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Roland-Garros 2023 : dans l'ombre des meilleurs, la galère des mal classés face aux sponsors

Au-delà de la 100e place mondiale, les perspectives de contrat de sponsoring se réduisent pour ces joueurs et la débrouille est souvent le maître-mot.
Article rédigé par Emmanuel Rupied, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Antoine Hoang durant son troisième tour à Roland-Garros face à Gaël Monfils, le 1er juin 2019. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Pour les mieux lotis, la bataille des qualifications a débuté lundi 22 mai, avec l'objectif d'intégrer le tableau principal de Roland-Garros. Mais pour la plupart des joueurs, la quinzaine se regardera à la télévision. Pour ceux-là, les conséquences sont aussi financières. En plus d'un pécule conséquent (69 000 euros pour un premier tour porte d'Auteuil soit à peu près l'équivalent des frais engagés pour une saison), c'est aussi la promesse d'une exposition médiatique importante qui s'envole pour ces mal classés. Et avec elle, l'impossibilité de signer des contrats de sponsoring pour s'équiper et même financer une partie de leur saison.

Parmi eux, Antoine Hoang, classé au-delà de la 300e place mondiale. En 2019, le Français obtient une wild-card et réalise sa plus grosse performance en carrière en battant l'Espagnol Fernando Verdasco, alors tête de série numéro 23. Après ces résultats, le joueur de 23 ans fait, quelques semaines plus tard, une brève incursion dans le top 100. Mais avant même son parcours sur la terre battue parisienne, la marque Lotto lui avait fait signer un contrat équipementier "sur le long terme", selon ses propres mots, de 10 000 euros à l'année, avec des bonus en fonction du classement final à chaque fin de saison. Jusqu'à 40 000 euros en plus, s’il terminait dans le top 75 du classement ATP.

L'art de la débrouille pour s'équiper

Des dotations illimitées et un contrat écrit, c'est désormais un privilège réservé à une élite. Pour Marine Partaud, sur le circuit depuis dix ans, le quotidien est bien différent. "J’ai été pendant quatre ans chez un grand équipementier sportif, mais je n’ai jamais signé de contrat. Ils m’envoyaient des cartons pendant les Grands Chelems", explique l'actuelle 418e joueuse mondiale. Côté équipementier, si la Française ne paie pas ses raquettes, elle multiplie les opérations, notamment avec des marques textiles, en contrepartie des tenues et des sacs. "J’ai eu la chance d’avoir toujours été 'marketable'. Je ne suis pas la moins bien lotie des filles de mon classement, mais c’est très limité. Je n’imagine pas les filles qui sont dans des pays moins développés et attractifs."

Malgré cela, la débrouille refait souvent surface. "Pour les chaussures, ça s'épuise très vite et quand tu n’es pas en contrat sur le long terme ou que tu es dans un entre-deux, il m’est déjà arrivé de devoir acheter une ou deux paires moi-même sur Vinted à 40 balles, pour essayer de me débrouiller", raconte la joueuse de 28 ans. 

"Je connais des joueurs qui ont des cartons et des cartons de fringues qu’ils laissent sous plastique. Ils devraient répartir plus largement, donner à d’autres."

Marine Partaud, 418e joueuse mondiale

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Tous ne trouvent pas chaussures à leurs pieds. Antoine Hoang a vu son aventure avec Lotto se terminer au bout d'un an car les modèles essayés ne lui allaient plus, en raison d'une fragilité aux chevilles."J’ai dû changer de chaussures et le contrat s’est arrêté pour ça. On peut avoir une marque qui propose un bon contrat avec plein d’affaires et de l’argent, mais si le modèle ne te convient pas, tu ne peux pas sacrifier ça." Retombé au 343e rang mondial, le protégé de Lionel Zimbler est désormais en partenariat avec Adidas, mais sans contrat financier.

Dans l'ombre des stars du circuit ou des meilleurs de la planète, les joueuses et joueurs de tennis qui peinent à s'inviter régulièrement dans le top 100 mondial doivent souvent se débrouiller seuls pour se financer et pratiquer leur sport au plus haut niveau. (PHILIPPE MILLEREAU / AFP)

D'autres solutions existent comme les patchs sur les maillots. Certains joueurs ou joueuses peuvent toucher le jackpot en Majeur pour un match bien exposé sur un grand court comme l'explique Alizé Lim, ancienne 135e joueuse mondiale et désormais journaliste à Eurosport : "Mary Cohr est une marque de cosmétiques très présente sur le circuit féminin, qui peut, par exemple, aligner 10 000 euros pour qu'une joueuse porte un patch sur le maillot durant de grosses rencontres." Le nombre est cependant limité et plusieurs grandes marques refusent que les joueurs utilisent d'autres sponsors sur leurs tenues. 

Une tendance à la précarisation

L'avenir ne s'annonce pas meilleur pour ces joueurs de l'ombre, tant les grandes marques ont tendance à cibler leur intérêt pour le haut de la pyramide mondiale. "Pour faire court, il y a 20 ans, il y avait 50 joueurs sponsorisés, aujourd’hui, il y en a beaucoup moins, mais une élite qui va faire des différences. Ce n’est pas enlever le mérite aux autres, c’est une performance exceptionnelle de faire partie du top 100, mais du point de vue de la marque, l’intérêt est moins là", explique Philippe Weiss, ancien directeur chez Nike Europe et actuel agent d'Holger Rune et Arthur Fils. Celui qui a fait signer Rafael Nadal chez la marque à la virgule dégage trois aspects essentiels pour pouvoir sponsoriser un joueur : "Un marché important, un joueur charismatique et un potentiel sur le terrain."

"Il y a une période où les marques avaient plus de joueurs afin de développer leur image et leur présence. Maintenant, il y a de moins en moins de joueurs sponsorisés car les grosses marques sont établies."

Philippe Weiss, ex-Nike Europe, actuel agent d'Holger Rune et Arthur Fils

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Si Novak Djokovic et Rafael Nadal n'ont pas à s'inquiéter car ils ont réussi à exister au-delà de leur sport, tous ne sont pas logés à la même enseigne, même parmi le gratin. "En tennis, on peut vite tomber. Même Andy Murray a perdu des sponsors parce qu'il est sorti des meilleurs joueurs mondiaux", rappelle Lionel Maltese, économiste et spécialiste de la balle jaune. Pour les mal classés, la précarité est partie pour durer. 

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