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Inquiétudes autour des conditions de détention de deux chercheurs français en Iran

Le Français Roland Marchal et la Franco-Iranienne Fariba Adelkhah sont incarcérés en Iran depuis le mois de juin 2019, officiellement pour "atteinte à a la sûreté de l’État". Quelles sont leurs conditions de détention et que fait la France pour tenter de les libérer ?

Article rédigé par franceinfo - Philippe Reltien, cellule investigation de Radio France
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah et le chercheur français Roland Marchal sont détenus à la prison d'Evin en Iran depuis le mois de juin 2019. (Thomas Arrivé / Grégory Cales / Science Po)

Le 5 juin 2019, le sociologue français Roland Marchal quitte Dubaï en avion. Il doit présider quelques jours après une conférence à Nairobi au Kenya. Il profite des vacances de l'Aïd el-Fitr pour faire une escale à Téhéran et passer quelques jours de congés avec sa compagne, l'anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah, qui travaille sur place. Mais leurs retrouvailles n'auront pas lieu. Arrêtés tous les deux, lui à l'aéroport, elle à son appartement, ils sont emprisonnés dans la prison d’Evin, située dans les faubourgs de la capitale iranienne.

Une pratique d’emprisonnement courante

Officiellement, au moment des arrestations, les autorités iraniennes accusent Fariba Adelkhah d’espionnage et de propagande contre le régime. La chercheuse, qui a grandi à Téhéran avant de rejoindre la France dans les années 70, travaille, au moment de son arrestation à Téhéran, sur les réseaux religieux liant l'Afghanistan et l'Iran.  

Roland Marchal est quant à lui soupçonné de menace à la sûreté nationale. Mais ce sociologue spécialiste de l'Afrique et des Émirats arabes unis, et fin connaisseur des élites politiques et économiques, semble plutôt être une victime collatérale dans cette affaire. "Il était au mauvais moment au mauvais endroit, affirme Béatrice Hibou, docteure en économie politique au CERI. Il y a les tensions énormes entre l'Iran et les Etats-Unis, avec une politique d'otages assez généralisée. Malheureusement, Roland est arrivé en Iran au moment de la crispation de ces relations." Emprisonner des scientifiques en Iran serait en effet une pratique assez courante. "La France est loin d'être la seule à avoir des ressortissants détenus, affirme Jean-François Bayart. C'est le cas des Etats-Unis, du Canada, de l'Angleterre, de l'Australie et même de la Suisse. La prison d'Evin est finalement une véritable petite université, composée de scientifiques étrangers, mais également iraniens. Une sorte de petite Sorbonne."

Fariba Adelkhah en grève de la faim

Les conditions de détention des deux chercheurs sont très rudimentaires. Fariba Adelkhah est avec les prisonniers de droit commun dans la section des femmes, ce qui lui permet de recevoir la visite de sa sœur, et de téléphoner à sa famille. En revanche, Roland Marchal est maintenu au secret, dans la section réservée aux prisonniers politiques, administrée par les Pasdarans, le corps des Gardiens de la révolution islamique – les hommes forts du régime –, en compagnie d'un prisonnier anglophone. Seul son avocat est autorisé à le voir, une ou deux fois par mois. "Il tourne en rond, il ne parle pas persan, témoigne Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS. C'est extrêmement dur pour lui. Il n'y a pas de maltraitance physique, mais il a des problèmes d'arthrose, etc. La visite du consul de France à Téhéran lui a permis d'avoir accès à des médicaments, et d'avoir le droit de se promener dans la prison."

Une cellule de femmes dans la prison d'Evin, au nord de Téhéran (Iran), en juin 2006. (ATTA KENARE / AFP)

Soumis à la censure, l'accès à la lecture lui est restreint. Roland Marchal a commencé à apprendre le farsi (persan) pour communiquer avec ses gardiens, mais il s'est vu confisquer le dictionnaire qu’il avait demandé. "On a pu lui envoyer quelques livres, relate Richard Banegas, un de ses amis, professeur à Science Po Paris. Mais peu lui sont parvenus malheureusement."  

Fariba Adelkhah, elle, est en grève de la faim depuis le 24 décembre 2019. Elle proteste contre le fait qu’on lui interdise de voir Roland Marchal, sous prétexte qu’ils ne sont pas mariés. Désormais nourrie par perfusion, elle exige également la libération des autres prisonniers scientifiques. Téhéran a levé les accusations d’espionnage qui la visaient. Elle n’est donc plus menacée de la peine de mort, mais elle risque tout de même cinq ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat.

Un contexte de tension diplomatique

L’État français reste très discret sur ce dossier. "La stratégie utilisée par le gouvernement et le président Macron est tout à fait différente de ce qui s'est passé il y a dix ans avec Clotilde Reiss, une affaire politisée par le président Sarkozy, analyse le chercheur Bernard Hourcade. Aujourd'hui, au contraire, c'est discrétion et efficacité, notamment depuis l'arrivée d'Emmanuel Bonne comme conseiller diplomatique du président. Il connaît très bien la région, et sait que pour discuter et négocier avec les Iraniens, il faut prendre son temps et anticiper les susceptibilités et les difficultés de communication." Preuve de cette discrétion, le ministère des affaires étrangères n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet, même si le ministre Jean-Yves Le Drian, interpellé par un sénateur en juillet 2019, déclarait “suivre de très près” la situation des deux chercheurs français.   Faut-il lier la détention prolongée de Fariba Adelkhah et Roland Marchal au contexte géopolitique en Iran, sérieusement dégradé depuis le retrait des États-Unis de l’accord international sur le nucléaire ? "Trump, qui se représente en novembre 2020, a besoin de cette polarisation et de la création d'images d'ennemis pour montrer qu'il est dur et fort, analyse Fabienne Hara, chercheuse à Science Po. En Iran, la contestation et les manifestations, ainsi que les dissensions entre les différentes lignes politiques font que la situation est tendue, et on ne sait pas dans quel sens cela peut influer sur le cas des prisonniers scientifiques".

Des manifestants protestent contre la montée des tensions entre les États-Unis et l’Iran, devant la Maison blanche à  Washington, le 7 janvier 2020. (ALEX WROBLEWSKI / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Mais d'autres pensent qu’il faut dissocier le sort des deux français de ces tensions qui se sont accrues entre Téhéran et Washington. "Ces dossiers-là sont gérés de manière compartimentée, ce n'est pas lié à l'actualité politique ou diplomatique", tempère Georges Malbrunot, journaliste au Figaro. "En dépit de l'apparence de radicalité et de dureté qu'a prise le régime iranien, le pragmatisme et le sens du compromis domine encore, complète Rony Brauman. Les Iraniens savent jusqu'où ne pas aller."  

Les deux chercheurs français pourraient-ils être libérés prochainement, peut-être le 11 février 2020, à l’occasion de l’anniversaire de la Révolution iranienne, qui s’accompagne toujours de mesures de clémence ? Rien ne le dit. Un comité de soutien a été initié par de nombreux chercheurs internationaux, et des actions régulières sont mises en place pour demander leur libération.

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