"L'impôt sur l'héritage, les gens ne l'aiment pas, ça rentre dans l'intime. C'est un impôt qui va finir, en gros par disparaître"
L'héritage est aujourd'hui un des sujets de la campagne présidentielle et c'est aussi une grande question de société. Presque tous les candidats proposent une réforme de la fiscalisation de l'héritage, dans un sens ou dans un autre.
Aujourd'hui avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS, on parle de l'héritage. Il est taxé en France au-delà d'un certain abattement, au-dessus de 100 000 euros, par exemple, pour le fils ou la fille d'un défunt. Ensuite, l'impôt est progressif, un peu comme pour l'impôt sur le revenu.
Tout héritage est taxé à 20%, jusqu'à 550 000 euros. Taxe qui va jusqu'à 45% ensuite, au-delà d'1 million 800 000 euros. Et beaucoup de candidats à la présidentielle se positionnent, veulent modifier les règles en vigueur. Exonération jusqu'à 200 000 euros par enfant, par exemple, pour Valérie Pécresse. Eric Zemmour veut lui aller encore un peu plus loin avec la suppression de certains droits de succession complètement. Quant à l'inverse, Jean-Luc Mélenchon, lui, défend l'idée d'un plafond à 12 millions d'euros, au-dessus duquel l'Etat prend tout.
franceinfo : Jean Viard, l'héritage, la transmission d'un patrimoine, est-ce que c'est ou pas une grande source d'inégalités ?
Jean Viard : On est dans une période de changement. Dans toute l'Europe, les lois sur les impôts sur l'héritage diminuent, sauf en France et en Belgique. Comme la génération du baby boom arrive en fin de vie, il y a de plus en plus de décès, donc, ce que ça rapporte à l'Etat a presque doublé en 25 ans, on est à 14 milliards et demi de taxes sur l'héritage. Et c'est notamment parce qu'il a plus de morts, et qu'en plus, cette génération s'est constitué un patrimoine. Donc ça rapporte de plus en plus, et puis, le président Sarkozy, puis le président Hollande ont allongé les délais pour donner aux enfants.
Vous savez, on peut donner aux enfants, avant c'était tous les 5 ans, puis tous les 10 ans, puis maintenant, c'est tous les 15 ans, 100 000 euros, dont on a écarté les dons, et comme les gens ne commencent pas à donner à 30 ans, on a souvent eu un seul don du vivant des gens, donc ça a fait augmenter l'impôt. La question, c'est que l'impôt sur l'héritage, les gens, ne l'aime pas. Pourquoi ? Parce que ça rentre dans l'intime. Les impôts, c'est j'allais dire, c'est l'argent qui n'arrive pas chez vous. D'ailleurs maintenant avec l'impôt à la source, on voit arriver son salaire net, et pas le reste.
Et donc, d'un coup, là on rentre dans l'intime. Vos parents ont construit une maison, ils ont arrangé le jardin, etc., et tout d'un coup on leur dit : bon allez, il faut en donner à l'État un pourcentage, c'est-à-dire que on découpe le lien entre les parents et les enfants pour en prendre une partie pour l'Etat. C'est ça qui fait que c'est pas supportable, que les gens ne l'aiment pas, parce que la vérité, c'est que dans les milieux populaires, l'héritage que les gens reçoivent est très inférieur à la partie qui n'est pas fiscalisée.
Mais les milieux populaires qui n'ont pas d'héritage, ou très, très peu, sont aussi attachés à la non-imposition générale que les milieux aisés. Pourquoi ? Parce que les milieux très aisés, excusez-moi, ils ont les moyens de créer des sociétés, des machins, des trucs et de toute façon, en moyenne, ils payent au maximum 10%. Les très, très riches. Et donc, ils sortent en fait.
Et du coup, on est face à une question qui est cette demande symbolique qui, à mon avis, va finir par faire que c'est un impôt qui va finir, en gros par disparaître. On a déjà payé la TVA sur les affaires qu'on a achetées, on a payé les impôts sur le revenu, etc. On a évidemment payé les charges sociales, donc à un moment, il y a quand même une forme de doublon.
Et puis une dernière chose, une dernière chose très importante. Regardez l'Allemagne, c'est que si vous imposez les transmissions d'entreprises de taille moyenne, etc., mais vous les faites disparaître. Les petites entreprises, les entreprises moyennes 10, 50, 100 salariés, c'est des cultures familiales, et donc la transmission de l'entreprise, les enfants souvent la reprennent comme le médecin est fils de médecin, le paysan est fils de paysan.
Donc, si on empêche la transmission d'entreprise, on empêche de se développer des entreprises de taille intermédiaire qui sont créatrices d'emplois. Il faut faire très attention quand on dit : on va taxer en fonction d'un chiffre, mais c'est absurde, parce que l'entreprise est un bien culturel autant qu'un bien économique. Et donc, on ne peut pas séparer les deux.
Là, vous vous placez beaucoup du côté de ceux qui vont transmettre, mais si on inverse un peu la perspective, on peut dire aussi que quand on reçoit un héritage, c'est tout l'inverse de la méritocratie. En quelque sorte, on est né au bon endroit, au bon moment. Pour certains, ce n'est pas le cas. Ça va aussi peut-être à l'encontre d'un certain modèle républicain, non ?
C'est un vrai problème d'égalité, d'autant que plus la vie s'allonge, plus vous avez des gens qui ont eu le temps d'acheter des maisons, de les rembourser, etc. Donc, on va vers une société en partie rentière, notamment sur l'immobilier, ce qui est un véritable problème pour ceux qui ne sont pas entrés là dedans.
Mais la question, est-ce qu'elle est de doter notamment en capital culturel, en système éducatif, les enfants des milieux défavorisés pour qu'ils avancent ou est-ce qu'il faut priver les autres ? Vous voyez, c'est compliqué comme débat. Je ne suis pas sûr qu'il y ait un passage direct de l'un à l'autre.
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