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La guerre en Ukraine : "On est dans un monde de violence. La violence s'étale, se revendique"

Les dirigeants occidentaux s'accordent à dire que cette guerre en Ukraine est la plus grande épreuve que l'Europe ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale, depuis 1945 avec des conséquences immédiates pour tout un peuple, évidemment, les Ukrainiens, et pour tout un continent.

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Image de la guerre en Ukraine, dimanche 27 février 2022. Un blindé russe de transport de troupes, en feu, durant les affrontements avec les forces armées ukrainiennes à Kharkiv. (SERGEY BOBOK / AFP)

Avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, on se penche sur cette grande épreuve qui touche tous les pays européens depuis cette semaine : le déclenchement de la guerre en Ukraine. Ces images de l'Ukraine et ces témoignages marquent les Français. Ils veulent savoir ce qu'il se passe. On le constate d'ailleurs avec les audiences des chaînes d'information. La campagne présidentielle aussi, semble plus que secondaire en ce moment.

franceinfo : Des guerres, il y en a eu beaucoup, mais celle-là nous touche bien plus que les autres ?

Jean Viard : Elle nous touche bien plus que les autres. Honnêtement, j'ai eu les larmes aux yeux quand j'ai eu l'information. Je pensais à mes grands-pères qui me racontaient ce qui s'est passé en 1939 et à mon père qui s'est engagé, volontaire. J'avais du mal à comprendre et là d'un coup, vous comprenez ce qu'ont vécu ces générations et ce que vivent en ce moment les Ukrainiens.

Moi qui suis d'une génération où on était contre la guerre, les Allemands l'étaient encore bien plus que nous, au fond cette période est terminée. On est dans un monde de violence. La violence s'étale, se revendique, y compris dans les mouvements politiques, chez nous. On est dans une période de violence mise en scène. Poutine ne se gêne absolument pas pour montrer ce qu'il fait.  

Et puis, l'Europe n'est pas prête. L'Allemagne au moment de la réunification avait 5.000 chars, il leur en reste 300, dont 40% sont en panne. On s'est complètement désarmés, notamment l'Allemagne, y compris sur le gaz, etc., dans une culture au fond où on pensait qu'il n'y avait plus de guerres, comme on pensait qu'il n'y avait plus de pandémies. On avait l'impression que le monde était doux et open. Et là, en deux ans, on se prend une pandémie qui nous montre que tout peut être cassé. Et puis, on se prend un début de guerre en Europe dont on ne sait pas où elle va s'arrêter. Le but ça va être de trouver une solution, et ça va être extrêmement difficile. 

Est-ce que vous pensez que nous ne savions plus trop ce qu'était vraiment la guerre, et que ceux qui l'ont su commençaient à l'oublier ? 

Oui, on l'a oublié et on pensait que c'était derrière nous ou que c'étaient des guerres entre pays du Tiers-Monde, entre guillemets. Et puis, il y a eu le terrorisme qui est venu secouer tout ça, dans nos pays notamment. La France a été très attaquée. N'oublions pas les 100.000 morts des guerres de Yougoslavie, quand même. Et on a eu depuis 75 ans un sentiment que la paix est définitive. Ce sentiment était faux. Il va falloir se remuscler, se réarmer, y compris mentalement.

Et la menace nucléaire en toile de fond, est-ce que c'est un fantasme du XXIe siècle ou au contraire, et cette situation nous le rappelle peut-être, ça reste une donnée essentielle ? 

Mais c'est une donnée essentielle. Moi je suis d'une génération où on a vécu les affaires de la baie des Cochons, avec les fusées nucléaires qui arrivaient à Cuba, face aux États-Unis, etc. On a tous vécu là-dedans, mais on se disait toujours : ils ne vont jamais s'en servir, c'est trop dangereux. Aujourd'hui, c'est un peu la même chose. C'est à dire qu'effectivement, ce qui va limiter probablement les étapes, c'est qu'effectivement, les Russes n'attaqueront pas l'OTAN à cause de ce nucléaire qui pacifie.

Après avec le nucléaire, le risque, c'est la folie. Et effectivement, il peut toujours y avoir un leader qui, vieillissant, traumatisé par la pandémie, complètement au désespoir de la perte du pouvoir de l'Empire russe, effectivement ait un acte irraisonné. Mais sinon, ça continue je pense à limiter la guerre, et heureusement qu'on a le nucléaire, c'est terrible de dire des choses comme ça, mais ça limite un peu des guerres qui sont absolument horribles. 

Les armes de dissuasion, la force, la brutalité de Vladimir Poutine, vous diriez qu'elles mettent à l'épreuve l'Union européenne, parce qu'on n'a pas l'habitude d'utiliser cet outil-là ? 

Non, mais on assiste à une remontée des empires, regardez ce qui se passe avec la Turquie, ce n'est pas très différent. On n'est plus dans des grandes luttes idéologiques, on est dans un retour des affrontements parareligieux et dans un retour de montée des empires. Et c'est une question qui succède, on peut dire, à la guerre froide. Cette période-là va être une période de violence et il va falloir se préparer.

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