Hausse du prix des carburants : " À long terme, la solution c'est le changement culturel et technologique", Jean Viard
Le prix des carburants atteint des sommets en ce moment en France, après celui de l'énergie, le gaz, l'électricité. Face à cela, le gouvernement veut continuer à agir et Emmanuel Macron promet de nouvelles mesures de court terme. C'est le sujet de "Question de société" avec le sociologue Jean Viard.
D'après Emmanuel Macron, cette question de la hausse du prix des carburants, "C'est un problème qui touche tous nos compatriotes, parfois plus encore nos compatriotes les plus modestes, celles et ceux qui ont des déplacements contraints et qui sont donc obligés de faire le plein chaque jour." Jean Viard, sociologe et directeur de recherches au CNRS évoque aujourd'hui cette question d'actualité.
franceinfo : Quand on entend cela, c'est bien difficile de ne pas penser aux Gilets jaunes. Le gouvernement aurait-il peur que le mouvement émerge à nouveau ?
Jean Viard : Alors peut-être pas de la même manière. Il faut rappeler que 60 à 70% des gens vont travailler avec leur voiture, et qu'en fait, ils n'ont quasiment pas le choix. C'est pour dire que c'est un phénomène de société majeur. Ce qu'il faut dire, c'est que le mouvement des Gilets jaunes, bien sûr c'était lié à l'augmentation du carburant, puis les contrôles sur les voitures et tout. Mais c'était lié aussi au sentiment de mépris qu'avaient les milieux populaires. Ils avaient le sentiment qu'au fond, on ne les connaissait pas, que le modèle, c'était le vélo, la ville et puis qu'on sortait de la ville le week end pour aller aux champs, et qu'au fond, eux qui habitaient ce monde rural et qui se battaient avec des petits diesels un peu vieux - ils n'achètent jamais de voitures - ils ont eu l'impression d'être méprisés.
Là, on est dans une situation un tout petit peu différente. C'est plus une décision du marché qu'effectivement, un choix politique. Il n'y a pas ce sentiment de mépris. C'est très important. Après, ce qui est vrai, c'est que c'est dans toute l'Europe. Les Italiens ont lâché 3 milliards. Nous, on a commencé avec une prime. La question c'est plutôt qu'on n'a pas envie de conflits sociaux maintenant. Les gouvernements font tout pour calmer après la pandémie qui n'est pas terminée, ils ont aussi à se battre contre les anti-vaccins, etc. Ils veulent que la société ne s'énerve pas pour qu'on puisse finir la bataille pour la pandémie. C'est ça l'enjeu. Donc, ils vont lâcher des sous.
Et puis, il faut dire le milliard en ce moment n'est pas très cher si je peux me permettre ce genre d'expression. Du coup, effectivement, je pense qu'on va avoir des primes, ponctuelles, avec l'idée que c'est une bosse et donc que ça va rebaisser. Et chaque alerte sur les prix, ça a un double effet parce que les gens aisés vont pouvoir "porter" financièrement le changement. Il faut qu'on aide les milieux populaires et il faut que la vitesse de la mutation soit gérable socialement. C'est tout l'enjeu pour raboter la bosse dans les milieux populaires.
Alors, si les milliards ne sont pas chers, c'est parce que les taux d'intérêt sont bas. On emprunte sans que ça nous coûte trop. Et vous parlez de la fiscalité, il faut rappeler ici qu'en France, pour un litre vendu, il y a à peu près 90 centimes de taxes. Il n'empêche que la ministre de l'Écologie demande aux distributeurs de réduire leurs marges. Eux répondent qu'ils n'en font presque pas. Et Emmanuel Macron, lui, de son côté, dit que la France mène une action diplomatique pour essayer de contraindre ces prix des carburants avec les principaux pays exportateurs. "C'est une situation subie", précise-t-il. C'est pour bien expliquer que, justement, ce n'est pas la faute du gouvernement, rejeter cette idée de mépris, c'est bien ça ce que vous soulignez ?
Bien sûr, c'est l'idée de fond. Après, c'est comme dans toute augmentation de prix, ça se négocie tout au long de la chaîne. Les Russes ont serré les boulons pour pouvoir ouvrir leur deuxième tube de gaz qui, effectivement, pose des problèmes pour amener du gaz à l'Union européenne. Les pétroliers, en ce moment tout le monde au fond, essaie de refaire ses marges après la pandémie. Mais L'Etat aussi. Parce que quand ça augmente comme ça, celui qui gagne le plus, c'est l'Etat. Au fond, c'est un jeu de bonneteau.
Mais l'Etat ne fabrique pas les sous, donc il faut bien qu'il les trouve quelque part. Là, il va les trouver dans les milieux aisés qui peuvent supporter un pétrole entre 1,50 et 2 euros, et le chauffage est à 1,10 euro. Et le chauffage, ça compte beaucoup parce que quand vous faites une cuve d'un coup, avec 2000 litres d'un coup, vous avez une facture énorme. Donc l'État va essayer ce genre de politique. Mais ce sont des politiques, il faut bien le dire, opportunistes, nécessaires, mais à long terme, c'est le changement culturel et technologique qui est la solution.
Et justement, puisqu'on parle de long terme, d'après Emmanuel Macron, tout cela nous enseigne une chose, nous avons, dit-il, a mener une stratégie de décarbonation de notre énergie. Et vous parlez de la fiscalité, instrument moteur. Est-ce qu'il n'y a pas là un paradoxe, justement, quand on sait que la fiscalité est un des leviers ?
Bien sûr, mais si vous voulez, avec la crise des Gilets jaunes, on a bien vu que les mesures qui n'étaient pas sociales, ou en gros, on ne s'intéressait qu'au prix, ce n'est pas supportable. Parce qu'une augmentation de 5 euros sur un plein, il y a plein de gens qui ne s'aperçoivent même pas, mais il y a des gens pour qui 5 euros, c'est beaucoup. Si on veut que la transition écologique soit réaliste, si on veut pas qu'il y ait une panique dans les opinions publiques et c'est le danger - regardez les jeunes 59% des jeunes pensent que l'humanité peut disparaître. Donc on a un risque de panique. Donc, il faut gérer le risque de panique, la compensation sociale et effectivement, la mutation technologique et culturelle. Honnêtement, c'est un chantier passionnant, mais extrêmement dangereux.
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