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"Les Français sont majoritairement favorables au nucléaire aujourd'hui, mais la grande question, c'est le retraitement des déchets"

Dans les prochaines semaines, huit des cinquante-six réacteurs français seront à l'arrêt, pour vérifier qu'il n'y a pas de problème de corrosion dans ces réacteurs. Le nucléaire en France, c'est la question de société du jour avec le décryptage du sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
17 février 2022. Les 4 réacteurs à eau pressurisée de la centrale nucléaire de production d'électricité de Cattenom (Moselle, France) avec au premier plan le clocher de l'église du village de Filsdorf (Luxembourg). (ALEXANDRE MARCHI / MAXPPP)

A partir d'aujourd'hui, un des réacteurs de la centrale nucléaire de Chinon, en Indre-et-Loire, est à l'arrêt. Ce sera le cas de deux autres réacteurs en France, dans les prochaines semaines, parce qu'il s'agit de vérifier qu'il n'y a pas de problème de corrosion, et donc, au total, 8 des 56 réacteurs français seront à l'arrêt, si bien que le gouvernement a permis aux dernières centrales à charbon très polluantes de produire davantage.

Avec Jean Viard*, sociologue, directeur de recherche au CNRS, on évoque aujourd'hui cette question du nucléaire dans notre pays. Une question de société, bien sûr. 

franceinfo : Une question politique aussi Jean Viard, dans cette campagne présidentielle, avec ce dilemme présenté : le nucléaire est-il ou pas une énergie verte ? C'est un débat qui fait rage depuis longtemps en France. 

Jean Viard : L'Europe vient de le classer en bordure des énergies vertes, au sens où, effectivement, elle ne contribue pas au réchauffement climatique, ce qu'il faut effectivement toujours répéter. Il faut dire aussi une chose, c'est que les Français sont majoritairement favorables au nucléaire aujourd'hui, ce qui était moins le cas il y a quelques années.

Mais après, il faut bien voir que le nucléaire, c'est perçu comme une écologie dans la transition, c'est-à-dire qu'on était dans des modèles d'économie pétrolière et charbon, pour être caricatural ; et puis, on a construit 443 réacteurs sur la planète qui ne produisent que 10% de l'énergie du monde d'aujourd'hui. Parce que le monde de demain, avec les voitures électriques, l'abandon du pétrole, etc., il va évidemment falloir augmenter considérablement la production d'énergie, donc ça, c'est la toile de fond.

C'est un sujet compliqué parce qu'on a toujours très peur du nucléaire et puis, c'est un sujet très politique. Brice Lalonde vient de sortir un livre qui a pour titre : Excusez-moi de vous déranger. Brice Lalonde, l'ancien ministre de l'Environnement, a pris maintenant une position pro-nucléaire, et il dit qu'au fond, la culture écologique française, à l'époque où on a commencé à discuter du nucléaire, sous de Gaulle, elle était pour le pétrole, et en fait on ne parlait pas encore de réchauffement climatique. On n'avait pas vu les inconvénients du pétrole.

Selon Brice Lalonde, les écologistes sont restés bloqués sur une position antinucléaire qui date d'une époque où ils étaient pour le pétrole. Évidemment, aujourd'hui, on ne peut plus être pro pétrole. Il faut réévaluer les données, et l'idée c'est qu'il va falloir de plus en plus d'électricité, qui sera produite par du solaire, par de l'éolien, par de la biomasse, un ensemble d'outils techniques. Et puis, la France est une puissance nucléaire militaire. Ne soyons pas complètement naïfs. Il y a des liens entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil. Or, la France est le seul pays nucléaire de l'Union européenne. 

On peut rappeler aujourd'hui que 88% de l'électricité qu'on produit en France est d'origine nucléaire, 9% de renouvelable pour la consommation, c'est un peu différent, mais l'objectif français – c'est là que peut-être que le terme de transition prend tout son sens – c'est de descendre la part du nucléaire dans le mix énergétique à 50%, d'ici 2035.

Vous nous avez parlé du nucléaire militaire qui fait partie de la stratégie française. Le nucléaire, globalement, c'est une filière d'excellence en France, avec beaucoup d'emplois défendus, à cet égard également ? 

Plusieurs centaines de milliers d'emplois. On avait d'ailleurs un peu perdu en compétences. On voit bien que l'EPR qu'on est en train de construire à Flamanville, le moins que l'on puisse dire, c'est que ça a traîné, qu'il y a des erreurs, les soudures, etc. Donc, on a perdu en compétences quelque part, quand on n'a plus fabriqué de centrales.

Et puis, les centrales, on en vend à l'étranger, parce qu'il y a aussi un enjeu, c'est que les grands pays technologiques restent les maîtres des centrales nucléaires. Si on en met partout sur la planète, il faudrait que les gens qui les contrôle aient des niveaux techniques excellents, sinon, c'est extrêmement dangereux, c'est très délicat une centrale nucléaire à faire fonctionner. C'est un grand secteur français, c'est plusieurs centaines de milliers d'emplois, et puis, c'est un grand secteur d'innovation, donc le nucléaire, c'est un mouvement, ce n'est pas arrêté.

C'est un mouvement, ce n'est pas arrêté, mais il y a vraiment ce débat : énergie de transition, comme beaucoup la soutiennent aujourd'hui, énergie d'avenir ? Peut-être pas, avec les limites que l'on peut connaître : la souveraineté, d'une part, les importations d'uranium, et puis toute la question du retraitement des déchets, qui est une grosse limite également ?

Le vrai problème, c'est le déchet. C'est vrai qu'il peut y avoir un accident dans une centrale. Comme il y a eu des milliers de morts dans les mines, il y en a encore tout le temps dans certains pays, comme la Chine ou l'Inde, donc l'extraction du sous-sol a toujours été extrêmement dangereuse.

Là, effectivement, la grande question, c'est le retraitement, c'est-à-dire les nouvelles innovations qui pourraient ou pas permettre de les réutiliser. Honnêtement, on ne le sait pas. C'est vrai que ça, c'est le grand côté négatif. Le grand côté positif, c'est que ça ne contribue pas au réchauffement climatique. Or, dans la hiérarchie des peurs dans la destruction de l'humanité, le grand risque en ce moment, c'est le réchauffement climatique. Ce qui n'était pas le cas il y a 30 ans. C'est pour ça, je pense qu'on va repartir dans cette direction et d'ailleurs, on a annoncé des EPR, ça donne une direction.

* ancien candidat LREM aux élections législatives, dans la 5e circonscription du Vaucluse en 2017

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