Fin de vie : dans le service de soins palliatifs d'Argenteuil, "on ne soigne pas des mourants, mais des vivants"
A l'occasion de l'ouverture des états généraux de la bioéthique, franceinfo est allé à l'hôpital d'Argenteuil. Au sein de l'unité de soins palliatifs, on n'attend pas un nouveau texte sur la fin de vie, mais davantage de moyens afin de pouvoir mieux appliquer la loi.
"Le mouroir, c'est fini !" Dans l'unité de soins palliatifs de l'hôpital d'Argenteuil (Val-d'Oise), les murs sont colorés, le soleil entre par les fenêtres, les portes des chambres des patients sont ouvertes et on peut entendre des rires s'échapper de la salle de transmission, où le personnel soignant se réunit.
Rien d'étonnant pour ceux qui sont tous, sans exception, volontaires pour travailler au sein de ce service qui accueille des patients en fin de vie : "On chante, on sourit car nos patients ne sont pas des mourants, ce sont des vivants !", explique Frédéric, aide-soignant. Anne de la Tour, cheffe de l'unité, témoigne également d'une évolution des mentalités.
Il y a quelques années, avant de faire rentrer un patient en soins palliatifs, on demandait quel était son pronostic vital, car il fallait vraiment qu'il soit au stade terminal de sa vie.
Dr Anne de la Tour, cheffe de l'unité de soins palliatifs à Argenteuilà franceinfo
Aujourd'hui, des malades sont accueillis à des stades précoces de leur maladie, parfois temporairement. Car la loi sur la fin de vie du 2 février 2016 réaffirme le principe selon lequel "toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée." Est-ce vraiment le cas ? Au moment où s'ouvrent les Etats généraux de la bioéthique, jeudi 18 janvier, qui débattront notamment de la fin de vie, l'unité de soins palliatifs d'Argenteuil fait le bilan. En 2016, le service, qui compte dix chambres, a comptabilisé 294 séjours (certains patients ont pu revenir plusieurs fois).
Au total, 186 personnes sont décédées dans le service, quand d'autres patients ont rejoint leur domicile ou un service alternatif. Il n'est pas rare aujourd'hui qu'un malade, s'il est atteint d'une maladie grave et incurable, puisse rentrer chez lui, une fois sa douleur prise en charge. En 2016 toujours, le service mobile, qui se déplace au sein des différents services de l'hôpital d'Argenteuil, a traité 500 patients.
"On n'est pas seulement entre médecins"
Toutefois, "il y a toujours plus de demandes que de places", regrette le Dr Anne de la Tour, qui préside la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Au total, il existe 157 unités de soins palliatifs en France et 426 équipes mobiles. La cheffe du service déplore aussi une offre "pas assez diversifiée" : "On devrait pouvoir proposer une hospitalisation de jour." Un manque de moyens financiers et humains qui entraîne de "fortes disparités" entre les patients, regrette Anne de la Tour : "On continue de mal mourir."
Au troisième étage d'un petit bloc de l'hôpital d'Argenteuil, sept médecins (dont la cheffe de service), une cadre de santé, des infirmières et des aides-soignantes (qui travaillent en binôme, à deux pour cinq patients, 24 heures sur 24), une psychologue, une diététicienne, une kinésithérapeute, une musicothérapeuthe – qui fait chanter les malades autour d'un piano – ou encore une socioesthéticienne se relaient au chevet des patients. Deux bénévoles leur rendent également visite. De quoi accorder du temps et de l'attention aux malades et à leurs proches.
"Dans aucun autre service, on a cette possibilité de travailler à ce point en équipe, affirme Aurore Codogno, médecin au sein de l'équipe mobile depuis sept ans. On n'est pas seulement entre médecins, il y a la richesse du regard du psychologue, des infirmiers, des aides-soignants... Et le travail médical est axé sur le patient, pas simplement sur la maladie."
Des patients qui réclament "la petite piqûre"
Très souvent ce malade, écrasé sous le poids de ses souffrances, souhaite mourir. "On accueille des patients qui réclament l'euthanasie, 'la petite piqûre', comme ils disent tous", raconte Dominique Cers, cadre de santé. En quelques jours, cette demande disparaît dans quasiment 100% des cas." Dans sa chambre, Suzanne, 79 ans, atteinte d'un cancer de la thyroïde, raconte qu'elle est "impeccablement traitée". La preuve : "Avec ma télécommande, j'appuie sur le bouton, quelqu'un vient et on me soulage tout de suite", dit-elle avec le sourire. "Cela peut paraître anodin, mais pour elle cette sonnette tranquillise et apaise. On ne remet pas à plus tard quand quelqu'un nous appelle, on agit immédiatement", explique Anne de la Tour.
Outre la prise en charge de la douleur, l'écoute est fondamentale. "Ici, on peut parler des angoisses, de la mort, ce n'est pas tabou", atteste Dominique Cers. Pour elle, le "plus compliqué reste peut-être l'accompagnement des proches et leur chagrin."
Afin de les recevoir dans un cadre moins austère qu'une salle d'attente d'hôpital, deux salons ont été aménagés. Les enfants peuvent y dessiner, on peut prendre un café ou bouquiner sur des canapés moelleux. "Le temps passé à l'écoute des malades et des familles fait partie des soins, affirme Margot, infirmière. Le moindre détail compte dans cette prise en charge." Cela va du reconditionnement des traditionnels plateaux-repas, dans de la vaisselle colorée pour égayer le quotidien, à la baignoire de balnéothérapie, qui permet d'améliorer sensiblement la toilette.
Certes, on a plus de décès que dans les autres services, mais ici, les patients sont traités de façon tellement plus digne que ça change la donne.
Laurence, infirmièreà franceinfo
Infirmière depuis six ans dans le service, Carine, 39 ans, cite aussi le travail d'orfèvre que nécessitent les malades atteints de scléroses : "Ils ont toute leur tête, mais ils sont enfermés dans un corps qui ne répond plus. Ce sont des patients exigeants, leur temps est hyper précieux. Tout doit être au millimètre près, y compris lors de la toilette." Les soignants racontent aussi toutes ces "pulsions de vie", spécifiques au moment vécu par le patient et ses proches. "On a eu trois mariages depuis 2011 [année de création de l'unité], se réjouit Anne de la Tour. Des moments de grande émotion pour nous."
Des malades de "tous âges" occupent les dix lits du service. Le plus jeune patient accueilli dans le service était âgé de 18 ans. Ici, les patients souffrent de cancers, de scléroses latérales amyotrophiques, de pathologies cardiaques en phase terminale, d'insuffisances rénale ou respiratoire... Les autres pathologies sont prises en charge par l'équipe mobile, qui se déplace dans les services concernés.
"On est des éponges et forcément on chiale"
S'ils affichent tous le sourire, les soignants précisent ne pas être "des robots" : "On est des éponges et forcément on chiale", raconte l'aide-soignant Frédéric, qui travaille depuis huit ans dans le service. Une fois par mois, une psychologue extérieure au service anime un groupe de parole, pour que chaque membre de l'équipe médicale puisse s'exprimer sur les difficultés qu'il rencontre. "On ne peut pas forcer quelqu'un à travailler dans un tel service, car psychologiquement et physiquement, c'est dur," atteste une infirmière. "On se projette tous forcément, cela peut rappeler un père, une sœur...", estime Anne de la Tour. Pour autant, les effectifs du service sont stables. "Contrairement à d'autres services, nous n'avons pas de burn-out", se félicite la cadre de santé.
Pour elle, "c'est l'expérience et la formation qui permettent d'affronter les situations les plus difficiles." D'ailleurs, les membres de l'unité ont pour mission "d'évangéliser" les différents services de l'hôpital d'Argenteuil aux soins palliatifs. Le personnel médical ne connaît pas forcément la loi de 2016, dite loi Claeys-Leonetti. Parmi ses principales innovations, les directives anticipées contraignantes pour les médecins, ainsi que la "sédation profonde et continue, jusqu'au décès", qui permet de faire dormir un patient dont les souffrances ne peuvent plus être soulagées.
La sédation, "un outil parmi d'autres, mais pas un miracle"
"On l'utilise à bon escient et après une décision d'équipe", explique Dominique Cers. "C'est un outil parmi d'autres, qui n'est pas un miracle, renchérit Anne de la Tour. Cela reste exceptionnel, dans des situations exceptionnelles." Face au nouveau débat autour de la fin de vie qui se profile dans le cadre des états généraux de la bioéthique, l'équipe ne cache pas sa lassitude. "On sort de quatre ans de débats et on ne nous laisse pas faire notre métier, qui est de soulager tous les patients", déplore la cheffe du service. La question de "mourir dans la dignité" (en référence à l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui réclame le droit à l'euthanasie) est un piège, selon elle.
"Aucun malade n'est indigne, s'emporte Anne de la Tour. C'est un discours de peur. On se projette et on a peur, c'est normal. Peur de perdre l'image que l'on s'est faite de nous-même, d'un être jamais malade, jamais dépendant... Mais lorsqu'on est bébé, on nous met des couches, on nous donne le biberon. La condition humaine fait qu'à un moment, on s'affaiblit. On refuse de se dire qu'on peut être dépendant de quelqu'un autre." Si elle reconnaît qu'il faut "faire des efforts" dans la prise en charge de la douleur des patients, elle redoute le "combat à venir" : "Si l'euthanasie devient 'la solution', qui voudra améliorer les soins palliatifs ?"
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