Les ponts de mai : pour Jean Viard, "la question du temps scolaire se pose, par rapport au temps d'une société du travail à quatre jours"
Les grands ponts du mois de mai, cette semaine de mercredi à dimanche, et la semaine prochaine du 8 au 12 mai, ce sont des périodes de départ importantes pour les travailleurs qui souhaitent profiter de ces ponts du printemps en quittant les grandes agglomérations. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
franceinfo : C'est vraiment une question de société, Jean Viard, ces grands ponts du mois de mai, et c'est un grand bonheur pour beaucoup de Français ?
Jean Viard : Oui, il y a un phénomène massif de départs. C'est le moment où il commence à faire beau, alors aujourd'hui, je dis ça mais il ne fait pas beau partout. Donc il y a une aspiration massive à quitter les grandes villes. Il y a trois vacances en France : du 1er au 15 août, les vacances de Noël depuis 1981 – on a mis la cinquième semaine de congés payés entre Noël et le jour de L'an – et puis il y a ces ponts du printemps. Cette année, c'est une bonne année parce qu'il y a des années où les ponts, il n'y en a pas beaucoup, parce que les jours fériés tombent le dimanche.
Donc il y a ce désir profond des gens. Mais n'oublions pas quand même que la première activité de ce pont, ça va être le jardinage. Les 67% des gens qui ont un jardin, ont sorti leur tondeuse, leur sécateur, leur binette, et ils sont en train de planter des fleurs ou des tomates. Et puis il y a ceux qui vont quitter la ville. C'est la fête de la nature, je le dirais comme ça. Et cette fête du la nature, le maximum de gens ont envie de la partager. Certains pourront aller se promener dans un parc, dans un jardin public ou passer une journée en dehors de la ville. Mais c'est un moment très, très fort de la vie de la société.
Mais certains élèves reviennent à peine de leurs vacances de printemps. Ça désorganise un peu la vie scolaire tout de même ?
Je pense qu'il y a un vrai débat sur l'organisation du temps. Il ne faut pas se le cacher. On a construit les vacances scolaires en tenant compte des problèmes de sécurité routière, ce qui est normal, des problèmes de neige, ce qui est normal aussi. Mais le monde a changé. Il y a des enfants, ils vont rentrer le lundi matin, après 15 jours de vacances et le mardi soir, ils sont encore en vacances pour cinq jours. D'autres enfants n'auront pas de pont. C'est pris dans les vacances scolaires. Excusez-moi, c'est un désordre, je pense qui désorganise non seulement l'école et les enfants, mais aussi la production, parce que les parents posent aussi leurs jours de congé quand ils ont leurs enfants à la maison.
On a l'impression que maintenant, on arrête de travailler de manière intense à partir de début mai. Je suis un peu provocateur en disant ça, mais je pense qu'il faut qu'on remette ça à plat. Il faut qu'on aille d'une part, vers une semaine où tout le monde travaille quatre jours par semaine – je parle des écoles – parce que le vendredi, on sait très bien que beaucoup de gens quittent les villes. On le voit très bien à Paris, mais pas seulement à Paris. Donc la question du temps scolaire, par rapport au temps d'une société du travail à quatre jours, se pose.
Aux Etats-Unis, il y a beaucoup d'écoles qui sont ouvertes du lundi au jeudi, et le vendredi, l'école n'est pas fermée, mais pour la plupart des enfants, elle est fermée. Elle est ouverte pour les rattrapages, pour les réunions de parents, et surtout pour la formation continue des enseignants, et c'est pour qu'ils ne soient pas absents, les jours où les enfants sont là. C'est un modèle, il faut y réfléchir.
Il y a ce que font les Italiens. Effectivement, vous avez le droit d'emmener vos enfants une semaine en vacances, quand vous voulez. Je pense que c'est tout à fait dans l'air du temps de nos sociétés, notamment pour les 9% de Français qui vont au ski. Qu'ils aillent au ski quand il y a de la neige, et qu'on n'oblige pas tous les Français à rester chez eux, alors qu'il n'y en a que 9% qui vont au ski. Là-dessus, il faut qu'on réfléchisse beaucoup plus sur la notion de "familles". Se dire que les familles sont éclatées dans l'espace. 50% des gens ne vivent pas dans leur département de naissance, ce qui veut dire que leurs frères, leurs sœurs et leurs cousins ne sont pas à côté.
Or, un des grands enjeux des vacances scolaires, ce sont les familles : réunions chez les grands-parents, chez les tantes, etc. Je pense qu'il faut revenir sur l'idée que la famille est le cœur du lien social, et que le temps scolaire doit être structuré par la famille, et qu'il faut peut-être revoir le temps de la semaine, y compris pour des questions de densité du travail, de la production. Parce que le temps scolaire, c'est quand même aussi en partie le temps du travail. Or, le travail, c'est un enjeu majeur dans la bataille écologique de produire de la richesse.
Les ponts de mai, c'est peut-être justement l'occasion de souffler en famille ?
Mais c'est pour ça que le pont de mai est excellent parce que tout le monde l'a en même temps. Et c'est effectivement pour ça aussi qu'il y a tant de gens qui se déplacent, parce qu’il est vrai dans toutes les régions et donc il marche très bien. Mais moi quand j'étais à l'école, ce n’est pas pour dire il faut revenir à l'ancien temps, Pâques par exemple, c'était le même temps pour tout le monde. D'ailleurs, au moment des fêtes de Pâques, on n'avait pas l'idée que les vacances de Pâques ne correspondaient pas aux fêtes de Pâques. Il faut donner du sens aux choses et je pense que ces vacances, effectivement, ce pont de mai marche très bien, parce qu'on l'a tous en même temps.
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