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Lanceurs d'alerte : "Dans une société qui fonctionne normalement, l’alerte devrait être directement instruite par les services de l'Etat"

Même si la loi française définit leur statut et renforce leurs droits, les lanceurs d'alerte restent très exposés. Et selon Daniel Ibanez, organisateur des 8es Rencontres annuelles sur le sujet, leur existence est la conséquence d'une défaillance de la puissance publique.
Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Daniel Ibanez, opposant au projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin, cofondateur des Rencontres annuelles des lanceurs d'alerte. (PHILIPPE RELTIEN / RADIO FRANCE)

Sans eux, pas d'affaires WikiLeaks, Mediator, Clearstream ou Orpea : les lanceuses et lanceurs d’alerte sont à l'origine des grands scandales du XXIe siècle. Et un an après la mise en application de loi Waserman censée mieux les protéger juridiquement, devenir lanceur d’alerte, c’est toujours prendre un risque énorme. La loi Sapin II, renforcée en mars 2022 par la loi Waserman et par une directive européenne, offre un cadre, un bouclier légal aux lanceuses et lanceurs d’alerte. Est lanceur d'alerte toute personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, ou une violation d'un engagement international de la France.

Mais beaucoup, décidés à dénoncer une infraction ou un délit contraire à l’intérêt général, hésitent à le faire. Il y a la peur d’être placardisé, d'être poussé à la démission. La peur des menaces, les conséquences sur la vie sociale et familiale, l’aspect financier aussi, quand il faut payer un avocat pour une durée indéterminée. Daniel Ibanez, organisateur des 8es Rencontres annuelles des lanceurs d’alerte, les 11 et 12 novembre à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), revient pour franceinfo sur la nécessité d'accompagner ces citoyens souvent très seuls à dénoncer des faits graves sans se mettre eux-mêmes en danger.

Franceinfo : Est-ce que c'est plus simple aujourd'hui, en 2023, d'être lanceur d'alerte en France ?

Daniel Ibanez : C'est compliqué. Il faut rappeler que les lanceuses et lanceurs d'alerte sont des citoyens ordinaires. Ce ne sont pas des héros. Ils alertent parce que ce dont ils ont connaissance leur paraît heurter leur conscience républicaine. Mais dénoncer un médicament qui nuit à autrui, des actes qui endommagent l'environnement, relève de la Charte de l'environnement ou de la Déclaration des droits de l'homme. Donc, les lanceurs d'alerte sont des gens ordinaires qui ne font que faire référence aux principes de la République. Ils alertent parce que, souvent, la puissance publique n'a pas joué son rôle de contrôle, de régulation sur des situations qui contreviennent aux principes. 

La directive européenne de protection des lanceurs d'alerte a permis d'améliorer la situation des lanceurs d'alerte dans la sphère professionnelle. Mais il y a tout un tas de lanceurs d'alertes qui ne sont pas concernés par cette loi de protection. Enfin, il faut rappeler que le code du travail, du fait de la loi Blandin, a un article qui dit que le travailleur doit alerter immédiatement l'employeur lorsqu'il constate un risque pour la santé publique ou l'environnement. Loin d'être un droit qu'il faudrait protéger, l’alerte est un devoir inscrit dans le code du travail pour les salariés, du fait de la loi Blandin. Et vous voyez bien qu’en fait, la question n'est pas celle de savoir si un salarié alerte ou pas. La question, c'est de savoir comment se fait-il que des gens puissent entraver et réprimer un lanceur d'alerte lorsqu'il a alerté alors que le code du travail lui fait obligation.

Les lanceurs d'alerte ont-ils tout à fait conscience des conséquences parfois terribles que peuvent avoir leur démarche sur leur propre vie professionnelle, familiale et sociale ?

Pas toujours. Quand un lanceur d'alerte dit, par exemple, que le Mediator est un poison, il n'imagine pas qu'il va être entraîné dans un cycle qui va lui porter préjudice. Quand un lanceur d'alerte se filme en train de déverser de l'acide dans une forêt pour le compte d’une société, il n'envisage pas qu’il va perdre son travail ou connaître des conséquences sur sa propre famille. Mais ce ne sont pas les lanceurs d'alerte qui prennent des risques, ce sont ceux qui entravent l'alerte qui leur en font courir. Et, là encore, malheureusement, les services de l'Etat ne jouent pas leur rôle. C'est ce qui se passe par exemple dans les élevages, quand L214 montre, vidéos à l'appui, des maltraitances animales ou des problèmes sanitaires dans des élevages. Il montre aussi une défaillance de la puissance publique, des contrôles menés par l'Etat. Les lanceurs d'alerte, lorsqu'ils subissent des conséquences comme la perte d'emploi, c'est la plupart du temps parce que la puissance publique n'a pas joué son rôle. Dans une société qui fonctionne normalement, les lanceurs d’alerte ne devraient pas apparaître. L’alerte devrait être directement instruite par les services de l'Etat. Mais au lieu de cela, ces derniers font trop souvent des arbitrages économiques et politiques qui ne relèvent pas de l'intérêt général.


Radio France lance sa plateforme en ligne pour lanceurs d'alerte. Les auditeurs et internautes peuvent dès à présent transmettre des informations sur le site alerter.radiofrance.fr, de manière anonyme et sécurisée.

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