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Comment le "purple drank", un cocktail à base de sirop pour la toux, est devenu "la drogue de secours" des jeunes

L'ANSM s'inquiète de l'usage détourné de médicaments composés de codéine et de prométhazine. Ce nouveau mélange, dangereux, est très prisé chez les adolescents.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
De plus en plus de jeunes boivent du "purple drank", un mélange de sirops à la codéine et à la prométhazine ajoutés à du soda. (CHASSENET / BSIP / AFP)

Sirop contre la toux, antihistaminique et une pointe de Sprite pour faire passer le tout. Non, il ne s'agit pas d'un remède de cheval contre la rhinopharyngite mais bien du dernier cocktail à la mode chez les jeunes. De plus en plus d'adolescents et de jeunes adultes consomment en effet du "purple drank" en France, rapporte l'Agence nationale de la santé et du médicament (ANSM). Et il y a de quoi s'inquiéter, selon l'alerte que l'autorité sanitaire a lancée, jeudi 10 mars.

Le "purple drank" est un mélange de sirops à la codéine et à la prométhazine, ajoutés à du soda, né aux Etats-Unis dans les années 1990. La boisson, qui tire son nom de sa couleur violette, a gagné en popularité ces dernières années grâce aux rappeurs américains. Soulja Boy, Future ou encore Lil Wayne – qui a pourtant fini à l'hôpital en 2013 à cause de ce mélange – y font régulièrement allusion dans leurs chansons. Et, comme leur musique, le "purple drank" a traversé l'Atlantique.

Une consommation sous-estimée mais en hausse

"Les premiers cas [d'intoxication] nous ont été signalés en 2013", se souvient Nathalie Richard, directrice adjointe des médicaments en neurologie et addiction à l'ANSM, interrogée par francetv info. "Mais des pharmaciens se sont plaints assez récemment de demandes intempestives d'adolescents. Nous avons également reçu des signalements provenant de nos centres d'addicto-vigilance, mais aussi de parents inquiets."

Difficile pour autant de savoir combien de jeunes consomment du "purple drank". "Nous avons reçu entre janvier et août 2015, 18 signalements étayés dont huit hospitalisations mais, comme pour tous les mésusages de médicaments, nous faisons face à une sous-notification des cas, souligne Nathalie Richard. Ce qui est certain, c'est que nous avons un faisceau de preuves qui montre que cette pratique est en augmentation."

De plus en plus de "siroteurs" sur les réseaux sociaux

Une simple recherche sur les réseaux sociaux suffit pour constater que de nombreux jeunes sont amateurs de "purple drank". Un compte Twitter français consacré à la "lean", l'autre surnom de cette mixture, s'est même créé il y a quelques mois. "Nous sensibilisons ceux qui boivent ce mélange sans connaître les risques qui y sont liés, affirment les deux administrateurs, âgés de 18 et 19 ans. Et nous divertissons les consommateurs 'confirmés'." 

Ces deux objectifs semblent pourtant impossible à combiner : si les deux jeunes hommes affirment ne pas faire d'incitation à la consommation, leur fil Twitter regorge de photos faisant la promotion de la boisson violette. Les administrateurs reconnaissent d'ailleurs – et assument – que "leur position est ambiguë".

Capture d'écran d'un compte Twitter français sur le purple drank. (TWITTER)

Mais ils ne sont pas les seuls à partager ce genre d'images. "J'ai découvert le purple drank il y a moins d'un mois, sur le compte Instagram d'un ami", explique Claire, 17 ans, contactée par francetv info. Après quelques recherches pour se renseigner sur le produit, la jeune fille se lance. "Je suis allée à la pharmacie et j'ai demandé du sirop à la codéine et du sirop à la prométhazine, très naturellement, explique-t-elle en riant. La pharmacienne m'a regardée d'un air suspicieux mais elle m'a quand même donné les médicaments."

Des pharmaciens vigilants

Comme Claire, de nombreux jeunes se procurent ces sirops, vendus sans ordonnance, sans difficulté. Les pharmaciens tentent pourtant de les repérer depuis la mise en garde de l'ANSM.

S'ils viennent et nous demandent une marque précise, on se méfie. Il est rare que les gens soient aussi précis lorsqu'ils demandent un traitement pour la toux.

Julien Arékian, pharmacien à Montrouge (Hauts-de-Seine)

à francetv info

Pour s'en assurer, certains praticiens proposent alors un autre sirop, sans codéine. "S'ils refusent sans explication, on sait qu'ils voulaient faire du 'purple drank'", poursuit Julien Arékian. Mais il suffit souvent aux jeunes de "faire plusieurs pharmacies" ou d'envoyer un ami avec "une bonne tête" pour obtenir ces médicaments. "Parfois, je fais semblant de tousser ou je dis que c'est pour un proche malade", ajoute Issa*, un jeune homme de 20 ans.

Hallucinations, maux de ventre, etc.

Selon la dizaine de jeunes interrogés par francetv info, le but recherché est toujours le même : "se détendre". "Le 'purple drank' donne la sensation de flotter, ça endort", explique Lola*, une Parisienne de 17 ans. Bakel, qui y ajoute des cachets à la codéine pour renforcer l'effet, a lui l'impression que "le temps passe au ralenti".

Mais les effets secondaires, liés au surdosage de ces médicaments, sont nombreux. A commencer par les hallucinations. "Une fois, je marchais dans la rue et j'ai cru que j'étais attaqué par des requins roses qui sortaient de l'eau du caniveau – qui était d'ailleurs violette", reconnaît Bakel. Claire, elle, s'est déjà "grattée jusqu'au sang". Il y a aussi les bouffées de chaleur, les palpitations, les vomissements ou les maux de tête "qui peuvent parfois durer deux jours".

La première fois que j'en ai pris, en janvier, j'ai eu tellement mal au ventre que je suis tombé par terre.

Woodly

à francetv info

Pas de quoi refroidir ce lycéen de 17 ans. "J'ai continué à en boire environ une fois par semaine depuis, explique-t-il. Hier, j'ai eu du mal à respirer pendant 10 minutes."

Huit jeunes hospitalisés en 2015

Si les symptômes de Woodly ont disparu seuls, au moins huit jeunes Français ont fini à l'hôpital après avoir consommé du "purple drank", en six mois en 2015, rapporte l'ANSM. La mixture, qui peut causer "des convulsions ou une perte de connaissance", selon Nathalie Richard, a aussi provoqué "des comas et des dépressions respiratoires, pris en charge en service de réanimation".

Aucun cas mortel d'intoxication au "purple drank" n'a jusqu'ici été recensé en France. Mais une overdose de cette boisson a causé la mort du rappeur américain Pimp C, en 2008, selon le Daily Beast (en anglais). Aux Etats-Unis, le principal sirop permettant de préparer du "purple drank" a été retiré de la vente en 2014, à cause des risques causés par son usage détourné, rapporte le Daily Mail (en anglais).

Excuses diverses

Ces risques ne suffisent pourtant pas à dissuader les consommateurs de "purple drank". "On en boit pour tenir moralement, parce qu'on traverse des choses difficiles", justifie Issa. A défaut de chercher l'aide auprès d'un adulte, ces jeunes se rabattent sur ce cocktail de médicaments. "Une de mes amies était suicidaire mais maintenant qu'elle prend du 'purple drank', même si c'est mal et qu'il y a des risques, elle peut se reprendre en main et aller de l'avant", ajoute le jeune homme.

Tous les lycéens et jeunes adultes contactés par francetv info évoquent ce même "besoin d'oublier leurs problèmes". "Ma grand-mère n'a plus longtemps à vivre, ce que je n'arrive pas à accepter, confie Claire, qui en a dernièrement consommé tous les soirs pendant une semaine. Alors je prends du 'purple drank'." 

"Quand on boit du 'purple drank', on devient cool"

Chez les plus jeunes, la consommation du mélange violet est toutefois différente, selon Claire. "Il y en a de plus en plus qui en boivent dès le collège, mais c'est pour faire comme aux Etats-Unis, estime la jeune fille de 17 ans. Pour eux dès qu'on prend du 'purple drank', on devient cool." La boisson risque donc de continuer à faire des adeptes, notamment chez les mineurs. "Le purple drank est la parfaite drogue de secours : simple à avoir et pas chère", insiste Claire.

Cette perspective est d'autant plus inquiétante que, d'après Nathalie Richard, cette boisson peut constituer "une entrée possible dans l'addiction pour ces jeunes". "Pour l'instant, on veut limiter au maximum ce phénomène par des recommandations à tous les acteurs concernés, en particulier aux professionnels au contact des jeunes, assure la spécialiste de l'ANSM. Mais s'il s'amplifie, on pourra prendre d'autres mesures. La possibilité de mettre ces produits sur la liste des médicaments sur ordonnance n'est pas du tout exclue."

* Les prénoms ont été modifiés.

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