"On est dans un moment où la vie privée des gens publics est quasiment en voie de disparition, ce qui pose un vrai problème", Jean Viard
Avec le sociologue Jean Viard on évoque les vacances du ministre de l'Éducation, Jean-Michel Blanquer, à Ibiza, en pleine préparation de la rentrée et du protocole sanitaire. Elles ont fait la une de l'actu, relançant une nouvelle fois le débat sur ce que peut faire ou pas un ministre, et plus largement, un homme ou une femme politique.
Cette page a été mise à jour pour préciser que Jean Viard a été candidat LREM aux élections législatives dans la 5e circonscription du Vaucluse, en 2017.
On s'intéresse aux questions de société tous les weekends sur franceinfo avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS et ancien candidat LREM aux élections législatives dans la 5e circonscription du Vaucluse, en 2017. Et cette semaine, on évoque la polémique autour des vacances à Ibiza du ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, en pleine préparation de la rentrée et du protocole sanitaire.
franceinfo : La société demande de plus en plus d'exemplarité aux dirigeants politiques. Comment on peut l'expliquer ? Est-ce que c'est une bonne chose aussi ?
Jean Viard : Il y a différentes choses, là, il y a d'abord une décision prise un dimanche soir qui s'applique le lundi matin. Le délai n'était pas très raisonnable. Il ne faut pas, je pense, mélanger tous les sujets. Là, il y a une vraie question.
Puis après, il y a eu effectivement la mise en scène de la séquence à Ibiza, qui est évidemment un coup politique, mais qui était je dirais évidemment maladroite. Par exemple, vous n'allez pas annoncer la mort de quelqu'un, en short. Il y a un costume qui correspond à une situation dans les périodes un peu tragiques.
C'est vrai quand on pense Ibiza, on pense boîtes de nuit, etc. Donc il y a tout ça qui était très maladroit. D'ailleurs, les Français sont très partagés. Il y en a la moitié qui trouve que ce n'est pas grave, l'autre moitié qui trouve que c'est grave. Et en fait, c'est assez politique. Ceux qui sont plutôt opposés au ministre trouvent que c'est grave, les autres non.
Mais après, vous avez raison, c'est un vrai sujet, c'est-à-dire que la société numérique où on est, l'info en continu, font qu'il y a une espèce de transparence, d'abord, qui touche souvent à l'indiscrétion. On est dans un moment où la vie privée des gens publics, au fond, est quasiment en voie de disparition, ce qui pose un vrai problème. Et c'est pareil dès qu'il y a une plainte contre quelqu'un, tout le monde le sait avant même le procès. On est là dans cette période.
C'est une affaire d'image aussi ?
C'est normal aussi qu'on demande aux gens, c'est comme quand vous êtes élu, il y a un costume plus ou moins adapté à la situation, mais je dirais que c'est vrai pour le prof, par exemple, c'est-à-dire le costume le signifiant change, mais dans nos sociétés, le costume qui a pris le pouvoir, c'est le costume des vacances.
Mais pour revenir à notre sujet, est-ce que les politiques ne sont pas pris aussi à leur propre jeu à force de faire de la communication ? Ça peut se retourner parfois aussi contre eux ?
Et c'est vrai pour tout le monde. Tout le monde est obligé de faire de la communication parce que ça fonctionne, et en même temps, on est dans une période moralisatrice. Faut pas se le cacher. Comme au fond, le politique n'est plus un grand enjeu idéologique, on s'attaque aux personnes, et d'une certaine façon, la logique moralisatrice, c'est ça. Est-ce qu'il a bien fait en tant qu'individu ? Alors qu'avant, on aurait dit : est-ce qu'il est juste politiquement ?
Et on le voit bien, avec tous les élus qui sont agressés, etc. On s'attaque à la personne parce qu'effectivement, on ne s'attaque pas au contenu politique. Regardez toutes les agressions d'élus devant leur domicile. Cette intrusion dans l'intime, elle peut aller jusque-là, mais ça renvoie bien au fait qu'on n'a plus de grandes appartenances idéologiques. On cherche des solutions autour de l'individu dans une période très moralisatrice.
Il faut dire tout ça en disant que c'est extrêmement dangereux, et en même temps dans une société numérique de réseaux, etc., c'est difficile que ça soit autrement. Donc forcément, les hommes publics, comme d'ailleurs les artistes, etc. se cachent une partie de leur vie, ou au contraire, sont obligés d'y faire très attention. Donc oui, on est dans cette intrusion dans la sphère de l'intime d'une société qui est moins idéologique. Donc, c'est très compliqué à vivre.
Vie privée, vie publique qui s'entremêlent. Mais en tout cas, on peut dire que l'exemplarité est devenue aujourd'hui un impératif en politique ?
L'exemplarité, c'est normal, ça a toujours été, parce que si vous êtes un personnage public, disons membre des élites, mais élites, je mets dedans les joueurs de foot, tous les gens qu'on voit à la télévision, on va dire. Vous avez forcément une influence sur la jeunesse. Parce qu'évidemment, les jeunes vous regardent. Quand un président de la République emploie un gros mot. Ben évidemment, il y a plein d'enfants à qui on dit tout le temps arrête de dire des gros mots, qui rigolent derrière leur moustache, si j'ose dire...
Mais c'est normal en même temps, que les gens qui sont les plus visibles, pour leur statut, se considèrent en responsabilité, notamment vis à vis de la jeunesse qui est en cours de formation et d'apprentissage, et donc, on transmet les codes : une société, c'est des codes d'éducation, un personnage public, quand il parle, il doit penser aux enfants qui l'écoutent. C'est vrai pour un politique, un sportif, un chanteur ou toute autre personnalité publique.
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