Végétales ou in vitro : que valent les alternatives au foie gras ?
Avant que plusieurs mairies écologistes ne bannissent le foie gras des réceptions officielles, de jeunes chefs et entrepreneurs ont décidé de miser sur le souci croissant du bien-être animal.
À première vue, cela ressemble à une ballotine de foie gras classique : rosé à l'intérieur – quoique tirant un peu sur le gris – et jaune brillant à l'extérieur. "On pourrait croire à un foie gras traditionnel du Sud-Ouest", affirme fièrement Fabien Borgel, chef du restaurant vegan 42 degrés, dans le 9e arrondissement de Paris, en nous présentant son "Faux Gras", une alternative végétale au met traditionnel de Noël. Depuis quelques années, ces verrines et bocaux à destination des végétariens, vegans, fléxitariens ou amateurs d'innovations culinaires se sont multipliés dans les rayons des magasins bio.
"Les ingrédients principaux sont le miso fermenté et la noix de cajou, l'huile de tournesol, curcuma, huile de coco, noix de muscade, poivre noir", explique Fabien Borgel, un des très rares restaurateurs à proposer ce type de plat. Après dégustation : la texture est plus proche de la mousse que du foie de canard et le goût très fort en épices. Ce qu'il cherche, c'est avant tout à créer "une illusion, un trompe l'œil" dans l'assiette et non pas à berner nos papilles. Au départ, le chef ne voyait d'ailleurs "même pas l'intérêt" d'une alternative vegan au foie gras mais il a cédé à la demande. Intégré à la carte il y a trois ans, le "Faux Gras" est devenu "le produit phare" du restaurant et de son épicerie fine à Noël.
Une tendance qui ne se limite pas à Paris
Alors que les maires écologistes de Grenoble, Strasbourg et Lyon ont décidé de bannir le foie gras de leurs réceptions officielles au nom du bien-être animal, plusieurs start-up régionales ont décidé, elles aussi, de miser sur les consommateurs opposés au gavage des oies et canards. C'est une pratique "un peu archaïque", juge Mikel Abeberry, 31 ans, fondateur d'Aberyne, basée à Biarritz. Ce fils de restaurateurs a lancé il y a quelque mois, le "Foie Green" dont l'idée lui est venu il y a trois ans au moment des fêtes de Noël : "Mon père a eu des problèmes de cœur et son docteur lui a interdit la charcuterie, le foie gras, tout ce qui était un peu gras. J'ai été voir s'il y avait des alternatives en végétal et ce que j'ai trouvé ne m'a pas convaincu, que ce soit en terme de goût ou de texture".
Son alternative "haut de gamme" pousse la ressemblance un cran au dessus : le "Foie Green" peut se poêler. Là encore l'ingrédient principal est la noix de cajou – neutre en goût et en couleur – qu'il mixe avec de la purée de sésame, du beurre de cacao, du porto et des épices. D'abord vendu sur internet et en épiceries bio, ce produit végétal repéré par le youtubeur et chef Sébastien Kardinal devrait bientôt être distribué par Casino. Mikel Abeberry, toujours en discussion avec le groupe, n'en revient pas lui-même : "L'objectif n'était pas du tout d'aller en grande distribution dès le début. Ils sont venus parler avec nous et ils ont compris que le végétal est en train de prendre de l'ampleur.”
Sur le même créneau, on peut aussi citer le "Fair Gras", lancé il y a un an par un couple de trentenaires lyonnais. Le bocal 100% végétal s'est fait une place dans quelques épiceries fines de la capitale de la gastronomie française : "Ça montre bien que c'est un produit qui ne touche pas que des personnes qui sont vegans ou végétariennes", explique Sarah Sabatier, co-créatrice de l'entreprise et patissière de métier. C'est son compagnon, le chef britannique Toby Hunt qui a concocté la recette.
Le "conservatisme alimentaire de la France"
Ces alternatives, vendues autour de 80 euros le kilo, soit le même prix que le foie gras traditionnel, ont-elles vraiment une chance d'entrer dans les habitudes alimentaires des Français ? Matteo Neri, responsable d'études chez Xerfi, un cabinet indépendant spécialisé dans l'analyse du secteur agroalimentaire, en doute. Malgré une hausse de près de 9% en 2020, le marché des alternatives végétales est déjà en train de ralentir : "Les perspectives de croissance sont plutôt ternes par rapport à d'autres marchés, notamment britannique ou allemand." Il pointe le "conservatisme alimentaire" de la France. "Il n' y a pas la place pour de nombreux nouveaux acteurs sur ce genre de segment de niche au sein d'un marché de niche", estime-t-il.
Selon Matteo Neri, un autre marché, garanti sans souffrance animale, est beaucoup plus prometteur alors que la demande en protéine animale va exploser dans les pays émergents : la viande in vitro.
Des cellules de canard bien nourries
Du foie gras cellulaire, sans gavage, ni élevage... C'est ce que promet Gourmey, une start up qui a inauguré il y a quelques semaines un atelier de production de 1 000 m² dans la capitale. La recette ? On prélève des cellules sur un œuf de cane "fraîchement pondu" puis on les place dans des cuves en inox "dans lesquelles elles vont se multiplier parce qu'elles ont juste la bonne température, les bons nutriments d'origine végétale, explique Nicolas Morin, l'un des fondateurs. On va pouvoir nourrir nos cellules comme si on nourrissait directement un canard". Les cellules sont récoltées au bout de deux, trois semaines puis placées dans des bocaux pour prendre la forme d'un bloc de foie gras traditionnel.
Après deux ans et près d'un millier d'essais, d'ajustements du régime des cellules, Nicolas Morin est satisfait : "On a réussi à obtenir un foie gras qui est fort en goût. Il y a une note très, très distinctive du foie gras, une texture compacte, mais qui fond également sur la langue." Gourmey n'a toutefois pas l'ambition, affirme l'entrepreneur, de remplacer le foie gras traditionnel : "On ne vise pas du tout à faire un tour de passe-passe dans les assiettes des Français qui adorent le foie gras et sont attachés à ce produit."
La cible, ce sont les consommateurs "qui ne sont pas à l'aise avec la méthode de production du foie gras. Et au-delà de nos frontières, à ceux qui n’ont pas accès au produit car il est interdit, comme c’est le cas en Californie et bientôt dans la ville de New York, par exemple." Le gouvernement britannique envisage aussi cette option et s'intéresse même aux alternatives vegans.
Est-ce vraiment cela, la société que nous voulons pour nos enfants ? Moi, NON.
— Julien Denormandie (@J_Denormandie) December 2, 2020
Je le dis clairement : la viande vient du vivant, pas des laboratoires. Comptez sur moi pour qu’en France, la viande reste naturelle et jamais artificielle ! https://t.co/xNjccFyKUz
Reste un obstacle de taille : obtenir l'autorisation pour commercialiser ce foie gras cellulaire. Pour le moment, seule Singapour a donné son feu vert pour des nuggets de poulets produits in vitro. Dans l'Union européenne, les dossiers sont étudiés par l'EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments). Et ce n'est visiblement pas la France qui exercera du lobbying en faveur de Gourmey. "Comptez sur moi pour qu'en France la viande reste naturelle et jamais artificielle", avait tweeté le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Julien Denormandie en décembre 2020.
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