qui souffrait d'abcès dentaire, consommait des moisissures de champignon, soit une sorte de pénicilline. Un antibiotique naturel, quoi", poursuit l'intarissable Pascal Depaepe. Faut-il attribuer à ces vertus médicinales la longue présence des Néandertaliens sur la Terre ? Car, s'extasie encore le chercheur, "leur épopée est incroyable : ils ont tout de même survécu 300 000 ans, soit 17 000 ou 18 000 générations", dans des conditions parfois extrêmes.
Un physique adapté au froid
Comment a-t-il fait, d'ailleurs, pour survivre si longtemps ? Si son crâne ovoïde, son front fuyant, son absence de menton et sa visière osseuse au-dessus des yeux le feraient aujourd'hui juger laid, sa peau pâlotte et son physique – petit et costaud – sont ses meilleurs alliés pour supporter la période glaciaire : "En climat froid, il vaut mieux être trapu parce que vous limitez vos échanges caloriques avec l’extérieur", expose Pascal Depaepe.
Pour résister à des froids intenses, cet Eurasien ne comptait pas sur sa seule énergie calorique. Il prélevait sur les bêtes des peaux pour se vêtir. Madame de Néandertal couchait-elle tendrement ses enfants grelottants "sous une double épaisseur de peau de bison et de fourrure de loup", comme l'imagine Marylène Patou-Mathis dans son roman ? Mystère, mais des peaux, au-delà de l'usage vestimentaire, ont bien servi à protéger du vent les Néandertaliens à l'entrée des grottes où ils vivaient. Et ils les utilisaient probablement dans les abris de plein air où ils se réfugiaient. Reproduit ci-dessous, le campement de la Folie, à Poitiers (Vienne), vers 60 000 ans avant notre ère, les montre capables d'édifier une palissade pare-vent en forme de cercle, d'une dizaine de mètres de diamètre.
Si proche de nous, Néandertal serait-il l'un de nos grands-pères ? Non, assurent les spécialistes, il n'était qu'un cousin.
L’histoire des 'Homo sapiens', dont nous descendons tous, n’est pas celle de Néandertal, parti d’Afrique pour l’Asie où il est resté séparé des Africains pendant 500 000 ou 600 000 ans. Ce n’est biologiquement pas la même histoire.
Ludovic Slimak, chercheur au CNRSà franceinfo
Toutefois, nuance Pascal Depaepe, "la paléogénétique a montré en 2010 sur l’ADN nucléaire que les Eurasiatiques avaient en eux un pourcentage léger mais réel de gènes issus des Néandertaliens : 2 à 3%. C'est ce qui reste du croisement fertile entre Néandertal et Sapiens qui s'est produit au Proche-Orient il y a 80 000 ans. Cette hybridation féconde me fait dire que Néandertal est moins une autre espèce que la nôtre qu'une 'sous-espèce'."
Une disparition encore mystérieuse
Espèce ou sous-espèce, Néandertal a disparu il y a environ 35 000 ans, sans que l'on sache pourquoi. Conflit ? Virus ? Déclin ? Toutes les hypothèses sont évoquées dans une des dernières salles de l'exposition du Musée de l'homme. Et le mystère nourrit les controverses. "Si je connaissais la raison, je serais célèbre à défaut d’être riche !" rigole Pascal Depaepe. Lui penche pour un "affaiblissement démographique" dû au faible nombre. "Les Néandertaliens ont vécu très éclatés sur de grands territoires pendant plusieurs milliers d’années. Quand vous êtes un petit groupe où il ne reste que trois ou quatre femmes, vous pouvez aisément disparaître", détaille-t-il.
Ludovic Slimak ne l'entend pas ainsi. Pour lui, l’Homo sapiens "rentre forcément dans l'équation" de cette extinction. "Entre 40 000 et 45 000 ans avant notre ère, note-t-il, les Néandertaliens tardifs sont de stricts contemporains de l’arrivée de l’Homo sapiens en Europe. Je ne dis pas que Sapiens a éliminé Néandertal, je dis qu'il a joué un rôle." Quelle que soit la clé de l'énigme, Pascal Depaepe voudrait que l'on retienne cette idée simple : "Néandertal était une véritable humanité, aussi complexe que nous. Ni inférieure, ni supérieure. Différente."
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