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Question de société. Jean Viard : " À l’État de s'aimer lui-même, de se mettre sérieusement à payer ses fonctionnaires légitimement"

"Question de société", chaque dimanche sur un sujet d'actualité, avec le sociologue Jean Viard. On parle aujourd'hui des inquiétudes liées à la proposition de loi dite de sécurité globale. Notamment du fameux article 24. 

Article rédigé par franceinfo - David Dauba
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une manifestation, contre la proposition de loi "sécurité globale", près de l'Assemblée nationale (Paris), le 17 novembre 2020. (REMI DECOSTER / HANS LUCAS / AFP)

Plusieurs manifestations ont eu lieu samedi 21 novembre, en France, contre la proposition de loi, dite de sécurité globale, notamment contre l’article 24, qui concentre toutes les inquiétudes, et parmi les différents slogans, on a pu lire, "Police floutée, justice aveugle".

franceinfo : Jean Viard, difficile de placer le curseur entre liberté d’informer, liberté de manifester, et surtout, celle de ne pas nuire ?

Jean Viard : Je voudrais essayer de dire quelque chose. La première chose, c’est que c’est une loi spéciale, moi, je n’aime pas trop les lois spéciales quand il y a des événements, c’est une tradition qui se développe. Bon, passons… La deuxième chose : je vois bien le jeu de Gérald Darmanin qui a été mis là pour affirmer l’autorité, mais qui essaie de tirer le gouvernent sur la droite pour la prochaine présidentielle, et à mon avis, beaucoup trop à droite, mais ce jeu est visible. Après, la communication numérique a changé, sur ces questions, un certain nombre de choses, y a les visages des policiers qui circulent sur internet etc…

Deuxième idée, moi je suis un ancien de 68, je suis sociologue, donc, à priori la police, je ne suis pas un adversaire, mais les sociologues de 68 et la police, c’est pas forcément une famille très, très unie, mais ceci dit, je connais le député qui a porté la loi, l’ancien patron du RAID, je l’apprécie, et j’ai un gendre qui est brigadier de police, donc j’ai chez moi, j’allais dire, aussi, la souffrance des policiers, la difficulté à l’école quand les enfants disent : "papa est policier". Le refus de rentrer avec l’uniforme à la maison… Y a un vrai problème qu’il ne faut pas se cacher parce que sinon, petit à petit, n’iront dans la police que des gens qui au fond, n’ont pas d’autre choix ! Donc nous, on a besoin d’avoir une police compétente.

Alors une fois que ça, c’est dit, y a une hausse de la violence dans cette société qui est absolument manifeste. Et y a des violences policières mineures mais fortes, ponctuelles. Faut le dire aussi. Donc y a un niveau de violence qu’on ne voit pas dans les autres pays européens qui est particulièrement problématique.

Une fois qu’on a dit ça, faut poser le constat ?

Ça veut dire que c’est inquiétant, y a le terrorisme qui est très fort en France. Alors moi, l’idée que je voudrais apporter en tant que sociologue, c’est que l’Etat depuis 20 ans, 15 ans, ne se respecte pas lui-même et ne respecte pas ses agents.

C’est-à-dire ?

On demande aux citoyens de respecter les policiers, les enseignants, les hôpitaux, mais on sous-finance l’hôpital, les policiers. On en a supprimé 10.000 sous Nicolas Sarkozy, on ne leur paye pas les heures supplémentaires. Et les enseignants ? Moi, j’ai une fille qui est enseignante, elle vient de gagner 36 euros d’augmentation par mois, après des années de blocage de salaire, en milieu de carrière. C’est très bien, disons que ça permet de faire un dîner au resto. Donc, à un moment, un état qui dévalorise, qui parle de "mammouth", rappelez-vous, le "mammouth" de l’Education nationale, rappelez-vous, les policiers supprimés ; rappelez-vous l’idée que l’hôpital, c’est d’abord une machine à dépenser du pognon ! Si on veut que chacun d’entre nous, respections le professeur, respections le policier et respections l’hôpital, ce qui est une bataille essentielle, on est en train de rejeter ces grandes institutions...

Y a quand même eu le Grenelle de la santé ?

Oui, y a eu le Grenelle de la santé, y a eu des choses qui se sont auto-organisées grâce et à cause du Covid, et on a laissé les hôpitaux s’auto-organiser, casser la bureaucratie des systèmes de gestion, parce qu’il y avait une urgence absolue ! Y a une question d’argent, mais y a une question de modèle social, c’est-à-dire qu’on est sur-administré, on est sur-contrôlé. Donc on fait un pas. La police, c’est un peu la même question. Pourquoi les heures supplémentaires ne sont pas payées ? Aucun patron ne pourrait ne pas payer les heures supplémentaires ! C’est quand même une question de respect des gens, donc je veux dire qu’à un moment, pour sanctionner les gens…

Par exemple, on a le droit de filmer les policiers, mais on voit bien que des policiers vont dire aux gens : "Non, non, non, tu peux pas le faire, c’est interdit". Ils n’ont pas le droit, puisqu’on a le droit de filmer. Mais on n’a pas le droit de dire sur les réseaux sociaux : violez etc…ce qui est normal ! Mais le problème du numérique est un problème global. Effectivement, est-ce que dans la loi on a prévu que si un policier vous casse votre appareil photo, parce que vous le filmez, c’est lui qui est condamné ? On a le droit de filmer les policiers, c’est l’usage qui est réglementé. Sur ces choses-là, c’est pas équilibré. Il faut dire ça.

Le problème de l’Etat, c’est qu’il nous demande d’aimer à nouveau les fonctionnaires à cause de cette crise, du terrorisme etc., et c’est une très bonne nouvelle, ça vaut après l’assassinat de Samuel Paty, sur enfin un retour au respect des enseignants etc… mais on ne respecte pas quelqu’un qui est mal payé dans une société. À un moment, le niveau de rémunération, c’est un des éléments de la légitimité.

À l’État également de faire son travail ?

À l’État de s’aimer lui-même, et de se mettre sérieusement à payer ses fonctionnaires légitimement. Je crois que c’est un élément du débat qu’on oublie trop souvent.

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