"Le foot, c'est ce qui réunit l'humanité, ça va tous nous mettre de bonne humeur pour démarrer l'année prochaine", Jean Viard
La Coupe du monde de football est un moment de communion nationale. Le regard du sociologue Jean Viard sur les vertus fédératrices de cette compétition.
Avec le sociologue Jean Viard, en ce jour de finale de la Coupe du monde à Doha, où la France rencontre l'Argentine, décryptage de cet engouement planétaire pour ce sport qui rassemble, en dépit des nombreuses polémiques concernant le Qatar. A Paris, la station de métro Argentine a été baptisée par la RATP, Allez les Bleus, pour l'occasion.
Depuis le 20 novembre, 32 équipes se sont affrontées à travers 64 matches. Cette finale sera historique pour l'équipe de France, si elle emporte le trophée pour la troisième fois.
franceinfo : Est-ce que toute la France, toute une nation, va vibrer à l'unisson à partir de 16h pour cette finale de Coupe du monde France-Argentine ?
Jean Viard : En gros, oui. Après, il y a eu 20 millions de gens qui ont vu la demi-finale. Ça veut dire quand même qu'il y a au moins 20 millions d'adultes qui ne l'ont pas regardée, même peut-être plus. Mais bon, ça met en joie. Même ceux qui ne s'intéressent pas au foot, comme les autres, sont plus joyeux. C'est plus amusant. Les gens se parlent, ils commentent, dans les bars, dans la rue, entre amis, tout ça. Je dirais que même ceux qui n'auront pas vu le match au fond, ils vont profiter de la joie collective ou de la tristesse si on perd, même si c'est quand même qu'un match de foot.
On parle beaucoup des vertus fédératrices d'une possible victoire. Il y en a d'autres dans la défaite. Est-ce que tout ça, surtout en cas de victoire, c'est bon pour le commun d'une nation, pour les Français ?
La demi-finale, c'était contre le Maroc. Donc c'était quand même un peu le monde arabe contre l'Europe. Donc derrière, il y avait aussi tout le débat sur le Qatar. Il y avait derrière toute la mémoire coloniale, c'était du sport et de la politique. La finale France-Argentine, il n'y a pas de politique. Le rapport entre la France et l'Argentine, il n'y en a pas en fait à part dans le foot, heureusement qu'il y a des matchs de foot, sinon on ne saurait pas où mettre l'Argentine sur une carte.
Du coup, c'est purement du foot, alors on va se rappeler ce qui s'est passé, c'est la troisième fois qu'on se trouve dans cette situation. La première fois, c'était au moment où Jacques Chirac et Jospin en 1998 étaient en compétition. Ça avait eu effectivement un effet positif. Un certain temps, la société était plus gaie, mais c'était une époque plus facile. La fois d'après, c'était déjà le président Macron, mais il n'a pas eu de chance. Trois jours après, sortait l'affaire Benalla, lors des manifestations du 1er mai 2018. Donc, je dirais que l'euphorie a été douchée à l'eau froide tout de suite, il n'y a pas eu ce phénomène.
Après, il ne faut pas non plus exagérer. Il n'y a pas directement un lien entre politiques, mais quand l'ambiance est bonne, quand les gens sont joyeux, d'abord, ça va se jouer d'abord jusqu'à janvier, à Noël, etc, c'est pour ça qu'on a décalé le débat sur les retraites, pour qu'il n'y ait pas d'épines sur le chemin, pour qu'on essaye d'avoir 15 jours, trois semaines un peu plus joyeux, après deux ans de pandémie. Bon, la Coupe, plus Noël, et le réveillon du nouvel an, je crois que ça va tous nous mettre de bonne humeur pour démarrer l'année prochaine.
On repense forcément à ce qu'on a entendu sur le boycott avant le début de la compétition. Est-ce que le sport et l'aventure collective des Bleus ont finalement tout emporté sur leur passage ?
Non, mais c'est que la question était mal posée. Effectivement, le fait de dénoncer ce qui s'est passé au Qatar, le fait de construire ces stades, c'est vrai, et puis sans doute des magouilles qu'il y a derrière, il fallait le dénoncer. Après, le foot, c'est ce qui réunit l'humanité, c'est le sport le plus populaire, et c'est sans doute la dernière fois que c'est organisé dans un seul pays.
Après, c'est Canada, États-Unis, Mexique. Et j'aimerais beaucoup qu'ensuite on ait Maroc, Espagne qui l'organisent ensemble, ça crée des nouvelles unités. Donc je pense que protester contre ce qui s'est fait au Qatar, les 200 milliards investis là, les conditions de travail des ouvriers, c'était une nécessité. Mais le foot, après, prend sa place et je pense que c'est légitime.
Vous savez, on ne gagnera la guerre climatique que si on est tous ensemble. Le bonheur qui a saisi l'Afrique de cette situation, avec le Maroc, ça les rapproche d'un rapport d'égalité avec les anciennes puissances coloniales. Et ça, c'est une force dont on a tous besoin pour gagner la guerre climatique. C'est plus important que l'histoire des stades, et je crois qu'il faut se rappeler cela, l'Humanité doit se rassembler pour gagner la guerre climatique comme on a gagné la guerre du Covid. Mais vous savez, la guerre du Covid, il n'y a que 21% des Africains qui sont vaccinés. Donc je veux dire, si on veut gagner tout ça, il faut se rapprocher et pas s'écarter.
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