Lactalis : le PDG évoque un "accident" devant des députés exaspérés
Le PDG de Lactalis Emmanuel Besnier s'est défendu jeudi 7 juin devant les députés des critiques sur un manque de transparence du groupe dans l'affaire du lait infantile contaminé aux salmonelles à l'usine de Craon (Mayenne). Il a fait valoir son caractère "accidentel". Le très discret patron du géant laitier, qui a montré beaucoup de réticence à venir s'expliquer, a été fraîchement accueilli par le président de la commission d'enquête parlementaire sur la gestion de cette affaire.
Une thèse qui ne convainc pas Me Jade Dousselin, l'avocat des victimes de Lactalis. "C'est une ligne de défense qu'il nous sert depuis plusieurs mois, mais on sait grâce à d'autres acteurs du dossier que ce n'est pas le cas. La bactérie est depuis 2005 dans l'usine, l'Institut Pasteur a fait ces révélations il y a quelques semaines dans une étude. En douze ans, la société Lactalis n'a pas été capable de l'enrayer", répond-elle.
Interview de Me Jade Dousselin, avocate des victimes, le 07/06/18
A la question "Allez-vous continuer avec vos conseils à essayer de torpiller cette commission ?" lancée par Christian Hutin pour la tentative des avocats de Lactalis pour obtenir l'interruption des travaux de la commission d'enquête, M. Besnier a assuré avoir décidé de mettre finalement fin à cette tentative. Il a également essayé de justifier, pied à pied, la gestion de la crise par le groupe, dans une atmosphère tendue.
"Le groupe Lactalis est différent de l'image qu'on veut lui attribuer", a-t-il déclaré, expliquant qu'il assumait le caractère de discrétion de l'entreprise "car c'est lié à ma personnalité". "Certains veulent transformer cette discrétion en opacité, c'est une erreur", a-t-il ajouté.
Une procédure de retrait chaotique
Fin 2017, 36 nourrissons ont été atteints de salmonellose après avoir bu un lait infantile des marques Picot et Milumel produit dans son usine de Craon en Mayenne. Les causes de la maladie de deux autres nourrissons sont encore recherchées. D'ordinaire, les processus de rappel/retrait de produits présentant des problèmes sanitaires sont communs dans l'hexagone. Mais dans ce cas précis, le processus de retrait s'est révélé chaotique et la révélation de nombreux dysfonctionnements ayant mené à la contamination a donné lieu à l'ouverture d'une enquête judiciaire. Elle a aussi convaincu les députés de créer cette commission d'enquête parlementaire.
"Pas de responsables dans l'usine"
"Je renouvelle mes excuses auprès des familles des bébés malades, de celles qui se sont inquiétées", a déclaré M. Besnier dès le début de l'audition. "Nous avons failli à notre mission, nous n'aurons jamais assez de mots pour nous excuser", a-t-il assuré. Plusieurs députés ont exprimé leur exaspération, dont le député MoDem Richard Ramos qui a clamé "c'est insupportable de vous entendre", en reprochant au patron Lactalis d'avoir refusé de rencontrer l'association des familles de victimes. "Nous n'avons pas pu les rencontrer car nous sommes dans une procédure judiciaire", s'est justifié M. Besnier. "Nous avons eu des excuses mais pas d'explication" a rétorqué l'avocate des victimes.
Pressé de questions sur la sécurité de l'usine, le PDG de Lactalis s'est expliqué sur l'origine des contaminations et a assuré que l'entreprise "avait revu l'ensemble des plans de maîtrise sanitaire", à Craon, comme dans les autres sites du groupe. "C'est un accident, il n'y a pas de responsabilité de personnes à l'intérieur de l'usine", a-t-il assuré. "Nous avons fait des travaux au premier trimestre 2017 dans l'environnement de la tour numéro 1. Ces travaux ont libéré la salmonelle qui était à l'intérieur des bâtiments", a-t-il poursuivi. Tout en affirmant ne pas vouloir "se défausser", M. Besnier s'est interrogé sur la responsabilité du laboratoire d'analyse qui n'a pas détecté de traces de salmonelle sur les produits finis, "alors qu'en refaisant des tests sur les échantillons après la crise, il s'avère que quelques produits étaient positifs".
Relance de la production prévue d'ici l'été
"Nous avons la relance de la production dans une interview sans qu'aucune garantie ne soit donnée aux familles et elles sont extrêmement inquiètes", explique Me Jade Dousselin, avocate des victimes. Pour justifier la remise en route de l'usine de Craon fin mai, pour des tests qui précéderont un redémarrage de la production d'ici l'été, M. Besnier a assuré que le groupe "avait pris la décision de fermer définitivement la tour numéro 1 à l'origine de l'incident", et qu'il allait désormais partager ses analyses entre au moins deux laboratoires, dont des laboratoires publics.
Remerciant finalement le PDG de sa présence, M. Hutin a conclu l'audition en conseillant "avec cordialité" à M. Besnier de "forcer sa nature dans la communication, ne serait ce que pour aller voir les victimes".
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