Entretien avec Pierre Pézerat, réalisateur des "Sentinelles"
Pierre Pézerat, fils du chercheur au CNRS Henri Pézerat, qui a mis au jour la toxicité de l’amiante dans les années 1970, livre son premier documentaire pour le cinéma, Les Sentinelles, en salles mercredi 8 novembre. Il a recueilli le témoignage de victimes de l’amiante et des pesticides, et relate leur lutte pour la reconnaissance de leurs maladies professionnelles. Un véritable parcours du combattant qui n’aboutit pas toujours, et qui pose question. Les responsables de la catastrophe de l’amiante et des pesticides seront-ils un jour punis ? A l’occasion de la sortie de son film, Pierre Pézerat a répondu à nos questions.
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Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?
J’ai rencontré les personnages de mon film, Josette Roudaire, Jean-Marie Birbès et Paul François pendant les assemblées générales de l’association Henri Pézerat [du nom de son père, décédé en 2009]. J’ai été impressionné par leur stature intellectuelle et morale. Ils avaient un discours emprunt de sens de la justice et de dignité. Ce sont des gens simples dont la vie a été bouleversée, et ils ont dû prendre un nouveau chemin. Josette et Jean-Marie, par exemple, se sont battus pour défendre leur santé après avoir travaillé des années dans l’amiante, et ils ont attaqué ceux qui les ont empoisonnés. Paul, lui, a dû complètement changer de paradigme agricole : après avoir été intoxiqué aux pesticides, il a remis en cause tout ce en quoi il croyait. Tous les trois étaient peu connus, et j’ai pensé qu’il fallait dresser leur portrait.
Leur point commun, c’est qu’ils ont connu mon père, Henri Pézerat. Il est intimement lié à chacune de leurs histoires. C’est comme ça que s’est construit le film.
Le combat de votre père a-t-il participé d’une prise de conscience globale des dangers de l’amiante et des pesticides ?
Henri Pézerat était un artisan du combat contre l’amiante. Il a mis sa compétence scientifique au service des victimes, ce qui leur a servi dans leur combat juridique. Il leur a aussi permis d’attaquer les industriels au pénal. Au contact de Paul François, il a pris la mesure du danger des pesticides et de la catastrophe annoncée. C’est lui qui a suggéré à Paul d’attaquer Monsanto. En ce sens, oui, il a aidé l’opinion publique à se rendre compte du danger que représentent ces substances.
Pensez-vous que les Monsanto Papers, révélés par Le Monde, aident à leur tour à cette prise de conscience ?
S’il suffisait de dénoncer la complicité entre les experts et les multinationales pour que l’opinion publique s’en rende compte, ce serait trop facile ! Mon père aimait dire qu’il n’y a pas qu’une seule vérité scientifique. Par exemple, si l’on veut prouver qu’un cancer a été provoqué par une molécule chimique spécifique, il faut réussir à trouver la signature de l’agent cancérogène dans la tumeur. Pour cela, il faut réaliser une enquête épidémiologique. C’est complexe, cher et long. Les experts de la Sécurité sociale et de la Mutualité sociale agricole, par exemple, exigent un lien direct entre le produit incriminé et le cancer pour établir une responsabilité.
Monsanto a acheté des experts pour qu’ils cachent la toxicité de ses produits, ce qui montre que la firme était au courant de cette toxicité. Elle a réussi à instiller une culture du doute au sein du grand public, et son pouvoir juridique et économique est tel qu’il est très difficile de se mobiliser contre elle.
La Commission européenne finira-t-elle par interdire le glyphosate ?
Ce qui est sûr, c’est que s’il est interdit, un autre produit viendra aussitôt le remplacer. Il sera nouveau, donc sa toxicité ne sera pas encore prouvée. Au final, on n’aura rien gagné. Et en France, je ne pense pas qu’on soit prêt pour une agriculture sans glyphosate. Il faudrait former les paysans à l’agriculture biologique, et mettre une nouvelle politique agricole en chantier.
Comment se fait-il qu’on ait mis autant de temps à parler des dangers de l’amiante ? Votre père a alerté les pouvoirs publics dès les années 1970, mais les premiers scandales n’ont éclaté que 20 ans plus tard.
Il y a deux périodes clés dans le combat contre l’amiante. En 1977 d’abord, on a interdit le flocage (la projection de fibres). Cette année-là, la justice a reconnu pour la première fois une maladie professionnelle liée à l’amiante : l’asbestose encombrante des poumons. Néanmoins, elle n’a pas établi de relation entre amiante et cancer. Le taux de mortalité lié à l’amiante n’était donc, à cette époque, pas très important, ce qui a permis aux industriels de continuer à en utiliser.
Le coup magistral des défenseurs de cette substance, ça a été la création du Comité permanent amiante en 1982, auquel ont participé des médecins. Cette organisation a mis sous le tapis toutes les affaires concernant sa toxicité. Finalement, c’est une action en justice des travailleurs exposés qui a permis son interdiction finale en 1997.
Pourquoi les récents procès contre l’amiante n’aboutissent-ils pas ?
Tout se passe au pénal, et jamais un industriel ne s’est présenté en personne devant un tribunal. Le dialogue est au point mort. Par ailleurs, le pôle Santé du ministère de la Justice est constitué de deux juges, qui sont très frileux sur ces sujets. Ils ne veulent pas attaquer des personnes physiques. C’est aussi parce qu’il existe un certain nombre de pressions politiques, et que l’opinion publique est peu sensible à ces sujets. Le dossier de l’amiante n’est jamais sur le dessus de la pile. La pression a beaucoup baissé depuis les années 1990, et les acteurs de la lutte sont plus vieux, ou décèdent.
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