"Le Tour de France, ça réactive le désir de France, c'est un outil de l'imaginaire national qui nous rassemble, un lieu d'effort où des hommes sont au combat", souligne Jean Viard
Le Tour de France 2023 s'est élancé samedi 1er juillet de Bilbao, au Pays basque espagnol, et est attendu sur les Champs-Elysées, le 23 juillet. Une 110e édition que franceinfo partenaire exclusif va accompagner bien sûr, l'occasion aujourd'hui de revenir avec le sociologue Jean Viard, sur ce que le Tour de France représente en France, avec des milliers de spectateurs le long des routes, pendant quelques jours. Un événement bien ancré dans notre société. Le premier s'est déroulé en 1903.
franceinfo : Comment on explique que ce soit un événement aussi fédérateur ?
Jean Viard : Il y a plusieurs choses. D'abord, je pense que c'est un souvenir d'enfance. On l'a connu petit, on a rêvé, on se rappelle Poulidor, suivant les générations, chacun a ses coureurs, évidemment. Donc je pense que chaque été, ça nous rappelle un peu quand on était petit, qu'on parlait du Tour de France. Le vélo était beaucoup plus populaire avant, notamment dans les milieux populaires comme outils de déplacement dans les milieux paysans, les milieux ouvriers. Et donc, je pense qu'il y a ce souvenir d'enfance.
En France, il y a deux symboles, la Tour Eiffel et le Tour de France. Le Tour de France fait le tour. Symboliquement, ce sont les frontières, la bordure, les différentes régions. C'est un outil, si on peut dire, de l'imaginaire national, qui nous rassemble, qui est la plus belle épreuve de cyclistes au monde, semble-t-il, c'est ce que disent les spécialistes. Après, c'est un lieu d'effort, un lieu où des hommes sont au combat, on sait que c'est dur. Alors c'est vrai qu'à un moment, les débats autour de la drogue, du dopage, ont fait baisser l'intérêt, mais on peut penser qu'il y a eu des progrès qui ont été faits, il y a des nouveaux coureurs qui sont arrivés. Après, il est vrai, c'est comme en foot, quand il y a de très bons champions français, il y a plus d'adhésion. Le nationalisme joue. Il y a tout ça qui joue.
Et puis le Tour de France, c'est un spectacle, fait par hélicoptère. Il n'y aurait pas les hélicoptères, ce serait complètement différent. Mais regardez tous les gens qui se mettent devant le Tour de France. Il y a des types qui pédalent, bon très bien, mais ce qui est intéressant, c'est quand même la fin. Et donc, ils regardent les paysages, et c'est magnifiquement fait, les hélicos évitent les lieux pas beaux, on dirait une France merveilleuse de châteaux, de forêts, de jardins...
Une France merveilleuse, est-ce que c'est l'image d'une France éternelle aussi ?
Ben oui, oui, parce qu'effectivement, vous voyez plus de châteaux que des usines. Oui, mais elle existe aussi cette France-là, c'est vrai qu'elle est magnifiée par la façon dont c'est filmé. La France des villages, du patrimoine. Je rappelle quand même qu'il y a 30% des gens qui vivent dans le monde rural, et 30% qui vivent à côté des villes. Donc ce n'est pas une France inexistante, donc c'est bien aussi de la montrer une fois par an.
Et le Tour de France, c'est aussi une diffusion dans 190 pays. C'est le troisième événement sportif le plus regardé, et finalement, c'est aussi une carte postale qu'on envoie au monde entier ?
Ah, mais absolument, c'est la mise en désir de la France. Au fond, c'est une espèce de série télé, c'est tous les ans, et en plus, ça dure trois semaines. Et tous les jours, il y a un nouvel épisode, et ça a un effet touristique. C'est comme la série Marseille qui a amené des gens à Marseille, la série Émilie in Paris, ça a fait venir des tas de gens à Paris. Quelque part, tous les ans, ça réactive le désir de France et je pense que c'est très important dans notre activité internationale de la France, et dans son image positive. Il n'y a pas que ça en France, celle-là est positive, donc essayons plutôt de la valoriser.
Je rappelle aussi qu'il y a une série sur Netflix qui met en avant les coulisses du Tour de France, qui donne une vision très spectaculaire de l'épreuve. Ce qui a changé aussi, au fil des années, des décennies, c'est que ces coureurs, ils n'ont plus grand-chose à voir avec les coureurs des premières éditions, qui étaient des coureurs parfois venus de petits villages, qui n'étaient pas forcément bien équipés ?
C'est vrai, mais ce qui est vrai aussi, c'est que dans le milieu ouvrier, et dans le milieu paysan beaucoup, le vélo, c'étaient les critériums de village, tout ça, c'était un lieu où les jeunes hommes se mettaient en concours les uns avec les autres. Il y avait là toute une culture qui renvoyait un peu dans les beaux quartiers aux rallyes en voiture, et là, dans les villages, on faisait ça en vélo. C'est vrai que cette culture s'est très largement perdue et d'ailleurs, on voit assez peu de ruraux à bicyclette, parce que justement, eux, ils ont connu le vélo il n'y a encore pas longtemps.
La mode du vélo aujourd'hui, c'est une mode urbaine, très efficace en ville, très positive, mais qui est plutôt de gens qui n'ont pas été obligés de circuler en vélo quand ils étaient petits. Et cet imaginaire du vélo populaire, du vélo où les hommes montrent leurs forces, où ils sont en concurrence, ils se connaissent dans un village, ce sont les gosses du village qui font une course. Puis, ça s'élargit aux cantons, aux départements, avec les meilleurs ; évidemment, cette tradition s'est largement perdue. D'ailleurs, beaucoup de gens qui viennent d'Amérique latine, qui viennent de pays où il y a des montagnes, ont un rapport différent. C'est devenu un spectacle mondial, on a perdu le local. Mais on a gagné une course mondiale, c'est quand même très bien.
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