Qu'est-ce que "l'ecobordering", cette notion brandie par l'extrême droite qui veut enraciner les individus dans leur terre

Tous les samedis, on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Publié Mis à jour
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PUreté de la terre et pureté du territoire se mélangent dans la notion d'eco-bordering. Photo d'illustration (PATRICK PLEUL / DPA)

Cette semaine François Gemenne vient nous parler d’un curieux concept : l’ecobordering. C’est un peu difficile à traduire, mais facile à comprendre. Il s'agit d'une propension à voir la fermeture des frontières comme un moyen de protéger l’environnement. On pourrait traduire ça par "écofrontiérisme" en français et c’est le nouveau credo de l’extrême droite européenne, explique François Gemenne. Comme l’exprimait Jordan Bardella en avril 2019 sur France 24 : "Les frontières sont les meilleures alliées de l’environnement (…) C’est grâce à elles que nous allons sauver la planète."

François Gemenne : C’est une idée qui vient d’assez loin, qui est déjà présente chez des penseurs malthusiens et conservateurs, qui vont insister sur l’idée de pureté originelle de la nature. Des philosophes conservateurs comme Edmund Burke, au XVIIIe siècle, ou plus récemment Roger Scruton, estiment que seuls ceux qui possèdent la terre, qui y sont investis, sont capables de la protéger. Et que ceux qui ne possèdent pas de parcelle de terre sont des menaces pour l’environnement. Paradoxalement, c’est une idée qu’on va parfois retrouver aussi, sous d’autres formes, chez des penseurs écologistes radicaux, qu’on placerait plutôt à gauche voire à l’extrême gauche, et qui vont plaider pour un retour à la terre, parce que seuls ceux qui travaillent la terre de leurs mains pourraient vraiment la protéger.

Dans cette logique, certains font le même rapport avec les frontières. Ceux qui viennent d’ailleurs, qui ne possèdent pas de terre, sont une menace pour l’environnement, pour la pureté originelle de la nature.

"On sait que ce sont les plus riches qui ont l’empreinte environnementale la plus lourde, mais qu’importe : il s’agit ici d’utiliser la protection de l’environnement comme prétexte à la fermeture des frontières."

François Gemenne

à franceinfo

C’est un argument qui a déjà été testé par l’extrême droite américaine dans les années 2010, avec l’idée que les immigrés étaient les principaux responsables de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le pays, puisqu’ils faisaient augmenter la taille de la population. Et que l’immigration était mauvaise pour le climat en général, puisque les immigrés venaient d’un pays pauvre pour aller dans un pays riche, et qu’ils allaient de ce fait alourdir leur empreinte carbone individuelle.

Ce raisonnement revient à faire porter sur les immigrés la responsabilité de la hausse des émissions d’un pays. C’est donc au fond assez logique que l’extrême droite européenne se soit emparée du sujet, et que le Rassemblement national, par exemple, ait développé le localisme comme credo écologique, avec l’idée que les échanges soient, par nature, une menace pour l’environnement. Et qu’il faille donc produire local, consommer local, voyager local, parce que nos territoires sont des ZAD, des "zones à défendre". L’autarcie est érigée en vertu, et chaque individu doit être enraciné dans un terroir.

Le détournement du "retour à la terre"

Évidemment, c’est aussi une approche qui est défendue par de nombreux militants écologistes, qui vont eux aussi plaider pour un retour à la terre, mais pas pour des raisons identitaires, évidemment. C’est là que se trouve évidemment tout le danger des discours de peur et d’effondrement : c’est d’amener un réflexe survivaliste, où chacun attend la fin du monde depuis son bunker. Ce réflexe survivaliste peut même mener à l’écofascisme, qui considère que celui qui vient d’ailleurs est une souillure de l’environnement naturel. Par exemple, les terroristes de Christchurch et d’El-Paso, en 2019, voulaient tuer les immigrés parce qu’ils les considéraient comme des parasites, comme des espèces invasives qui menaçaient la pureté des territoires.

Évidemment les militants écologistes radicaux ne sont pas racistes, c’est même souvent tout le contraire.

"Je crois que nous devons être conscients du risque qu’il y a à agiter certaines peurs d’effondrement et du risque du repli sur soi."

François Gemenne

à franceinfo

Le risque de réduire les échanges, de fermer les frontières, de limiter notre horizon à ce qui nous est proche serait absolument dramatique pour la lutte contre le changement climatique.

On ne peut pas nier que les échanges sont également sources de pollution. Mais nous allons avoir besoin de ces échanges dans la lutte contre le changement climatique, parce que nous n’y arriverons pas sans coopération internationale. Les impacts du changement climatique, qui vont toucher la France, ne dépendent pas seulement des émissions françaises, mais de l’ensemble des pays du monde. Jamais sans doute, dans l’Histoire de l’humanité, nous n’avons été à ce point dépendants les uns des autres, liés dans une communauté de destins par la physique du climat : l’ailleurs dépend d’ici, et l’ici dépend d’ailleurs. C’est pour ça que le nationalisme, à mon avis, est le pire ennemi du climat, parce qu’il implique le repli sur soi. Et je crois que la grande alliée du nationalisme, demain, ce sera l’écologie de l’avocat : verte à l’extérieur, mais avec un noyau brun.

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