COP 28 : François Gemenne se réjouit de l'accord-surprise promulgué par la présidence émirienne sur l'indemnisation des pays du Sud
La COP 28 a un peu surpris tout le monde lors de son démarrage jeudi 30 novembre, avec cet accord qui a été trouvé sur le fonds des "pertes et dommages" dès le premier jour. Ce fonds va permettre à l'ensemble des pays en développement d'accéder à des financements pour réparer les dégâts subis à cause du dérèglement du climat.
Selon François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC, quelque chose semblait se préparer quand la présidence a annoncé que le début officiel de la COP était repoussé de plusieurs heures, mais personne ne s’attendait à ce qu’un accord aussi important ne soit adopté aussi rapidement. Pour lui, c’est un vrai coup de maître de la part de la présidence de cette COP, alors qu'elle avait été tellement décriée.
franceinfo : Les ONG parlent d’un accord historique pour la justice climatique. Qu'en est-il ?
François Gemenne : C’est même la pierre angulaire de ce qu’on appelle la justice climatique, qui permet que les pays industrialisés reconnaissent leurs responsabilités dans les impacts du changement climatique que subissent les pays du Sud. Ces pays du Sud ont une responsabilité dans le changement climatique évidemment négligeable. En 2022 à la COP 27, il y avait déjà eu un accord politique sur ce point, mais on avait échoué à mettre en place le fonds d’indemnisation.
C’était un des enjeux-clés de cette COP, ce fonds d’indemnisation ?
"Sans ce fonds d’indemnisation, l’accord de la COP 27 serait resté un accord de principe, sans matérialité, et les pays du Sud auraient évidemment eu l’impression d’avoir été roulés dans la farine."
François Gemenneà franceinfo
Maintenant, le fonds est sur pieds, et on a même déjà commencé à l’abonder : les Émirats ont été les premiers à sortir le carnet de chèque, avec 100 millions de dollars, suivis par l’Allemagne, avec le même montant, puis l’Union européenne… Même les États-Unis, pourtant très très rétifs à cette idée de compensation financière, ont mis quelques dollars symboliques. Ce fonds, c’est vraiment la clé de voûte de la justice climatique, c’est l’aboutissement de 30 ans de lutte et de plaidoyer pour les ONG et les pays du Sud.
"Cet accord devrait aussi beaucoup faciliter la suite des discussions, notamment pour permettre d’apaiser les tensions entre les pays occidentaux et les pays du Sud, qui risquaient d’être exacerbées par le conflit à Gaza."
François Gemenneà franceinfo
Et donc c’est vraiment très habile d’avoir conclu cet accord dès l’ouverture de la COP. D’habitude, c’est plutôt dans les derniers jours, voire dans les dernières heures des COP que se nouent ces accords. Diplomatiquement, c’est un coup de maître, vraiment.
Justement, n’oublie-t-on pas un peu que c’est aussi un enjeu diplomatique majeur pour les Émirats arabes unis, cette COP ?
Évidemment, pour eux, c’est un enjeu majeur. Et c’est sans doute aussi comme ça qu’il faut lire le discours d’ouverture très volontariste du président de la COP, également PDG d'un grand groupe pétrolier, al-Jaber, qui a aussi surpris beaucoup d’observateurs.
Pourquoi ça ?
Parce qu’il a insisté sur le besoin d’inclure la responsabilité des énergies fossiles dans la déclaration finale de la conférence. Et là encore, il a pris tout le monde de court parce qu’on s’attendait plutôt à ce qu’il essaie de noyer le poisson des énergies fossiles, en insistant sur d’autres sujets ou sur les investissements dans les énergies renouvelables.
"On ne s’attendait pas trop à ce que le PDG d’une compagnie pétrolière monte au créneau sur la responsabilité des énergies fossiles dans le changement climatique."
François Gemenneà franceinfo
Etes-vous en train de me dire que Sultan Ahmed al-Jaber, PDG de l’Abu Dhabi National Oil Company, est en train de devenir le héros des ONG ?
C’est au cas où Patrick Pouyanné [PDG du groupe TotalEnergies, ndlr] nous écouterait ce matin : tout est possible, qu’il le sache ! Plus sérieusement : évitons bien sûr de vendre la peau de l’ours et de crier victoire trop vite. Mais il est certain que c’est une COP qui démarre de la meilleure manière possible, et que la présidence émirienne semble avoir à cœur de faire taire les critiques qui lui avaient été adressées ces dernières semaines.
Pensez-vous qu’ils ont été touchés par les critiques ?
Je ne suis pas sûr, sincèrement. On leur donne souvent en France une importance qui ne correspond pas à leur poids réel. Les COP sont organisées selon un principe de rotation géographique, et donc il est parfaitement logique que ce soit le tour d’un pays du Moyen-Orient à intervalles réguliers. Et Ahmed al-Jaber représentait son pays lors des COP depuis plusieurs années, donc il est également logique qu’il ait été désigné président.
Mais qu'en est-il du symbole ?
Justement : essayons d’en faire un atout. La COP, c’est aussi l’occasion de faire bouger les lignes dans le pays hôte. Même si ça ne fait pas plaisir aux professionnels de l’indignation, ce sont précisément les pays qui sont les moins engagés dans la transition qu’il faut faire bouger, aujourd’hui.
"Si on veut sortir des énergies fossiles, on doit agir sur la demande, et donc avec les pays consommateurs de pétrole, mais aussi sur l’offre, et donc avec les pays producteurs."
François Gemenneà franceinfo
Voyons aussi le chemin parcouru : il y a encore deux ans, l’Arabie saoudite s’opposait encore à toute mention des énergies fossiles dans les COP. Et là, on va discuter de la sortie des énergies fossiles !
En discuter, c’est une chose. Mais pensez-vous qu’on parviendra à acter la fin des énergies fossiles ?
On verra. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura de grosses réticences, du greenwashing et du lobbying… Mais on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise.
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