Environnement : l'impact de la crise climatique sur la santé décrypté par François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC. Samedi 18 novembre : la vague de chaleur qui frappe le Brésil.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Sur la plage d'Ipanema à Rio de Janeiro (Brésil), le 15 novembre 2023 (WANG TIANCONG / XINHUA)

Les chiffres donnent le vertige : jusqu’à 58° en température ressentie, ces derniers jours au Brésil, avec des écarts de température qui vont jusqu’à 5° au-dessus de la moyenne, et des températures qui ont atteint 39° à plusieurs endroits du pays, ce qui donne effectivement cette température ressentie impressionnante, et ce qui amène évidemment des enjeux sanitaires très lourds, qui viennent d’ailleurs d’être rappelés dans le "Lancet Countdown", le rapport annuel de la revue médicale The Lancet consacré au climat.

Chaque année, The Lancet consacre en effet un gros rapport aux dimensions sanitaires du changement climatique, et l’édition 2023 vient de sortir. C’est intéressant, parce que cela reflète l’engagement de plus en plus important des professionnels de santé autour du changement climatique. Et c’est vrai aussi dans l’autre sens : pour la première fois, la COP28 aura une journée dédiée à la santé.

Il faut dire que les impacts sanitaires du changement climatique sont très nombreux : il y a évidemment la surmortalité liée aux phénomènes extrêmes, et notamment aux vagues de chaleur. Le rapport du Lancet nous indique ainsi que la mortalité liée à la chaleur a augmenté de 85% chez les personnes âgées de plus de 65 ans au cours des 20 dernières années. Et la chaleur entraîne aussi une baisse de productivité chez les travailleurs, évidemment, et notamment chez les travailleurs agricoles. En 2022, cela a coûté 863 milliards de dollars à l’économie mondiale.

Un impact sur les maladies transmissibles

Le potentiel de transmission de la dengue, par exemple, a augmenté d’environ 28% depuis les années 1950. Il y a aussi un enjeu dans la distribution géographique des maladies : le moustique porteur de la malaria, par exemple, est désormais présent dans des régions qui lui étaient inaccessibles avant, parce qu’il y faisait trop froid… Et le changement climatique a aussi un gros impact sur certaines affections moins graves, et notamment sur la multiplication des allergènes.

Du côté de la pollution en revanche, les nouvelles sont bonnes : depuis 2005, la mortalité causée par la pollution atmosphérique a baissé de 18%, et c’est largement dû à la baisse de la consommation de charbon. En 2020, la pollution atmosphérique due à la combustion des énergies fossiles a encore causé près de deux millions de morts dans le monde, autant de morts que nous pourrions éviter en sortant des énergies fossiles.

On en est loin : près de 85% de l’énergie primaire produite chaque jour dans le monde vient encore des énergies fossiles. Ce sera un des gros sujets de discussion à la COP28, on y reviendra. Mais ce qui est intéressant dans le rapport du Lancet, c’est qu’il montre que de nombreuses actions qui permettent de lutter contre le changement climatique apportent aussi des bénéfices concrets pour notre santé : c’est le cas pour la pollution atmosphérique, mais aussi pour l’alimentation ou la mobilité, par exemple. C’est ce qu’on appelle les co-bénéfices, c'est-à-dire les bénéfices que l’on va retirer de l’action contre le changement climatique, mais dans d’autres domaines.

Par exemple, mieux isoler son logement permet de réduire son empreinte carbone, mais aussi de réduire sa facture d’énergie. Et c’est très important, parce le changement climatique ne permet de faire l’expérience immédiate du résultat de nos actions : il n’y a pas de corrélation entre les émissions de gaz à effet de serre qui sont produites à un endroit à un moment donné, et les impacts du changement climatique à cet endroit-là et à ce moment-là. Il y a très fort décalage dans l’espace et dans le temps, qui crée évidemment une grande injustice. Et le problème qu’on a, c’est que pour agir, on a souvent besoin de voir le résultat concret de nos actions. Et avec ce décalage dans le temps et dans l’espace, ce n’est pas possible. D’où l’intérêt des co-bénéfices.

On agit si on a intérêt à le faire

Nous sommes fondamentalement guidés par nos intérêts. Et comme souvent, notre santé fait partie de nos principales préoccupations, on a là un levier d’action absolument formidable à actionner. Et on aurait intérêt à souligner bien davantage les bénéfices de l’action climatique pour notre santé.

Quand on parle du changement climatique aux gens, on leur parle sans cesse des catastrophes qui se produiront s’ils n’agissent pas. C’est souvent plombant et moralisateur. Mais par contre on ne leur parle jamais des bénéfices qu’ils pourraient retirer s’ils agissaient. À mon avis, c’est une erreur fondamentale.

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