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Regard sur l'info. "La planète catholique, une géographie culturelle" de Jean-Robert Pitte

Thomas Snégaroff s'intéresse à cette période, si particulière cette année, de Noël et reçoit Jean-Robert Pitte, auteur d'un livre qui interroge l'actualité : "La Planète catholique". 

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Troisième dimanche de mobilisation des catholiques, à Nantes le 22 novembre 2020, pour réclamer le retour de la messe dans les églises.  (ROMAIN BOULANGER /  PRESSE OCEAN / MAXPPP)

Jean-Robert Pitte est l'un de nos plus grands géographes, spécialiste de géographie culturelle, notamment du vin, du vin que l'on boira avec modération et en petit comité, dans quelques jours. Aujourd'hui, on évoque avec lui son dernier livre paru en août dernier aux éditions Tallandier : La planète catholique, une géographie culturelle

Nous allons vivre un Noël tronqué, mais un Noël tout de même. Et dans l'arbitrage par le gouvernement, Noël plutôt que le Nouvel An. Le gouvernement a donc décidé de sauver Noël.

franceinfo : Est-ce que c'est le signe, Jean-Robert Pitte, que, toujours et malgré tout, l'enracinement catholique est vraiment au cœur de notre société ? 

Jean-Robert Pitte : Oui, je le crois. Même des gens agnostiques ou profondément athées, restent attachés à cette fête de Noël, parce que c'est la fête de la joie, de l'enfance, du partage, de l'amitié, et donc, politiquement, il était très difficile de sacrifier Noël, surtout si ça avait été pour privilégier le 31 décembre, qui est une fête très populaire aussi, en particulier chez les jeunes. Mais qui a une connotation totalement différente, qui n'est plus du tout familiale.

Quel est aujourd'hui l'espace "politique" de la France catholique ? 

C'est compliqué, ça a beaucoup changé. Il y a des catholiques de droite, des catholiques de gauche. Je pense que depuis quelques années, la balance penche plutôt vers le centre droit ou la droite, voire pour un certain nombre de catholiques pratiquants, le Front national, qui sont des catholiques qui ne sont pas des schismatiques rattachés au mouvement Saint Pie X etc., donc, il y a une évolution, incontestablement. 

On a vu la mobilisation des catholiques, quand on avait réduit la jauge pour les messes. On a vu les prières de rue, notamment à Versailles ou à Paris, face à Saint-Sulpice. Comment le géographe analyse-t-il ces mouvements de réappropriation, d'une certaine manière, d'un espace commun qu'est la rue ?

Oui, ça a toujours existé. Regardez le nombre de processions qu'il y a en Bretagne, en Corse, dans beaucoup de régions, regardez la Semaine sainte à Séville, où beaucoup de fêtes religieuses en Italie, qui se passent dans la rue. À Paris, il y avait encore jusqu'à l'année d'avant l'incendie de Notre-Dame, une grande procession autour de Notre-Dame, en partie en bateau d'ailleurs, pour promener la statue de la Vierge Marie, puisque c'est la fête du vœu de Louis XIII, de la consécration de la France à la Vierge. Donc, il y a un certain nombre de manifestations de catholiques dans la rue. Mais là, c'était assez nouveau. Le gouvernement n'a pas très bien compris, parce qu'il a pensé que c'était une espèce de rébellion contre une décision liée à la situation de la pandémie. En fait, c'est beaucoup plus compliqué.

Les protestants et les juifs n'ont pas très bien compris non plus. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de sacrement. Donc le culte, c'est un rassemblement des fidèles, partageant un certain nombre de valeurs religieuses, mais il n'y a pas de sacrement. Or, pour un catholique, la transsubstantiation, c'est-à-dire le fait que l'eucharistie, le pain et le vin, ce sont les apparences, mais en réalité, c'est le corps et le sang réel du Christ, et ça beaucoup de gens, ceux qui ne sont pas catholiques, ne le comprennent pas évidemment. Et donc, sans le sacrement, la religion perd une très grande partie de sa valeur pour les croyants.

D'où l'importance de la messe, et de la messe de minuit, qui sera un peu tronquée cette année. C'est important pour les catholiques ?

Alors tous les catholiques y sont attachés, mais un certain nombre de gens qui ont perdu leur pratique religieuse viennent. Il y a un côté festif, on met le petit Jésus dans la crèche, etc. Aujourd'hui, un certain nombre de paroisses mettent même des sapins de Noël décorés dans les églises, ce qui est tout à fait invraisemblable puisque cela vient du paganisme de l'Europe du Nord, et moi, j'ai des ancêtres en partie alsaciens, de tradition catholique, il n'y avait pas de sapin de Noël chez nous à la maison, quand j'étais petit, parce que c'était païen ou protestant.

On n'oubliera pas non plus les pères Noël brûlés devant les églises dans les années 60 ? 

Il y a une magnifique anecdote : l'évêque de Dijon, au temps du chanoine Kir, avait brûlé le père Noël et le chanoine Kir, qui était maire de Dijon, a fait monter sur les toits de la mairie de Dijon, un père Noël déguisé, pour rassurer les enfants parce qu'ils ont cru que le père Noël avait été brûlé vif devant la cathédrale, devant Saint-Bénigne à Dijon, en 1961. Lévi-Strauss a écrit un superbe texte sur cet événement.

Votre livre traite du catholicisme à l'échelle mondiale, La planète catholique, est-ce qu'on connaît, en France comme ailleurs, cette poussée protestante que vous avez constatée, notamment en Amérique latine ?

Pas tellement, pas la poussée des évangélistes, mais en revanche, il y a une poussée dans les mentalités françaises d'idées qui viennent du monde protestant. C'est ce que dit d'ailleurs Régis Debray, la planète "se protestantise".

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