Viol : qu'appelle-t-on l’état de sidération ?
Hier, jeudi 14 décembre, a débuté le procès pour viol et agressions sexuelles du maire de Draveil Georges Tron. Une des deux plaignantes, Virginie Faux, décrit une relation abusive avec son supérieur hiérarchique, Georges Tron, dans laquelle elle ne pouvait se défendre. La plaignante a dû répondre à des questions particulièrement virulentes de la part du juge. "Vous vous sentiez honteuse ?", lui a-t-il demandé, ce à quoi elle a répondu par la positive. "De quoi, de vous être laissée faire ?" a-t-il poursuivi. "Je ne me suis pas laissée faire. C’est mon corps qui n'était pas en mesure de réagir", a répondu Mme Faux.
Son avocat n'a pas tardé à réagir. "Monsieur le Président, je suis très surpris du ton de cet interrogatoire, qu'on dirait sorti des années 1950, où on semble découvrir un phénomène connu depuis 1914 qui s'appelle la sidération", s’est exclamé l’avocat de Virginie Faux, Me Vincent Ollivier.
Pour ne pas mourir, la victime se dissocie de son propre corps
Ce que décrit la plaignante, c’est ce qu’on appelle, en psychiatrie, l’état de sidération. En réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol ou d’une violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu. La victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique, selon la psychiatre Muriel Salmona. La personne, ainsi paralysée, ne peut réagir. Ce sont des "réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences", précise le Dr Salmona.
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La production des hormones du stress est ainsi diminuée, cela pour éviter à la victime de mourir d’un excès d’angoisse. En réaction à cette diminution, le cerveau produit de la morphine et kétamine-like pour calmer le stress. La victime est alors en état d'analgésie totale et ne ressent plus la douleur. Conséquemment, elle se dissocie de son propre corps et a l’impression de voir le viol ou la violence de l’extérieur.
La victime de viol doit prouver qu'elle ne ment pas.
Pourtant, ce phénomène de sidération, reconnu par la psychiatrie, est encore largement ignoré – voire contesté. La victime se voit presque systématiquement confrontée, dans les cas où elle porte plainte, à des questions sur son absence de réaction face à son violeur. Peu de surprise, donc, à ce qu’une femme victime de viol sur 10 seulement porte plainte (et qu’une plainte pour viol sur 10 aboutisse à une condamnation). "Le viol est le seul crime pour lequel le plaignant doit passer un test psychologique, test qu’on ne fait pas passer à l’accusé", affirmait Sandrine Rousseau, ancienne porte-parole d'Europe Écologie Les Verts lors d’une conférence sur les violences sexistes et sexuelles à Sciences Po le 5 décembre. La victime de viol doit donc, par définition, prouver qu’elle ne ment pas. Et qu’elle est en droit d’accuser son violeur.
La culpabilité de la victime renforcée
Reste qu’il semble encore difficile de faire reconnaître l’état de sidération dans un procès aux assises, ou même dans la vie de tous les jours. Pour les victimes de viol, cette situation a des conséquences dramatiques. "Souvent, l'agresseur met en scène la culpabilité de la victime : il lui dit que c'est de sa faute, qu'elle l'a mérité, qu'elle l'a provoqué, que la victime ne vaut rien... particulièrement quand il s'agit d’un proche. La culpabilité de la victime peut aussi venir du fait que la victime ne se soit pas débattue, qu'elle n'ait pas pu réagir, qu'elle ait été paralysée... et le fait de ne pas connaître le processus de sidération, de ne pas connaître les stratégies de l'agresseur, ne pas comprendre pourquoi on est complètement déconnectée interagit aussi avec la culpabilité de la victime" conclut le Dr Salmona.
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