Cannes 2022 : "Le cinéma est un art absolument majeur, concurrencé par les séries, qui souffre de la pandémie, mais il va retrouver sa place"
Le Festival de Cannes se termine aujourd'hui avec la cérémonie de clôture, ce soir, le palmarès qui sera dévoilé, vous le connaîtrez bien sûr sur franceinfo, avec la Palme d'or. Que représente en France cette grand messe du cinéma ? Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherches au CNRS, on essaie chaque dimanche de répondre à une question de société. Aujourd'hui, l'engouement pour le cinéma, que représente-t-il vraiment dans notre pays ?
franceinfo : Le Festival de Cannes, le cinéma, c'est populaire, mais est-ce que ce festival l'est aussi ?
Jean Viard : Le Festival de Cannes été inventé en 1936, donc c'est le moment où le cinéma monte beaucoup, il y a le Festival de Venise qui avait été fait avant en 1932. Puis il y a quelqu'un qui s'appelle Philippe Erlanger qui forma l'idée du Festival qui au début devait se faire ailleurs, puis Cannes a fini par gagner parce qu'il avait des grands hôtels. Jean Zay, qui a été un très très grand ministre de l'Education et des Beaux-Arts, qui a aussi inventé le CNRS, qui a été exécuté par la milice mais qui a beaucoup joué dans l'innovation artistique et universitaire. Retenez ce nom de Jean Zay. Il a écrit un livre magnifique qui s'appelle Souvenirs et solitude.
Ça c'est cette époque-là, c'est-à-dire l'avant guerre. Et puis le cinéma après-guerre est devenu un élément extraordinaire des sociétés, notamment, évidemment porté par Hollywood qui en a fait une machine de combat idéologique. Pour les Américains, c'était le western, c'est toujours le blanc qui gagne, les femmes sont toutes ravissantes, un certain corps de femmes au ventre plat, deux enfants, bon toute une idéologie, une culture américaine, Coca-Cola, etc...
Donc, c'est une arme culturelle. Et au fond, le Festival de Cannes, c'est notre participation, donc elle est ancienne, elle était très importante. Le cinéma n'a peut être plus le rôle qu'il a eu dans les années 50-80 où c'était la sortie populaire. Il y avait des immenses cinémas, on y allait en foule immense, etc. Ça a changé, je pense.
Sur la planète, il y a de plus en plus de cinémas en réalité, parce que le monde est grand et qu'il y a des côtés qui se développent. Mais en France, il y a une certaine baisse, la pandémie évidemment a accéléré le phénomène, il y a la moitié des clients du cinéma qui y sont à peine retournés, donc il y a une baisse. Le festival, c'est pareil : il y a un peu moins de monde qui regarde, avant c'était sur Canal et maintenant c'est sur France 2. Donc quelque part, il y a une certaine désaffection. Le tapis rouge et les actrices avec des robes extraordinaires, est-ce que c'est encore ça l'imaginaire féminin d'aujourd'hui ? Ce n'est pas évident.
Il y a peut être aussi que le festival n'a pas su s'adapter à notre image des vedettes aujourd'hui ? L'actrice Greta Garbo, est-ce qu'il y a l'équivalent aujourd'hui ? Je ne suis pas sûr. Et puis, il y a la concurrence des Netflix, des séries. Dans les dîners en ville, de quoi vous parlez avec vos copains ? C'est plutôt d'une dernière série qu'on a vue. On se passe des noms de séries, etc... C'est peut-être aussi qu'il y a une concurrence dans la création, dans la vitesse aussi parce que les séries, ça va extrêmement vite.
Il se passe énormément d'événements, il y a un énorme travail sur les scénarios et aussi toutes ces concurrences en ce moment qui font que le cinéma souffre et je pense la grande pandémie ne l'a pas aidé, mais il n'est pas mort. C'est un art absolument majeur, donc il va retrouver sa place.
Avec cette question qui anime en ce moment ces grands messes du cinéma, ces récompenses comme les Oscars, les César, le Festival de Cannes. Quelle place donne-t-on aux films qui ne sont pas projetés en salles, mais uniquement sur ces plateformes ? C'est un autre débat.
On connaît l'exigence, la rigueur de ce festival de Cannes, notamment dans les films pré-sélectionnés, le palmarès. Est-ce que c'est une ouverture justement au grand public, de films très intéressants auxquels ils n'auraient pas forcément accès, sinon une mise en lumière ou alors une forme d'élitisme ?
Je ne dirais pas ça. Bien sûr, il y a une forme d'entre-soi parce que ce n'est pas un jury populaire. Ce n'est pas fait par Internet. C'est effectivement le monde du cinéma qui se donne lui-même des hiérarchies. Il y a les prix de consécration etc.. C'est vrai qu'il y a des années où c'est moins d'un million de personnes qui regardent à la télé la clôture. Les grandes années, c'était au-dessus de 2 millions, 2,5 millions il y a 20 ans. Donc il y a une évolution assez sensible. Je ne dirais pas que c'est élitiste.
Évidemment, le cinéma, ça fait rêver. Ce sont des gens exceptionnels qui ont des vies exceptionnelles. Ils sont tout le temps amoureux, tout le temps, etc. Bon, évidemment, on espère que c'est notre vie à chacun, mais c'est pas tous les jours comme ça. Donc il y a un décalage, mais c'est ça aussi qui fait le rêve, c'est la distance. C'était comme les dieux grecs, ils étaient différents. C'est comme l'ensemble de ces icônes qu'inventent les sociétés pour se raconter des histoires. C'est à la fois nous et pas nous. Donc on est dans ce jeu.
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