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"Le sud de la mer du Nord est un désert aquatique" : à Dunkerque, les pêcheurs espèrent la fin de la pêche électrique

Mardi, Bruxelles pourrait voter l'élargissement de cette technique d'électrisation des poissons, très prisée des pêcheurs néerlandais, mais décriée des petits pêcheurs français.

Article rédigé par franceinfo - Farida Nouar, Edité par Alexandra du Boucheron
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Frédéric Drogerys, patron pécheur du "Sansesia" à Dunkerque. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Le Parlement européen doit voter, mardi 16 janvier, en séance plénière sur une éventuelle extension de la pêche électrique. Cette technique consiste à envoyer, depuis un chalut, des impulsions électriques dans le sédiment pour y capturer les poissons benthiques, c'est-à-dire vivant au fond des mers, comme la sole et la raie. Elle est particulièrement prisée des pêcheurs néerlandais.

Depuis 2006, cette pêche est autorisée au sein de l'Union européenne, mais seulement dans un secteur délimité de la mer du Nord. Chaque État membre peut équiper 5% de sa flotte en électrodes. Les pêcheurs du nord de la France et les défenseurs de l'environnement, eux, surnomment cette pêche "le taser des mers". 

La pêche électrique est néfaste pour les pêcheurs de Dunkerque : un reportage au large de Farida Nouar

À 3 heures du matin à bord du Sansesia, un fileyeur de 11,98 mètres, part du port de Dunkerque pour relever les filets. "C'est ma sixième année et j'espère bien la dernière, indique le patron Frédéric Drogerys, président du comité départemental des pêches du Nord. Au niveau des filets, ça ne va plus par rapport aux chaluts électriques. Avant, quand on se levait, on sautait dans les bottes. Aujourd'hui, quand on se lève, on voudrait plutôt rester dans son lit qu'autre chose." 

Dans nos eaux, il n'y a plus assez de poisson pour vivre. Quand on sait ce qu'il y a dans les filets en arrivant, on n'a pas fort envie de sortir.

Frédéric Drogerys, pêcheur à Dunkerque

à franceinfo

Le "Sansesia" accosté dans le port de Dunkerque, le 11 janvier 2018. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Une fois au large, la petite équipe remonte ses premiers filets, mais le bilan est très dur à avaler pour le patron du Sansesia : "Dans le filet de 300 mètres, il y avait trois soles, c'est nul. Avant, c'était 20, 30, 40 pièces à cette époque-ci." Pour ces pêcheurs, rentrer les cales vides, est une catastrophe. À Dunkerque, les 14 fileyeurs vivent essentiellement de la capture de la sole. Ce poisson noble et cher pèse "80% du chiffre d'affaires", précise Frédéric Drogerys.

Les Néerlandais laissent "les miettes"

"Les Hollandais viennent travailler là avec la pêche électrique. Ils ont des droits historiques pour pêcher dans les eaux françaises", explique le patron du navire. Effectivement, selon la règlementation européenne, au titre de ces droits historiques, les chaluts néerlandais peuvent pêcher dans les eaux territoriales françaises jusqu'à la baie de Seine, entre 6 et 12 milles nautiques de la côte. "Donc après, nous on ramasse les miettes", tempête Frédéric Drogerys.

À la radio, un autre fileyeur de Dunkerque, L'Obélix, vient aux nouvelles. À bord, Bruno, confirme le sentiment partagé par l'équipe du Sansesia : "Le sud de la mer du Nord est devenu un désert aquatique."

À cette époque-ci, on devrait tourner à 150 kg de soles par jour pour pouvoir s'en sortir. Et là, on est à 15 kg.

Bruno, pêcheur à Dunkerque

à franceinfo

Les filets de pêche remontés et quasiment vides sur le "Sansesia", le 11 janvier 2018. (FARIDA NOUAR / RADIO FRANCE)

Pour trouver de la sole, beaucoup de fileyeurs sont obligés de partir plusieurs mois, jusqu'à six mois pour certains, vers Dieppe. Cela a un coût, car il faut trouver un hébergement à l'équipage, payer les repas et le carburant. 

Le carburant, c'est le principal argument des partisans de la pêche électrique : les chaluts utilisant cette technique en consomment moins car le moteur tourne à faible régime. Argument économique et environnemental donc. "C'est vrai, ils ont allégé leur matériel de plus de 50% donc c'est plus léger, reconnaît le patron du Sansesia. Mais, d'un autre côté, ils ne parlent pas des dos de cabillaud cassés et tout ça."

Des cabillauds blessés par les filets électriques

En effet, selon l'une des rares études sur le sujet, celle menée en 2011 par l'Institut des ressources marines et des études de l'écosystème, à la demande du ministère de l'Agriculture néerlandais, plus de la moitié des cabillauds de grande taille capturés par le système d'impulsion électrique ont la colonne vertébrale fracturée, "parce qu'il est tellement grand qu'il passe sur trois ou quatre câbles électriques", explique Frédéric Drogerys.

Il s'inquiète aussi pour la reproduction des poissons touchés par ces impulsions électriques : "Même une sole qui arrive à se sauver, on ne sait pas comment elle réagit par la suite et si elle est reproductive."

Il n'y a aucune étude qui a été faite de toute façon pour prouver que c'est une pêche qui est durable.

Frédéric Drogerys, pêcheur de Dunkerque

à franceinfo

Exemples de blessures détectées par radio et dissection chez de gros cabillauds : extrait de l'étude néerlandaise réalisée en 2011. (CAPTURE D'ÉCRAN)


L'avenir du port de Dunkerque est en jeu

Frédéric Drogerys espère que les députés européens vont voter, mardi 16 janvier, "l'interdiction du chalut électrique" des Néerlandais "et des étrangers" pour arrêter d'"esquinter les fonds" dit-il, mais aussi pour l'économie du port de Dunkerque.  "Si au mois de mars, il n'y a pas de soles ici sur Dunkerque, il n'y a plus d'avenir pour le port de Dunkerque : tous les bateaux, un par un, on sera obligé d'arrêter", prédit-il.

La fronde contre la pêche électrique dure depuis des mois à Bruxelles. Lundi, la principale organisation de restaurateurs, l'Umih, et Mr Goodfish, programme européen pour sensibiliser consommateurs et professionnels à la consommation durable des produits de la mer, ont demandé son "interdiction totale". Le 10 janvier, 249 députés de toutes tendances ont appelé le Parlement européen à interdire définitivement cet usage. Et, début octobre, l'ONG Bloom a déposé plainte contre les Pays-Bas auprès de la Commission européenne, les accusant d'avoir illégalement autorisé des navires à pratiquer la pêche électrique. 

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