Harcèlement scolaire : "On a besoin de refaire de l'école le grand monument de nos sociétés, visible dans la République" estime Jean Viard
Lindsay, 13 ans, et d'autres jeunes ados dans la même situation de harcèlement scolaire, ont mis fin à leurs jours. Cela provoque une prise de conscience dans l'opinion ; c'est le sentiment qu'on ressent, en tout cas. Une nouvelle marche blanche est organisée ce dimanche 22 octobre à Liévin, pour rendre hommage à Lindsay.
Le gouvernement a annoncé depuis de nouvelles mesures, fin septembre : un numéro unique, le 3018, contre le harcèlement scolaire, des cours d'empathie dans le cursus des élèves, et un questionnaire, aussi anonyme, soumis à tous les élèves, du CE2 à la troisième. Le regard du sociologue Jean Viard sur cette grave question de société.
franceinfo : Est-ce que cela veut dire Jean Viard, qu'on peut vraiment faire changer les choses concrètement et rapidement sur ce sujet ?
Jean Viard : Il y a deux sujets : le suicide et le harcèlement. En France, on a des taux de suicide qui sont mauvais. Et en plus, après la grande pandémie, les taux de suicide, notamment des jeunes filles, ont augmenté. Donc il est temps que la France se préoccupe de nous former les uns et les autres, à repérer les signes qui conduisent les gens au suicide. Il y a des pays qui ont fait des progrès considérables.
Donc il y a la question de la détection du risque de suicide, et de l'autre côté, il y a cette question du harcèlement. Alors là, j'ai envie de dire : l'école, ça va bien. Parce que, quand 93% des collégiens disent qu'ils sont contents, qu'ils se sentent bien dans leur collège, il faut le dire. De même, que quand on voit les profs, quand on voit les deux profs Samuel Paty, Dominique Bernard qui ont été assassinés, ce sont des gens magnifiques et l'essentiel des profs de l'Education nationale sont des gens engagés, fantastiques. Et l'essentiel des élèves sont contents dans les collèges.
Une fois qu'on a dit ça – et c'est important de le rappeler, parce que c'est quand même le cœur du processus – d'abord il y a de la violence chez les enfants, il y a des enfants qui ramènent à l'intérieur de l'école les discours contradictoires de leurs parents. Il y a toute la crainte de la différence, comment les enfants apprennent la différence de couleurs, de gestes, les handicapés, les gens qui bégayent, ça fait partie de l'éducation, en fait.
Donc je pense que c'est toujours la même question : comment on revient à une société de tolérance, et comment on parle de ça, comment on en discute ? Et c'est ce qui se passe en ce moment, il y a un effet de loupe, donc on en parle, ça augmente. Mais la réalité est là. Sans doute que beaucoup de gens ont pris l'habitude de détourner le regard, en disant : c'est des problèmes de gosses. Et bien non, c'est pas des problèmes de gosses.
Il faut écouter la parole des enfants, c'est pareil sur les problèmes sexuels, c'est pareil sur les problèmes d'inceste, il faut prendre au sérieux, ça ne veut pas dire qu'ils disent toujours la vérité, bien sûr, mais c'est vrai pour les adultes aussi. Mais il faut se dire que la parole des enfants est un sujet sacré qu'il faut écouter.
Je reprends les chiffres que vous avez commencé à donner. Un chiffre de l'Éducation nationale : 93% des collégiens qui déclarent se sentir bien, ou tout à fait bien dans leur établissement, mais il y en a environ 7% qui expliquent qu'ils sont victimes de harcèlement, au moins cinq cas de violence répétée. Il y a aussi tous les témoins, les auteurs aussi, de près ou de loin, presque tous les collèges sont concernés, c'est un phénomène massif.
Comment expliquer qu'on a mis autant de temps à s'en saisir ? C'est qu'on ne regardait pas, on ne regardait plus ce que fait l'école ?
Jean Viard : Je pense que ces phénomènes ont dû toujours exister, sauf que la violence a changé : on n'a plus le droit de filer des claques à son gamin. Le rapport à l'éducation, le rapport à la violence, au fond, la forme d'autorité a changé. On est dans des sociétés où les affrontements sont considérés comme devant être plus civilisés à l'intérieur de la sphère familiale, ce qui est une très bonne nouvelle. Mais finalement, on demande aussi la même chose, à l'intérieur de la sphère de l'école.
J'aurais tendance à le dire ainsi. Je n'ai aucun indice pour vous dire quel était le taux de harcèlement il y a 10 ou 30 ans. Je ne fais pas de comparaison. J'ai regardé, je n'ai rien trouvé. Je ne dis pas qu'il n’y a rien, mais je n'ai rien vu. Mais je pense qu'on n'a pas la même attente.
Et ce qui est en train de se passer, c'est que l'école est en train d'être remise au centre de la société. C'est le cœur battant de la République. On avait fait de l'école un service. Et rappelez-vous Jules Ferry, les écoles de Jules Ferry, vous allez n'importe où, en France, c'est la même école, c'est le même bâtiment, avec, marqué "filles" au-dessus d'une porte, "garçons" au-dessus de l'autre, c'est-à-dire qu'il y avait une unité de l'objet, qui correspondait au statut du maître, avec sa blouse grise, qui accueillait les enfants le matin.
On ne va pas revenir à ça, mais ce que je veux dire, c'est qu'on a besoin de refaire de l'école le grand monument de nos sociétés, c'est ça qui est en train de se faire et de se discuter. Moi oui. Je plaide pour que l'école ait une couleur. Les pompiers, c'est rouge, La Poste, c'est jaune, et les ambulances, c'est blanc, pourquoi l'école n'a pas cette unité ?
Il faut que l'école redevienne visible dans la République. On a fait des erreurs, on a un peu laissé l'école devenir un service technique. On va en refaire le cœur, parce que c'est ça qui va faire que tous nos enfants soient habitués à être ensemble, quelle que soit leur couleur de peau, leur religion, etc. Il y a un chantier gigantesque dans un monde qui va être difficile.
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