Cet article date de plus d'un an.

Le Pérou bascule dans l’instabilité politique sur fond de révolte des indiens Aymaras

Ce vaste pays d'Amérique latine est secoué par de violentes manifestations depuis quelques jours, en particulier dans les régions à forte population amérindienne. Le pays s’enfonce dans une crise politique profonde.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Les proches de 18 personnes tuées lors d'affrontements avec les forces de sécurité attendent avec des cercueils vides devant la morgue de l'hôpital Carlos Monge Medrano à Juliaca, dans le sud du Pérou, le 10 janvier 2023. (JUAN CARLOS CISNEROS / AFP)

Mercredi 11 janvier est un jour de deuil national dans ce pays de 33 millions d'habitants, grand comme deux fois la France. Le couvre-feu a été décrété pour trois jours dans la région de Puno, au sud du pays, sur les bords du lac Titicaca, près de la Bolivie. Le tout après des émeutes violemment réprimées lundi 9 janvier qui ont fait 18 morts et au moins 100 blessés en quelques heures.

Dans cette région peuplée essentiellement par les indiens Aymaras, les manifestants, près de 9 000 selon la police, ont cherché à s'emparer de l'aéroport de Juliaca, juste à côté de Puno. Les forces de l'ordre ont riposté sans discernement, y compris en tirant sur des médecins qui voulaient soigner des blessés. Plusieurs journalistes ont été pris à partie par la police. Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent vivement le comportement des forces de l'ordre. Outre les morts et les blessés, les dégâts sont considérables. L'aéroport est fermé pour au moins dix jours.

Les manifestations ont débuté il y a déjà un mois, dans près de six régions. Et il y a régulièrement des accrochages, faisant au total près de 40 morts et 600 blessés en quatre semaines. Plus de 50 axes routiers demeurent bloqués par les manifestants, dans plusieurs régions du pays. Et les contestataires ont lancé une marche vers la capitale.  

Le sentiment amérindien d'un déni de démocratie

Ce qui a tout déclenché, c'est une crise institutionnelle début décembre, lorsque le président élu, Pedro Castillo, d'étiquette socialiste, a tenté un coup de force en essayant de dissoudre le Parlement, qui cherchait il est vrai à le chasser du pouvoir. Castillo, 53 ans, a été logiquement destitué et arrêté. La vice-présidente Dina Boluarte a pris sa suite. Mais pour les électeurs de Castillo, c'est un coup d'État contre un président légalement élu. Castillo, un métis, un cholo comme on dit au Pérou, incarnait un espoir pour les populations rurales et indiennes du pays, Quechuas et Aymaras.

Ces populations sont souvent regardées avec mépris par les élites politiques de la capitale Lima, sur la côte Pacifique. Le clivage est ethnique, linguistique, économique et aussi géographique. Quechuas et Aymaras vivent essentiellement à l'intérieur du pays, dans les Andes, et surtout au Sud, vers Puno, pour les Aymaras. Autant de régions dont les richesses minières ne profitent pas à la population locale. Pour les manifestants aymaras Castillo a en fait été renversé par des élites qui se sentaient menacées. C'est un déni de démocratie.  

Six présidents en cinq ans

Il est donc probable que la contestation se poursuive, d'autant que la justice entre dans la danse. Le parquet péruvien vient d'ouvrir une enquête sur la répression policière, une enquête contre la présidente Boluarte. Le Pérou est vraiment rongé par l'instabilité politique : il vient de connaitre six présidents en cinq ans. Un exemple : Pedro Castillo, désormais incarcéré, se trouve dans la même prison que l'ancien président Alberto Fujimori, condamné pour corruption et crimes contre l'humanité. Les institutions démocratiques sont fragiles, et la corruption omniprésente depuis de longues années dans ce pays rongé par la production de cocaïne et l'argent sale. L'ONU, à juste titre, se dit "très préoccupée".  

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.