Colère des agriculteurs : "Construire un projet alimentaire en tenant compte des territoires, c'est une idée très forte pour renforcer l'agriculture"

Les agriculteurs appellent à une mobilisation nationale demain lundi 18 novembre, après des actions locales tout le week-end contre le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur en Amérique du Sud.
Article rédigé par franceinfo - Mathilde Romagnan
Radio France
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Temps de lecture : 5min
Manifestation d'agriculteurs de la FNSEA au rond-point de Kerginiou à Callac dans les Côtes d'Armor, le 14 novembre 2024, pour dénoncer notamment le Mercosur (LIONEL LE SAUX / MAXPPP)

Après les blocages de l'hiver dernier, les agriculteurs continuent de dénoncer une concurrence déloyale sur leurs produits. Une question de société radiographiée par le sociologue Jean Viard.

franceinfo : Dans notre économie mondialisée, dans quelle mesure peut-on protéger nos agriculteurs et nos produits français ?

Jean Viard : Il y a plusieurs éléments. D'abord, la question des sur normes françaises qui mettent les agriculteurs hors d'eux, et je ne comprends même pas qu'on puisse avoir des sur normes, alors qu'on est sur le même marché. La France est toute contente de rajouter une norme plus sévère que l'Union européenne. Or, comme l'essentiel de notre marché est européen, c'est assez normal qu'on ait les mêmes normes; et que nos agriculteurs ne soient pas défavorisés. Donc là, il y a débat; il y a une loi qui va être votée à l'Assemblée.

La deuxième chose, c'est qu'effectivement, avec la dissolution, ce qui avait été promis par Gabriel Attal, qui correspondait en grande partie aux demandes des agriculteurs, évidemment, n'a pas été mis en place. Donc là, ils font pression pour que ce soit vraiment mis en place, qu'on ne recommence pas la discussion. Après, l'Agriculture, en fait, c'est une mosaïque de problèmes. Voyez les gens du Nord qui ont été noyés par l'eau et les gens du Sud qui ne peuvent plus arroser, ils sont en révolte, mais ils n'ont pas le même problème. On ne va pas déplacer l'eau des plaines du Nord à l'agriculture d'Occitanie. C'est une mosaïque de problèmes.

Au milieu de tout ça, un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, vous pouvez comprendre que ça agace les agriculteurs ? 

Bien entendu, alors ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire. Dans cet enjeu, il y a un accord entre l'Europe effectivement et le Mercosur d'Amérique du Sud, si ce n'est pas avec nous, ils le font avec la Chine. Donc il y a aussi des problèmes géostratégiques extrêmement importants, est-ce qu'on laisse la Chine – qui, en ce moment par exemple progresse énormément – au Brésil ? Deuxième aspect, c'est que ça avantage beaucoup nos industries, notamment les industries automobiles allemandes. Mais la crise de l'Allemagne nous touche, puisque c'est notre premier client. Donc si l'industrie allemande automobile s'effondre, ils ne vont plus, non plus, nous acheter les produits français. Tout ça c'est très compliqué.

Le problème c'est : s'il y a des gens qui perdent, comment on compense, comment on leur donne des moyens d'investir dans d'autres secteurs ? On ne peut pas dire à des gens : ah désolé mon pauvre, mais tes vaches, c'est fini. On ne peut pas faire ça. Donc effectivement, la politique n'est pas là pour tuer une partie des entreprises.

Donc s'il y a des secteurs qui doivent souffrir, d'abord il faut qu'on respecte les règles écologiques, qu'on n'aille pas manger du bœuf aux hormones, et aussi comment on leur permet de se renforcer. Il y a beaucoup d'agriculteurs qui développent de nouvelles professions, de par exemple, j'habite en Provence, en ce moment, ils mettent des amandiers partout, ils mettent des oliviers partout, il y a une évolution des techniques.

Mais quand vous plantez des arbres, il faut beaucoup plus longtemps pour qu'ils rapportent. Donc qui peut investir sur 10 ans ? Ce sont des mutations sur lesquelles il faut qu'on travaille. Aucun paysan ne doit perdre quelque chose, si on signe un jour le Mercosur. Et pour l'instant, la France est réservée parce qu'effectivement elle sait parfaitement que pour une petite partie de son agriculture, ça risque d'être difficile.

Est-ce que ça veut dire qu'il faut plus de protectionnisme sur les produits agricoles français ?

Mais on ne peut pas dire ça, parce qu'on achète plein de choses à l'étranger, on achète le soja, le maïs, on achète souvent le whisky, pour prendre un exemple dans les spiritueux. La question, c'est que l'Europe doit être un corps politique, économique et culturel puissant. Et c'est d'abord la question de l'unité européenne qui se joue, avec une chose : il faut travailler sur l'alimentation, parce que ce que les gens achètent dépend de leur capacité à cuisiner, et de leur désir de manger. Or, en France, on a supprimé les cours de cuisine à l'école.

Il y a une région qui fait un boulot fantastique, c'est l'Occitanie. Ils ont créé des maisons de l'alimentation à plein d'endroits. Ce sont souvent des dames qui viennent cuisiner, vous avez aussi bien des gens qui font du couscous que de la daube ou autre chose. On peut venir manger, et les agriculteurs du coin viennent et disent : bon, qu'est-ce qu'il vous faut pour vos produits, pour faire le couscous. Est-ce que ce sont les mêmes que pour une daube ? Construire un projet alimentaire en tenant compte des territoires, c'est une idée très forte pour renforcer l'agriculture. C'est plus utile que des frontières parce qu'on y perd toujours à force de faire trop de frontières, notamment à l'intérieur de l'Europe.

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