"Plutôt que de rendre l'impôt obligatoire pour tous, appelons-le impôt sur les hauts revenus", suggère Jean Viard
Il reste deux jours pour déclarer vos revenus si vous le faites encore sur papier : la date limite est le mardi 21 mai à minuit. Moins d'un Français sur deux paie aujourd'hui l'impôt sur le revenu, selon la direction générale des Finances publiques. L'occasion, dans Question de société avec Jean Viard, d'évoquer l'universalité de l'impôt.
franceinfo : Le fait que moins d'un Français sur deux soit soumis à l'impôt sur le revenu est-il un problème pour "faire société" ?
Jean Viard : D'un point de vue symbolique, l'idée que tout le monde paye, ne fusse que 10 euros d'impôt sur le revenu, est une idée fortement sympathique. Cela veut dire qu'au fond, tout le monde profite de l'école, tout le monde profite de la route goudronnée, tout le monde profite du policier, des services publics. Mais une fois qu'on a dit ça, d'abord ça coûterait une fortune. Parce que pour récupérer 10 euros, je ne sais pas combien cela coûterait de centaines d'euros, pour gérer le dossier, l'immatriculation, etc. Et puis deuxièmement, c'est devenu un avantage acquis. Moi, j'aurais plutôt tendance à changer le nom pour dire "l'impôt sur les hauts revenus", par exemple, ce qui fait que les 45 % de Français qui le payent seraient valorisés. Ils se diraient : moi, quand même, je paye l'impôt. Ce serait le penser comme une fierté. On ne peut pas enlever des avantages acquis. Et surtout, disons la réalité : on a tout fait pour contourner l'impôt sur le revenu, que ça soit avec la TVA ou la CSG qui rapportent beaucoup plus. L'impôt sur le revenu rapporte nettement moins de 100 milliards alors que la TVA et la CSG, beaucoup plus [En 2023, l'impôt sur le revenu représente 24,1% des recettes fiscales brutes, la TVA 37,5% et les autres recettes 20%. L'impôt sur les sociétés représente le reste, 18,4%]. On a trouvé des impôts "indolores". Ils ne sont pas totalement indolores parce qu'en fait on les paie quand même, mais ils se diluent dans la consommation. Plutôt que de rendre l'impôt obligatoire pour tous, appelons-le "impôt sur les hauts revenus".
Pourquoi ce débat revient-il, selon vous ?
Mais parce qu'on a envie de règles qui nous rassemblent. Cela a été le même débat sur les allocations familiales quand on a commencé à dire qu'elles ne vont plus être les mêmes pour tout le monde. On a besoin de raisons qui nous rassemblent. Je pense que les allocations familiales, cela aurait été bien que cela reste les mêmes pour tout le monde, même s'il est exact que certaines personnes n'en ont pas besoin quand d'autres en ont beaucoup plus besoin. Mais il est nécessaire d'être rassemblés dans la symbolique et notamment dans la symbolique fiscale, dans la symbolique sociale. De même qu'on a tous droit à être soigné, on a tous droit à aller à l'école, etc. Donc c'est pour ça que ça revient régulièrement. L'idée de se dire qu'on paie tous l'impôt, c'est une idée qui nous rassemble, donc c'est positif. Cette idée, je la comprends.
Mais, vous l'avez dit, ce n'est pas parce qu'on ne paie pas l'impôt sur le revenu qu'on ne paie pas d'autres impôts et que finalement on contribue pas aux services publics ?
Oui, mais en plus, il y a une culture en France de se dire que c'est gratuit. Mais ça, c'est une culture de l'après-guerre qui a été amenée dans les débats. Moi, je suis favorable à ce que, quand je vais à l'hôpital, on me donne une facture en mettant : "acquitté". Même mon gamin, quand il va à l'école, je serais assez favorable à ce qu'on dise : cette année, l'éducation de votre fille ou de votre fils, cela a coûté tant d'euros d'argent public [En 2022, la dépense moyenne est de 7 910 euros pour un élève du premier degré, 10 770 pour le second degré et 12 250 pour un étudiant]. Je pense que l'idée de la gratuité est fausse parce qu'il y a toujours quelqu'un qui paye. C'est comme quand on dit que les transports publics sont gratuits dans certaines villes. C'est peut-être une très bonne politique, mais ça veut dire que c'est payé par l'impôt. On est une aventure collective, on va bientôt être 70 millions de Français, on a le même budget, on a les mêmes enjeux d'éducation, de sécurité, etc. Rassemblons-nous dans ce genre de discours, ne cachons pas les prix des choses. Et du coup, à la limite, j'aurais tendance à dire : quand vous quittez l'hôpital avec votre facture acquittée, vous avez envie de dire merci.
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