Non, vous ne deviendrez pas accro après avoir mangé du camembert
Une étude de l'université du Michigan, reprise par de nombreux médias, affirme que le fromage peut provoquer une addiction au même titre que les drogues.
Qu'on se rassure au pays des 360 fromages ! Non, le morbier, le saint-nectaire ou le roquefort n'entraînent pas d'addiction comme peuvent le faire la cocaïne, le crack ou l'héroïne. Au contraire de ce qu'affirme une étude de l'université du Michigan abondamment relayée ces derniers jours.
Cette publication, datée de février 2015, a fait son apparition dans les médias, dont francetv info, après avoir été reprise par le Los Angeles Times puis par le site Slate.fr. Qu'y apprend-on ? Que "des aliments hautement transformés peuvent partager des caractéristiques avec les drogues" et provoquer des conduites addictives. Les auteurs pointent notamment la pizza, qui rendrait accro à cause du fromage qu'elle contient.
"Il faudrait en manger des tonnes"
Les articles reprenant cette étude mettent en avant le rôle de la casomorphine, une substance libérée lors de la digestion du lait de vache et qui aurait les mêmes effets que les opiacés. "Cette substance existe, mais il faudrait vraiment manger des tonnes de fromage avant qu'elle soit assez concentrée pour avoir un effet sur le système nerveux central", explique à francetv info une chercheuse en biologie moléculaire, qui préfère conserver l'anonymat en raison de ses activités professionnelles. Elle considère que la conclusion tirée de cette étude par les médias est "une aberration".
Et quand bien même le fromage serait consommé à haute dose, "encore faut-il que la casomorphine passe la barrière de l'intestin et se retrouve dans le flux sanguin" pour avoir un quelconque effet sur le cerveau, ajoute le professeur Jean-Louis Bresson, médecin à l'hôpital Necker, à Paris, et spécialiste de la nutrition. Et de poursuivre : "Les casomorphines sont des peptides assez longs qui sont difficilement transportables hors de l'intestin et qui sont détruits très rapidement dans l'organisme." Pas de quoi provoquer des effets notables sur le système nerveux.
Une étude "très fragile"
Plus que ses conclusions, c'est l'ensemble de l'étude que le professeur Bresson pointe du doigt. "Il suffit de lire l'introduction de l'étude, qui est exceptionnellement longue et qui est très honnête. Les auteurs disent eux-mêmes qu'il n'y a pas d'aliment addictif, qu'on peut simplement observer des comportements alimentaires addictifs chez certains animaux mais qu'il n'existe aucune donnée pour l'homme."
Autre faiblesse de méthodologie soulignée par le spécialiste : l'étude n'est pas basée sur "des données observationnelles" mais sur "du déclaratif sauvage". Autrement dit, les personnes étudiées ont simplement répondu à des questionnaires, mais leurs comportements alimentaires n'ont pas été factuellement analysés.
Enfin, si l'on s'intéresse réellement aux résultats de l'étude, la pizza (et donc le fromage qu'elle contient) n'apparaît pas comme l'aliment le plus susceptible d'être "addictif". Elle arrive en quatrième position derrière le chocolat, la crème glacée et les frites. Et n'obtient pas un score très élevé (4,01) sur l'échelle (de 1 à 7) utilisée pour décrire son caractère addictif. "Cette étude est très fragile, elle s'intéresse à l'addiction comme si elle était déjà prouvée" alors que les données ne sont pas concluantes, estime le professeur Bresson.
Bon pour la santé si on respecte les doses
Conclusion : ne craignez pas de devenir accro au maroilles ou autre reblochon. Pour autant, attention à votre consommation. "Le fromage est une source de protéines de qualité et de calcium, rappelle le médecin. Mais n'oublions pas non plus qu'il est une source importante de lipides saturés et de sodium" qui peuvent provoquer, à haute dose, hypercholestérolémie et hypertension.
Et le médecin de rappeler que le fromage "fait partie des produits à consommer quotidiennement", tout en respectant les quantités recommandées, soit une portion "de 30 à 40 grammes" par jour. Sortez tommes et bûchettes !
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