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Attaques "acoustiques" contre des diplomates : beaucoup de bruit pour rien ?

PARTIE 2/4 – Depuis 2016, des diplomates canadiens et étasuniens basés à Cuba et en Chine ont développé d’étranges symptômes. L’hypothèse d’une "attaque acoustique" a initialement été relayée par la presse...
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
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Publié Mis à jour
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Attaques "acoustiques" contre des diplomates : beaucoup de bruit pour rien ? (illustration : Alexandr Sidorov)

Certaines fréquences sonores, audibles ou non, peuvent-elles provoquer des effets physiologiques désagréables ?

Si oui, de telles propriétés pourraient-elles être utilisées à des fins stratégiques, par l’armée ou des services secrets – comme cela a été suggéré dans l'affaire des diplomates nord-américains (voir partie 1) ?

L’idée n’est pas neuve : elle a excité l’intérêt et l’imagination de nombreux chercheurs et militaires au cours des dernières décennies. Raison pour laquelle l’hypothèse a si rapidement été envisagée par les autorités étasuniennes dans le cadre de l'affaire cubaine.

Des recherches emblématiques... et autant de culs-de-sac

Dans le courant des années 90, le chercheur Vic Tandy a identifié une gamme de fréquences qui, diffusées dans des conditions expérimentales très précises (notamment liées aux propriétés acoustiques du lieu de l’expérience), favorisaient la survenue de légères nausées, de sensations d’inconfort, ainsi que des vibrations des globes oculaires pouvant entraîner des illusions perceptives visuelles [1]. Toutefois, jusqu’à preuve du contraire, le phénomène peut difficilement être exploité hors de quelques lieux méticuleusement sélectionnés [2].

Durant la même décennie, des expériences sur la souris ont montré que certaines fréquences sonores audibles dirigées avec une forte intensité pouvaient avoir des effets biologiques notables sur les organes internes de ces petits animaux [3]. Quelques recherches ont ultérieurement été poursuivies sur le rongeur. Toutefois, la transposition des observations à d’autres espèces animales de plus grande taille reste là encore hasardeuse à ce jour.

Aujourd’hui, excepté le recours aux sons très aigus, uniquement audibles par des oreilles jeunes et saines, pour incommoder les adolescents squattant les abords de certaines boutiques, il n’existe guère d’applications civiles à la science de l’inconfort acoustique [4].

Du côté des forces de "maintien de l’ordre" ou des militaires, le bilan n’est guère plus brillant.

Dans les tiroirs de l'armée

Au chapitre des fréquences audibles, les autorités civiles ou militaires étasuniennes ont autorisé quelques "expériences" dans les années 1990 et 2000, demeurées tristement célèbres : diffusion nocturne en continu des sons discordants à forte intensité contre un groupe religieux à Waco en 1993 [5], diffusion de musiques à des niveaux assourdissants à des fins de torture sur des prisonniers de Guantanamo en 2003 [6]… Aujourd’hui, seuls quelques puissants haut-parleurs à très longue portée sont utilisés par la marine US contre les bateaux de pirates ou de contrebandiers [7], et par la sécurité civile pour forcer la dispersion des manifestants [8].

Du côté des fréquences inaudibles, les recherches sont au point mort depuis plus de 15 ans. Le sujet était déjà considéré comme une voie sans issue au début des années 2000 [9]. En 2003, un long mémoire du collège de l’US Air Force détaillant les technologies les plus prometteuses résumait le cul-de-sac constitué par les armes ultrasoniques :

"Certaines technologies non-létales potentielles ont déjà été rejetées en raison de problèmes techniques. [L’une de ces] technologies rejetée est l’infrason, technique conçue pour provoquer des réactions physiques invalidantes telles que nausées et douleurs incapacitantes, par l'utilisation de bruit, très faible fréquence (inférieur à 20 Hz), inaudible. Il existe des récits anecdotiques de réactions biologiques graves dues à ce phénomène. Le sujet a été étudié par la Joint Non-Lethal Weapons Branch (laboratoire d’étude de l’armée pour les armes non-létales), qui l'a arrêtée en 1999 après que le programme ait échoué à identifier les fréquences permettant d’engendrer des effets biologiques fiables et reproductibles." [10]

Une arme secrète à Cuba ?

Le fait que les diplomates cubains et leurs familles aient associé l'apparition de leurs symptômes à l'audition de sons aigus et de vrombissements a naturellement porté l'hypothèse d'une arme acoustique "enfin efficace" sur la table. Mais au fil des mois, celle-ci est apparue fragile, du fait même des nombreuses contraintes associées tant à l'émission ciblée qu'à la réception des ondes sonores. Comment atteindre une cible spécifique derrière un mur, dans un immeuble, ou dans un bureau ?

Bien qu'ayant inspecté de fond en comble les ambassades et les domiciles des personnes souffrant des mystérieux symptômes, les services nord-américains semblent avoir fait chou blanc. La piste "ultrasonique" est donc désormais considérée comme peu plausible.

Mais une autre piste a récemment été portée sur le devant de la scène : celle d'une arme à "micro-ondes". Le dossier est-il plus solide ? Sur ce sujet, la recherche militaire est-elle aussi avancée que le laisse entendre la presse ? Suite du feuilleton dans le troisième article de notre série

 


[1] Ces travaux sont d’ailleurs restés célèbres comme une piste d’explication de certaines croyances à l’égard de lieux "hantés". Voir : V. Tandy, "The Ghost in the Machine", Journal of the Society for Psychical Research, 1998. vol.62, n°851.

[2] Dans son ouvrage Quirkology (2007), le chercheur britannique Richard Wiseman rapporte avoir obtenu des résultats modestes mais significatifs au cours d’expériences "en aveugle" dans une salle de concert.

[3] W.D. O’Brien Jr & J.F. Zachary, "Mouse lung damage from exposure to30 kHz ultrasound." Ultrasound Med Biol. 1994; 20(3) pp.287-97.

[4] On peut également mentionner le recours par certaines compagnies de croisière de hauts parleurs à longue portée émettant des sons puissants afin d’éloigner les pirates.

[5] Dick J. Reavis, "The Ashes of Waco: An Investigation" [html]

[7] Technologie dite "LRAD", ou Long range acoustic device.

[9] Voir : "Acoustic-Energy Research Hits Sour Note", par Roxana Tiron (mars 2002).

[10] "Non-Lethal Weapons: Setting Our Phasers on Stun? Potential Strategic Blessings and Curses of Non-Lethal Weapons on the Battlefield ", par Erik L. Nutley. [pdf]

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