Crise climatique : il n'y a pas de corrélation entre le niveau d’inquiétude pour l’environnement et la priorité politique attribuée à cette question, souligne François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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Près d'une centaine d'habitants de Saint-Christophe-en-Oisans en Isère ont été évacués. (photo d'illustration) (CAMILLE ROUX / MAXPPP)

On entend souvent cette idée selon laquelle il faudrait que les gens soient directement touchés par les impacts du changement climatique pour prendre conscience du danger et agir, mais François Gemenne remet en question les vertus pédagogiques de la catastrophe.

D’abord parce qu’il y aurait au fond quelque chose d’assez pervers et désespérant, sur le plan moral, à se dire que les gens ne seraient capables d’agir que s’ils étaient eux-mêmes directement affectés par les impacts du changement climatique. Mais au-delà de ces considérations morales, le problème c’est que dans la réalité, ça ne marche pas : on a désormais plusieurs travaux de recherche et des sondages d’opinion qui montrent que l’inclination à agir face au changement climatique n’est pas forcément corrélée au niveau d’exposition aux catastrophes.

franceinfo : Vous voulez dire que les gens qui ont été touchés par les inondations dans le Pas-de-Calais cet hiver, ou ceux qui ont tout perdu dans les incendies de l’été 2022, ne sont pas forcément plus enclins à agir contre le changement climatique que les autres ?

Pas forcément. Quand je faisais ma thèse à La Nouvelle-Orléans en 2007, une ville qui avait été dévastée par l’ouragan Katrina en 2005, j’avais été frappé par le fait que les électeurs de Louisiane, malgré le traumatisme de l’ouragan, avaient élu quelques mois plus tard Bobby Jindal comme gouverneur. Bobby Jindal, si vous ne le connaissez pas, c’est un climato-sceptique notoire, à côté duquel Donald Trump aurait parfaitement sa place au GIEC.

Il y avait cette idée que l’attribution de l’ouragan au changement climatique revenait en quelque sorte à rendre les victimes responsables de leur propre situation. Or les victimes avaient besoin de pouvoir désigner des coupables, et la logique populiste et poujadiste de Bobby Jindal les leur désignait sur un plateau.

Quand on regarde les sondages d’opinion, au-delà de cette élection en Louisiane, on n’observe pas de corrélation entre le niveau d’inquiétude pour l’environnement et le niveau de priorité politique attribué à cette question. C’est l’un des enseignements d’un passionnant sondage l’automne dernier par Ipsos, à la demande d’EDF, dans 29 pays du monde. Globalement, dans le monde, 7 citoyens sur 10 se disent très préoccupés par l’état de l’environnement, et c’est généralement le climat qui est la préoccupation la plus citée parmi les problèmes environnementaux. Pourtant, ce n’est pas forcément dans les pays où les gens se disent les plus inquiets pour l’environnement qu’ils vont considérer que l’écologie est une priorité politique – et à l’inverse, les gens vont considérer qu’il s’agit d’une priorité politique alors que ce n’est pas toujours là où ils sont le plus inquiets. Par exemple, c’est en Chine que les citoyens estiment le plus que l’écologie doit être une priorité politique, alors que ce ne sont pas les plus inquiets.

Et en France ? Les Français considèrent-ils l’environnement comme une priorité politique ?

La France fait partie des pays où les gens considèrent qu’il s’agit d’une priorité, oui. Mais la France ne fait pas partie des pays les plus inquiets – contrairement à la Turquie, alors que les Turcs ne considèrent pas qu’il s’agisse d’une priorité politique. Il y a d’autres urgences à régler… Il n’y a guère qu’en Inde où le niveau de priorité soit corrélé au niveau d’inquiétude, qui est très fort dans les deux cas.

"On commet une erreur en imaginant que notre volonté d’agir, ou la priorité qu’on va donner à l’écologie, dépendent de notre niveau de connaissance ou de sensibilisation au problème."

François Gemenne

sur franceinfo

Tous les sondages sont formels : le niveau d’inquiétude face au changement climatique est très élevé dans tous les pays du monde, et il augmente au fur et à mesure que les températures augmentent, notamment parce que les gens ressentent les effets du changement climatique dans leur quotidien. Mais ils savent aussi que les impacts du changement climatique qu’ils connaîtront personnellement ne sont pas directement corrélés à leur niveau personnel d’émissions, il y a un décalage dans le temps et dans l’espace. Et on agit avant tout selon nos intérêts immédiats.

Il y a encore un élément à prendre en compte ici : notre capacité à oublier. Dans le sondage dont je viens de parler, la sécheresse de l’été 2022 n’était mentionnée que par un Français sur deux, quand on leur demandait en 2023 s’ils avaient été touchés par une sécheresse au cours des dernières années. Il ne faudra donc pas compter sur les catastrophes pour nous faire passer à l’action. Et au fond c’est une bonne nouvelle, parce que ce serait un peu désespérant de s’en remettre à ça.

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