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Question de société. Fin de vie libre : "C'est une question de consentement dans une société sensible à l'intimité, à l'individu, au libre choix", Jean Viard

Aujourd'hui dans "Question de société" avec le sociologue Jean Viard, la proposition de loi pour un droit à une fin de vie libre. Proposition qui n'a pas abouti cette semaine à l'Assemblée nationale, du fait de l'avalanche de plus de 3 000 amendements.  

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La fin de vie, un sujet qui depuis des décennies crée des polémiques dans la société française. (Illustration) (XIJIAN / E+ / GETTY IMAGES)

La proposition de loi pour un droit à une fin de vie libre et choisie, un droit à l'euthanasie, n'a pas abouti cette semaine à l'Assemblée nationale, mais elle a relancé le débat en France. Petit rappel : notre pays autorise depuis 2016 la sédation profonde et continue, jusqu'au décès pour les patients incurables, et en grande souffrance, mais pas d'euthanasie. Pas de suicide assisté.

franceinfo : Est-ce que cette législation aujourd'hui est le reflet de l'opinion des Français sur le sujet ou a-t-elle un train de retard ?   

Jean Viard : Non. L'opinion publique est très clairement favorable à ce que la réglementation évolue. Il faut bien dire qu'on parle d'un droit, ce n'est pas une obligation. Il faut quand même toujours insister là-dessus. C'est : est-ce qu'on va avoir le droit ou pas de choisir ? Après, chacun fait bien comme il veut pour ce qui le concerne lui-même. Mais je vais vous dire une chose, il se trouve que ma compagne est belge, donc je suis très souvent en Belgique, et dans ma famille belge, plusieurs personnes ont choisi la fin de vie assistée, l'euthanasie comme on dit en France. Et en fait, au début, ça m'a un peu choqué.

Et puis, je me suis rendu compte qu'en Belgique, c'est devenu coutumier, que les gens étaient très paisibles. J'ai eu trois situations où j'ai confronté ça, une fois chez le père d'un ami, un beau-père dans ma propre famille, et puis une tante. Et je me suis rendu compte qu'en fait, ces gens étaient au fond extrêmement apaisés, et que c'était devenu une discussion un peu naturelle. Quand effectivement, c'est sérieux. Il y a un autre médecin qui évalue, il y a un psychologue. Au fond, quand vous sentez que la vie n'a plus de sens, et que vous avez envie de la finir de belle manière. J'avoue que ma position a évolué suite à ces expériences.

Et au fond, ce que je me suis dit, c'est que ça relevait de la question du consentement. On parle beaucoup du consentement en ce moment en matière sexuelle, etc. On a vu évidemment la législation sur l'avortement. On débat de l'allongement de la période de l'avortement, et au fond, la question, c'est le consentement, c'est comment j'ai envie d'imposer ma fin de vie aux autres et à moi même.

Est-ce qu'on ne va pas vers des sociétés où l'individu prend une place de plus en plus forte et, au fond, sa liberté de choix. Après, jusqu'à quand ? Parce que, bien sûr, il y a aussi la question du suicide. Il y a plein de gens qui essayent de se suicider et heureusement, la plupart échouent. Mais moi, je dirais au fond, c'est une question de consentement dans une société sensible à l'intimité, à l'individu, au libre choix. Et on va dans cette direction. Et d'ailleurs, ceux qui étaient contre l'avortement il y a un certain temps, sont un peu les mêmes que ceux qui, aujourd'hui, sont contre l'euthanasie assistée pour des personnes en fin de vie. 

Et sur ces questions du rapport au corps, du rapport à la vie et de la liberté qu'on a, de tout ce que l'on fait de cela, il y a souvent la question de la religion qui s'y joint. Est-ce qu'elle est là aussi présente aujourd'hui en France ? 

Mais elle est présente. Je comprends très bien le fait qu'on ne veuille pas le faire pour soi-même. C'est d'ailleurs la même question pour l'avortement. Je comprends très bien qu'il y ait des gens qui disent : "Non, moi, je considère que la vie commence le jour de la conception et qu'elle est sacrée". Je respecte profondément ce genre de pensée. La question, c'est : est-ce qu'on peut l'imposer aux autres ? En fait, c'est ça qui a changé, parce que les religions n'ont plus la même place dans nos sociétés. Les gens qui croient sont moins nombreux. Les gens qui vont à l'église, au temple, à la mosquée, sont évidemment moins nombreux qu'avant. Donc, au fond, c'est le droit des autres. Pourquoi est-ce que je dois suivre les recommandations que quelqu'un d'autre désire pour lui-même ?

Je crois que c'est vrai que les religions seront plus rétives. Elles ont une idée de ce qu'est la vie, qui est une idée historique et très respectable. Mais il y a des gens qui ont une idée de la vie un peu différente. C'est pour cela que je mets d'un côté le droit à l'avortement. Et là, c'est un peu la même chose. La mort est incontournable, et il y a des gens qui ont envie de la vivre plus confortablement, de ne pas s'angoisser. Je ne vois pas ce que les uns perdent à ce que les autres suivent ces recommandations.

Sur cette question de l'euthanasie, la loi avance régulièrement, progressivement, par paliers. Il y a d'abord eu le droit à laisser mourir, puis quelque chose de plus actif avec cette sédation profonde. Comment expliquez -vous que les choses aillent finalement assez lentement, plus lentement, en tout cas, que les changements dans la société ?

Franchement, j'ai tendance à penser que nos hommes politiques sont plus conservateurs que la société. Ça va sur d'autres sujets. Je pense qu'on aura la même discussion sur le haschich. Je pense qu'on a un monde politique un peu peureux sur les questions de droit à l'intime. C'est vrai aussi qu'ils n'ont pas forcément été élus là-dessus. Si vous voulez, dans une campagne électorale, on n'est pas mandaté exactement sur ces sujets. Je le comprends très bien, mais j'ai tendance à penser qu'ils sont plutôt plus conservateurs que l'opinion. La société est beaucoup plus vivante, et j'ai tendance à penser que nos institutions, nos organisations publiques ont du mal à changer à la vitesse de la vitesse du monde.

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