Uniforme à l'école : "Cela n'a jamais existé dans l'école de la République, la vraie question c'est que notre système éducatif reproduit les inégalités sociales", estime Jean Viard
Lundi 26 février, à Béziers, ce sera blazer, pull gris et chemise blanche, pour plus de 700 élèves de quatre écoles primaires. La ville va expérimenter l'uniforme à l'école.
Une mère de famille, interrogée par France Bleu Hérault, disait que l'uniforme "leur permet de porter une tenue bien spécifique pour l'école, de se concentrer plus sur le pourquoi, ils vont mettre ce vêtement pour aller étudier, plutôt que de penser à mettre des chaussures de marques. Ça remet tout le monde à niveau". Le Premier ministre, Gabriel Attal, lui, attend de voir si ça aura des effets en termes d'égalité et de laïcité, si ça réduira les violences.
franceinfo : Pour l'instant, aucune étude ne montre de liens entre uniforme et réduction des inégalités sociales. Alors à quoi ça sert ?
Jean Viard : Rappelons une chose : l'uniforme n'a jamais existé dans l'école de la République. Il y avait des uniformes dans les écoles privées. Dans l'école publique, il n'y a pas d'uniforme. Historiquement, il y avait effectivement des vestes, parce qu'on n'avait pas de machine à laver, et on avait des stylos à encre qui coulaient. Dans mon lycée, les pensionnaires avaient effectivement une veste grise.
Je vous rappelle qu'à l'époque on changeait le col des chemises et qu'à l'époque, les bureaucrates, ils avaient des manchons sur leur veste parce qu'effectivement laver c'était un énorme problème. Donc il y avait des protections contre la saleté, qui ont évidemment disparu avec le développement des machines à laver. Il n'y avait pas une idéologie de l'uniforme, elle n'a jamais existé, sauf dans les écoles militaires. Ça, c'est la première question.
La deuxième question, c'est pourquoi on en parle ? On en parle parce qu'il y a eu des débats sur certains vêtements poussés par des salafistes pour des raisons idéologiques, de vouloir qu'un certain nombre de jeunes filles aient une façon de s'habiller pour aller à l'école qui affirme leur appartenance religieuse. L'uniforme, ce n'est pas une question d'égalité sociale. Soyons sérieux, les souliers, les bijoux, les cartables ne seront pas les mêmes, la coiffure, les montures de lunettes ne seront pas les mêmes, etc.
Donc, dans la vraie vie, on va trouver des signes de distinction sociale, et c'est pour ça que je ne crois pas en termes d'uniformité. Après, je comprends très bien que quand il y a une agression contre l'école de la République, il faut avoir des réponses contre cette agression. Mais ne faisons pas comme si on retournait au passé.
Ce n’est pas un retour en arrière pour vous, dans l'esprit je veux dire ?
Mais non, la question c'est : est-ce qu'on crée des sentiments d'appartenance ? La réponse est oui, parce que l'uniforme ne va pas forcément être national. Vous allez avoir des écoles différentes. Faut faire attention, parce que regardez les combats qu'on a entre bandes de jeunes qui veulent défendre le territoire de leur quartier. J'ai connu ça quand j'étais enfant. En soi, c'est totalement idiot. Mais de fait, quand on est jeune, on s'approprie un territoire.
C'est sûr que si on a un uniforme et que les autres ont un uniforme un peu différent, cela va devenir un rituel d'appartenance. Ce n'est pas non plus forcément négatif, si c'est porté par le groupe éducatif, etc. Mais il faut que ça soit porté comme un projet de réussite sociale, et que les décrochés scolaires se disent : Mais moi, je ne vais pas arrêter d'aller au collège parce que j'aurais plus l'uniforme. Si on arrive à ça, et que ça permette de retenir des enfants à l'intérieur, notamment du collège, c'est une réussite. Sinon, effectivement, c'est un échec.
Ce débat, c'est pas la première fois qu'on l'a au sein de la société française. On voit la division entre droite et gauche sur le sujet. Les premiers sont plutôt pour, les autres, plutôt contre. C'est une mesure de droite, l'uniforme ?
C'est une culture qui vient du privé, donc plutôt une culture de droite, au sens où effectivement les gens catholiques de droite vont plus dans le privé que les enfants d'immigrés ou d'ouvriers d'usine. Donc on peut faire ce type de clivage, mais je ferais plus un clivage privé/public, que de droite gauche. Mais ne soyons pas naïfs. La vraie question de notre école, c'est qu'on a une école qui reproduit les inégalités sociales et c'est ça qui est terrible. C'est-à-dire que vous êtes assigné à votre position par l'école. Mettons d'abord l'école à égalité.
Il y a eu une réforme idéale, c'était le dédoublement des classes de maternelle. Réfléchissons plutôt comme ça. On manque à certains endroits d'enseignants. Peut-être qu'il faut réduire les heures de cours pour qu'il n'en manque pas. Je ne sais pas, je ne suis pas organisateur de l'école. Mais effectivement, ayons plutôt cette idée : comment on arrive à l'égalité des niveaux, quel que soit le milieu d'origine. C'est ça la question fondamentale.
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